Le projet de loi de lutte contre le terrorisme déposé devant l’Assemblée avait été dénoncé comme liberticide par la quasi-totalité des associations de défense des droits de l’homme. Le texte, définitivement voté par les sénateurs ce mardi 4 novembre et donc adopté par le Parlement, a encore durci ce qui est désormais un dispositif de contrôle d’internet sans précédent en France.
Les appels et mises en garde de la Ligue des droits de l’homme, du Syndicat de la magistrature, de Reporters sans frontières, de la Quadrature du net ou encore du Conseil national du numérique n’auront eu aucun effet sur les parlementaires qui, lors du passage du texte devant les deux chambres, l’ont voté à chaque fois à la quasi-unanimité. À chaque examen de ce texte devant le Sénat puis devant la Commission mixte paritaire (CMP), dans le cadre d'une procédure d'urgence décrétée par le gouvernement, les élus ont même redoublé de zèle pour durcir le projet.
Dans un contexte médiatique marqué par la chasse aux « loups solitaires » qui menaceraient la France et par l’urgence à endiguer les vagues de djihadistes quittant le pays pour rejoindre les rangs de l’État islamique (EI), les élus ont fait sauter une partie des quelques exceptions et garde-fous prévus dans le projet de loi initial. Ce tour de vis a également été dicté par les États-Unis. Lundi 27 octobre, le coordinateur américain de la coalition internationale mise en place contre l’État islamique avait ainsi réuni au Koweït des représentants des pays membres pour « discuter des moyens de vaincre la communication de l’EI et de faire face à son activité (…) en ligne ».
Le texte, déposé par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, crée ainsi, dans son article 4, une nouvelle infraction dans le Code pénal « d’apologie du terrorisme » avec un nouvel article, le 421-2-5, infraction sanctionnée d'une peine de cinq années d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Outre le caractère particulièrement vague des notions tant « d’apologie » que de « terrorisme », cette disposition vise plus particulièrement internet : les peines sont aggravées et passent à sept années de prison et 100 000 euros d’amende.
L’article 5 consacre la figure du « loup solitaire » en ajoutant un autre article au Code pénal, le 421-2-6, sanctionnant « l’entreprise terroriste individuelle ». Celui-ci est censé permettre l’interpellation du suspect dès la phase de « préparation » de l’attentat. Pour caractériser un élément encore une fois aussi vague que l’intention de préparer un attentant, le législateur a prévu plusieurs conditions. La première sera « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». La seconde sera soit le fait de « recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes », soit de recevoir « un entraînement ou une formation » « au maniement des armes », « à la fabrication ou à l’utilisation d’explosifs » ou « au pilotage d’aéronefs », mais également de « consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorismes ou en faisant l’apologie ».
Lors du passage du texte devant la CMP, les parlementaires ont ajouté à cette liste un nouvel élément pouvant transformer les internautes en terroristes potentiels : « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support » un message incitant au terrorisme et que celui-ci soit « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». Cette disposition vise directement les réseaux sociaux et la pratique du retweet sur Twitter ou du partage de messages sur Facebook.
Concrètement, cela veut dire que posséder chez soi un produit pouvant entrer dans la composition d’un explosif et consulter un site, ou même retweeter un message considéré comme faisant l’apologie du terrorisme fera tomber l’internaute sous le coup de la loi. Conscients des dangers que cet article fait peser sur la liberté d’information, les députés avaient prévu un certains nombre d’exceptions. Avait ainsi été exclue de l’article 5 la consultation de sites qui résulte « de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. Ainsi, ce nouveau délit ne pourra entraver le travail des journalistes ou des chercheurs universitaires ».
Mais même cette dernière précaution a finalement été supprimée lors de l’examen du texte par les sénateurs. Ce sera donc au juge de déterminer si le journaliste ou le scientifique est un terroriste ou si cette consultation relevait bien de ses activités professionnelles.
Autre mesure phare de la nouvelle loi, l’article 9 étend le blocage des sites internet faisant l’apologie du terrorisme par une autorité administrative, sur le modèle du dispositif existant pour les sites pédophiles. L’Office central pour la lutte contre la criminalité informatique (OCLCTIC) aura désormais le pouvoir de demander aux éditeurs et hébergeurs le retrait de tout contenu considéré comme en faisant l’apologie. En cas d’absence de réponse sous 24 heures, cette demande sera transmise aux fournisseurs d’accès.
L’OCLCTIC sera aidé par une personne qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui sera chargée « de vérifier que les contenus dont l’autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ». Ce représentant de la CNIL n’aura qu’un pouvoir de recommandation mais pourra « saisir la juridiction administrative » « si l’autorité administrative ne suit pas » son avis.
Cette disposition a elle aussi été durcie par Bernard Cazeneuve lui-même via un amendement déposé à la dernière minute au Sénat et qui autorise également l’OCLCTIC à exiger des moteurs de recherche le déréférencement des sites faisant l’apologie du terrorisme.
Le nouveau dispositif de lutte contre le terrorisme prévoit de nombreuses autres dispositions comme la possibilité pour la police de perquisitionner des données stockées hors du domicile du suspect, c’est-à-dire sur le cloud (article 10), de faire appel à « toute personne qualifiée pour mettre au clair des données chiffrées » sur un ordinateur (article 11) ou encore introduisant la qualification « en bande organisée » comme circonstance aggravante des atteintes aux systèmes automatisés de données (article 12).
Comme lors de son premier passage au Sénat et à l’Assemblée, le texte a été une nouvelle fois, ce mardi, voté à main levée, à la quasi-unanimité des sénateurs socialistes, UMP, radicaux et centristes. Seuls le groupes communistes et écologistes ont voté contre, le Front national s'abstenant. Une union nationale résumée ainsi lors de l’examen du texte par le sénateur PS et vice-président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur : « Le contexte international justifie, hélas, ce texte », a-t-il déclaré. « Hélas »…
BOITE NOIREDans une première version de cet article, nous écrivions que le groupe écologiste s'était abstenu lors du vote.
Le vote ayant eu lieu à main levée, il n'existe aucune analyse détaillée du scrutin et cette information était basée sur une dépêche AFP. (consultable ici).
Or, il s'avère que, comme la cheffe de file des écologistes sur ce dossier Esther Benbassa nous l'a signalé, son groupe a voté contre. Ce vote a été exprimée lors de son intervention en séance plublique (consultable ici)
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