Officieusement, Frédéric Chatillon, l’ancien leader du GUD et vieil ami de Marine Le Pen est « parti se mettre au vert » à Rome. Et il ne devrait « pas rentrer à Paris avant 2017 », selon un proche. L’information judiciaire ouverte en avril sur les malversations présumées de sa société Riwal et le micro-parti de Marine Le Pen, dont il a été le prestataire de service presque exclusif, l’a poussé à s’éloigner, mais il en profite pour s’implanter en Italie, et y transférer le cœur de ses affaires.
Le 22 octobre, Frédéric Chatillon a en effet déposé à Rome les statuts de Riwal Italia SRL, reprenant ses activités de communication et de publicité déclarées à Paris. Et il a le projet d’ouvrir une structure commerciale en s’appuyant sur les réseaux de ses camarades italiens et des amis français appartenant au mouvement néofasciste CasaPound. Le mouvement italien est, avec les néonazis grecs d'Aube dorée, l’un des invités du GUD à un « congrès européen » des groupuscules néofascistes à Paris, le 22 novembre.
Ce meeting semble le point culminant d'une tournée promotionnelle en France, visant à présenter le « phénomène » CasaPound. L'un des porte-parole de l'organisation italienne, un proche de Chatillon installé à Rome, Sébastien Magnificat, donnait fin octobre des conférences à Paris, Bourges et dans le Berry ; et il a accordé en juillet une longue interview à la web télé d'extrême droite « TV Libertés ».
Fondé en décembre 2003 lors de l’occupation d’un immeuble vide à Rome, CasaPound – en référence au poète américain Ezra Pound – est devenu une référence de l’extrême droite radicale en France. Inspiré par le néofasciste Gabriele Adinolfi – longtemps exilé à Paris, ce fut une figure des années de plomb –, le mouvement CasaPound s’oppose à « l’invasion » étrangère, tout en offrant des circuits d’entraide réservés aux Italiens. L’autodéfense et le maintien de ses squats impressionnent tout particulièrement les Français. Mais la réciproque est aussi vraie, et l'on a vu CasaPound déployer en mai 2013 dans plusieurs villes italiennes des banderoles rendant hommage à l'essayiste français d'extrême droite Dominique Venner, après son suicide dans la cathédrale de Notre-Dame à Paris.
En décembre 2011, CasaPound prenait ses distances lorsqu'un de ses sympathisants, Gianluca Casseri, assassinait deux Sénégalais, et en blessait grièvement un troisième sur un marché à Florence avant de se donner la mort peu après. Un mois avant, lors d’une visite à CasaPound, le pamphlétaire Alain Soral s’était dit « très admiratif » du « modèle » social des Italiens. « C’est impressionnant de voir à quel point ils sont précis, efficaces, déclarait alors Soral. Ils ont un nombre de lieux en plus du lieu principal, restaurant, bar, magasin, galerie d’art, tout ça autogéré, très soigné. (…) Ils forcent le respect par leur travail de terrain, et surtout avec une dimension sociale très importante. » Son association Égalité et réconciliation a consacré plusieurs vidéos à CasaPound (ici et là), en vantant son rôle « de salut public ».
CasaPound continue de battre le pavé. En décembre 2013, plusieurs militants de l'organisation, dont son vice-président, ont été interpellés alors qu'ils tentaient d'arracher le drapeau de l'Union européenne au siège de la représentation européenne, à Rome. Le porte-parole français de l’organisation, Sébastien Magnificat – connu aussi sous le nom de Sébastien de Boëldieu –, est l’un des contacts du conseiller officieux de Marine Le Pen, Frédéric Chatillon, à Rome.
Il est à l’origine d’une ligne de vêtements et accessoires « nationalistes », Badabing shop, vendus en magasin et sur internet. « Sébastien est le contact privilégié de tous les mouvements en Europe, explique à Mediapart un membre du GUD. Il se déplace pour qui veut le rencontrer et apprendre ce qu’est la CasaPound. C’est une organisation qui balaie tout un panorama social, avec des gens de tous les âges, un grand réseau politique et citoyen, dont la logistique peut apporter beaucoup. » Début octobre, Frédéric Chatillon s'est affiché avec le porte-parole de CasaPound, au Scholars Lounge, un pub de Rome avec un autre ancien Gudard, Olivier Duguet, trésorier du micro-parti de Marine Le Pen jusqu'en 2012.
Si CasaPound verse dans le social, ses dirigeants sont aussi portés sur les affaires, et tout particulièrement dans la restauration haut de gamme. Ainsi Gianluca Iannone, l’actuel président du mouvement – ancien du MSI – , dont la présence est annoncée à Paris, est l’un des associés du restaurant « Osteria Angelino dal 1899 », devenu à Rome un des lieux d'agapes de l'extrême droite. Alain Soral s'y est rendu lors de sa visite à CasaPound, en 2011 (voir la photo). Frédéric Chatillon compte aussi parmi les fans de la page Facebook du restaurant. Cette chaîne marche à merveille et a ouvert trois autres restaurants : à Milan, Malaga et Lima. Celui de Milan, inauguré en septembre, est propriété conjointe de l’épouse de Iannone, et du chef de CasaPound Milan, Marco Clemente.
La promotion de produits gastronomiques haut de gamme est l’autre projet de Frédéric Chatillon à Rome. Avec sa société Riwal, l’ami de Marine Le Pen s’était déjà fait la main en publiant « Cigale Mag », ce gratuit distribué dans les Boulangeries artisanales parisiennes, et de nombreuses pages promotionnelles vantant les produits du terroir. Les milieux nationalistes parisiens bruissent de son idée d'ouvrir lui-même un lieu de commercialisation des produits français (pain, vin, foie gras, fromage, etc.), ce que l'intéressé dément jusqu'à présent.
Ce départ à Rome n'est pas qu'un choix personnel. La création de Riwal Italia SRL est en effet une décision de Riwal France, société animée par la galaxie des anciens du GUD. Les statuts italiens ont été validés par le bras droit de Chatillon, Jildaz Mahé O'Chinal, qui a co-fondé Égalité et réconciliation avec l'ancien avocat Philippe Péninque et Alain Soral. Riwal France a versé les 10 000 euros nécessaires à la constitution de sa branche italienne, dont l'objet est « la réalisation de campagnes publicitaires ».
Chatillon et son associé connaissent bien Rome, où ils entretiennent des contacts avec les néofascistes depuis leurs années au GUD. Ils ont d'ailleurs participé activement aux voyages de Marine Le Pen en Italie, en mars et octobre 2011, puis en 2012 (voir ce documentaire à 3'40).
Les opportunités d'affaires italiennes n'empêcheront pas Frédéric Chatillon de rester aux commandes de son réseau d'entreprises parisien. Sollicité par Mediapart, il se contente d'expliquer que « l'activité de Riwal Italia va se développer en dehors de la politique ». S'il reconnaît que Sébastien Magnificat est « un ami », « comme (il) en a dans de nombreux mouvements italiens tels que Forza Italia, Frateli d'Italia, Alliance Nazionale », il refuse de s'exprimer sur CasaPound, jurant ne rien savoir du « fonctionnement exact de cette organisation atypique ». « Croyez-vous vraiment que j'aurais choisi l'Italie pour me tenir à distance de l'information judiciaire en cours sachant que je suis pratiquement toutes les semaines à Paris ? » se justifie-t-il.
L'ancien leader du GUD affirme par ailleurs qu'il n'a « rien à voir ni de près ni de loin » avec le « congrès européen » organisé à Paris le 22 novembre. Ce rassemblement à l'initiative du GUD, dont le lieu ne sera communiqué qu'en dernière minute, réunira des mouvements européens de l'extrême droite la plus radicale (voir ci-contre). Parmi eux, CasaPound, mais aussi des représentants d'Aube dorée, parti néonazi grec dont l'état-major a été mis en cause pour l'assassinat d'un rappeur antifasciste en 2013.
Quatre-vingt-cinq de ses membres ou sympathisants présumés sont poursuivis depuis un an en Grèce. La totalité de ses députés est sous le coup de poursuites pour appartenance à « une organisation criminelle », conséquence de l'offensive judiciaire menée dans l'affaire du meurtre par l'un de ses membres. Le procès est attendu au début de l'année prochaine. Deux de ses militants ont par ailleurs été condamnés en septembre pour une attaque sanglante.
Par ce rassemblement, les organisateurs du GUD veulent présenter un « premier sommet de l'Europe réelle ». « Chaque formation parlera d'abord de la situation dans son pays, puis de sa doctrine, et enfin de la situation militante, de l'action au service de cette doctrine », annoncent-ils. Ils ont prévu « une conférence privée, suivie d'un concert » et affirment à Mediapart attendre « au minimum 700 personnes ».
À la préfecture de police de Paris, la tenue de ce rassemblement est prise « très au sérieux ». « Nous sommes en train d'expertiser le sujet, a indiqué à Mediapart Laurent Nunez, le directeur de cabinet du préfet de police. Cela va être un sujet compliqué en terme d'ordre public. » La préfecture de police redoute des rassemblements extérieurs.
BOITE NOIREFrédéric Chatillon a répondu à nos questions par mail. Le porte-parole de CasaPound, Sébastien Magnificat, n'a pas donné suite à notre demande d'entretien.
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