Jean-Louis Bianco se sentirait-il seul à la tête de l’Observatoire de la laïcité ? Il vient en tout cas de saisir la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), selon nos informations, pour qu’elle émette un avis à la rentrée sur l’opportunité ou non de faire une nouvelle loi sur le sujet.
Officiellement, il s’agit de saisir une institution susceptible « d’éclairer les débats », assure le président de l’Observatoire. En réalité, l’ancien ministre socialiste espère, aussi et peut-être surtout, que cet « éclairage » parvienne à calmer un peu les ardeurs d’une bonne partie des membres de l’institution qui sont sur une ligne beaucoup plus dure que la sienne en matière de laïcité. Lors des quelques rencontres qui ont eu lieu depuis la création de l’Observatoire en avril dernier, certains membres se sont en effet pris à rêver à haute voix d’une loi qui porterait aussi bien sur les entreprises que, pourquoi pas, certains lieux publics… Jean-Louis Bianco, qui a souvent dit qu'il souhaitait apaiser un débat toujours aussi épidermique, a senti qu’il valait mieux, d’emblée, recadrer les choses.
La CNCDH qui rendra donc un avis en septembre, soit quelques mois avant la rédaction du rapport définitif de l’Observatoire, s’est en effet à plusieurs reprises érigée contre une instrumentalisation politique de la laïcité. Elle avait ainsi – sans être entendue – émis un avis défavorable concernant la loi contre le voile intégral, entrée en vigueur en avril 2011, rappelant d’une part que « les lois d’exception comme les lois de circonstances doivent, dans la mesure du possible, être soigneusement évitées » et que dans le cas présent il fallait veiller à ce que les « effets pervers » d’une telle loi ne soient pas « supérieurs aux effets souhaités » (lire l’intégralité de l’avis ici). La juriste Sorraya Amrani Mekki qui dirige la sous-commisson de la CNCDH chargée de rendre le nouvel avis, également membre de l'Observatoire, est notamment connue pour ses positions très modérées sur la question. La dernière initiative de Jean-Louis Bianco a donc fait grincer des dents ceux qui y voient une manière de verrouiller les débats.
Depuis qu’il a été nommé en avril dernier, à la suite de la polémique liée à la décision de la Cour de cassation d'annuler le licenciement de l'employée voilée de la crèche Baby Loup, les tensions ont parfois été très vives au sein de l’Observatoire, où toutes les tendances sont représentées. Dans la récente polémique sur le voile à l’université, relancée par la fuite dans le Monde d’un avis de la mission laïcité, aujourd’hui dissoute, du Haut Conseil à l’intégration (lire ici notre article sur le sujet), Jean-Louis Bianco avait rappelé que son Observatoire ne se sentait aucunement tenu par ce document. Et avait même fait savoir, sans trop prendre de gants, tout le mal qu’il pensait d’un document « peu étayé » et faisant de « quelques cas isolés des généralités ». « Il se trouve que j’avais reçu le président de la Conférence des présidents d’université, Jean-Loup Salzmann, qui m’a montré une lettre adressée à la mission où il affirmait qu’ils n’étaient pas demandeurs d'une loi. Une lettre dont la mission n’a tenu aucun compte », raconte aujourd’hui à Mediapart Jean-Louis Bianco.
Pourtant, en interne, cette prise de position publique n’a pas été du goût de tous. D’autant que certains membres de l’Observatoire ont également participé à cette « mission laïcité » du HCI et en défendaient ardemment les conclusions… « Certains ont pensé claquer la porte », assure anonymement un membre de l’Observatoire estimant que le président était « en service commandé de l’Élysée pour surtout ne pas ouvrir un débat si sensible à la veille des élections municipales ».
L’entretien publié dans le Monde, où Jean-Louis Bianco présentait un premier « point d’étape » (à lire ici) de son Observatoire et assurait que « la France n’a pas de problème avec sa laïcité » avait, déjà, suscité quelques crispations. Parlant d’une « montée évidente de l’islamophobie » dans notre pays et rappelant que la France par ses lois d’interdiction était toujours « sur la défensive par rapport aux instances internationales », il s’y montrait très sceptique quant à la nécessité de légiférer à nouveau.
Patric Kessel, président du Comité Laïcité République et membre de l’Observatoire, s’était ainsi immédiatement fendu d’un communiqué pour souligner que « les propos de Jean-Louis Bianco n’engagent que lui ». Contacté par Mediapart, l’essayiste, et ancien patron du Grand Orient de France, connu pour ses positions extrêmes en matière de laïcité, confirme qu’il n’a pas non plus goûté qu’un « point d’étape » ait aussi été présenté à la presse alors même que l’Observatoire ne l’avait pas ratifié. « Il s’agissait d’un point sur l’avancée de nos travaux, sans recommandation. Mais que chacun se rassure, les débats auront bien lieu à la rentrée », affirme de son côté Jean-Louis Bianco.
« Pour apprendre à mieux se connaître », nous confie un membre de l’Observatoire, « un séminaire d’une journée est prévu à la rentrée avec tous les membres de l’institution. C’est certainement une bonne chose ». En espérant que la séance de team building ne tourne pas au vinaigre.
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