Des traces de TNT, un explosif utilisé dans les grenades utilisées par les gendarmes, ont été retrouvées sur les vêtements de Rémi Fraisse, le manifestant tué dimanche lors d’un rassemblement contre le barrage de Sivens, a annoncé mardi 28 octobre le parquet. « Ces résultats, même partiels orientent l’enquête de façon significative puisque la mise en œuvre d’un explosif militaire de type grenade offensive semble acquise », a précisé le procureur d’Albi Claude Dérens. Dans la foulée, le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a décidé de suspendre l'utilisation des grenades offensives.
Les résultent confortent également un peu plus l’hypothèse d’une bavure qui serait à l’origine de la mort de Rémi Fraisse. Arié Alimi, avocat de la famille de Rémi Fraisse, a ainsi déclaré à l’AFP : «L’hypothèse que nous soutenions depuis hier (lundi) se confirme. C’est bien une grenade offensive qui a été délibérément utilisée par les gendarmes dépendant du ministère de l’Intérieur et du ministère public».
Lundi, le parquet avait déjà confirmé que le corps du jeune homme présentait une « plaie importante située en haut du dos » et que celle-ci avait « été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion ». « La déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et que « la mort a été instantanée ».
C'est également ce lundi que le ministère de l’écologie dévoilait officiellement le contenu d’un rapport d’experts très critique sur le projet de barrage de Sivens (Tarn). Au même moment, des manifestants bataillaient contre les forces de l’ordre à Albi, et des rassemblements se tenaient dans plusieurs dizaines de villes en hommage à Rémi Fraisse, 21 ans, mort dans la nuit de samedi à dimanche lors d’affrontements avec les gendarmes mobiles. Plus de 600 personnes ont ainsi manifesté dans le centre-ville de Nantes, pour dénoncer la « violence d'État ».
Le drame tant redouté du côté de Notre-Dame-des-Landes s’est finalement produit dans la zone humide du Testet, occupée depuis des mois par des opposants au chantier. L’annonce du décès du jeune homme provoque une grande émotion chez les militants et sympathisants écologistes, exprimée toute la journée de lundi sur les réseaux sociaux. En quarante ans, seules deux autres personnes ont perdu la vie lors d’une action pour une cause environnementale : Vital Michalon, un professeur de physique-chimie de 31 ans, lors d’un rassemblement contre le réacteur nucléaire Superphénix, à Creys-Malville, en 1977 ; et Sébastien Briat, 22 ans, écrasé par un train de déchets nucléaires qu’il tentait d’arrêter, en 2004.
Cette tristesse s’est teintée d’indignation avec les témoignages de manifestants affirmant que Rémi Fraisse a pu être tué par un jet de grenade. Cette hypothèse n’est à ce stade « ni confirmée, ni infirmée » par les premiers résultats de l’autopsie. Quels que soient les résultats de l’enquête sur les conditions exactes du décès du jeune homme, cet événement tragique jette une ombre indélébile sur un projet de barrage dispendieux, destructeur de son environnement, au service d’une agriculture industrielle, entaché de conflits d’intérêts.
Ce projet a été porté à bout de bras, envers et contre presque tous, par le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, notable socialiste, tout juste réélu sénateur en septembre. « On ne peut que déplorer ce qui s'est passé, un décès est toujours atroce, a-t-il réagi lundi. Je suis très désolé de la tournure prise par les événements. Qui aurait imaginé un tel déchaînement ? » Il a aussi déclaré : « Mourir pour des idées, c'est une chose, mais c'est quand même relativement stupide et bête ».
Sur cet immense gâchis humain, écologique et économique, la ministre de l'écologie Ségolène Royal est jusqu’ici restée très discrète. Depuis l’annonce du décès, pas un mot de compassion, ou même de condoléances, n’est venu du gouvernement. Ce n'est que lundi soir, peu avant minuit, que le ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve a réagi dans un communiqué : « Je pense à la famille et aux proches de Rémi Fraisse, touchés par ce drame, et à leur peine. Ce gouvernement est attaché à ce que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette disparition. » Mardi matin, sur France Info, l'ex-ministre du logement et député écologiste Cécile Duflot a demandé une commission d'enquête sur les conditions de la mort du jeune homme qu'elle considère comme une « tache indélébile sur l'action du gouvernement ».
- Comment Rémi Fraisse est-il mort ?
Rémi Fraisse a été projeté au sol et tué sur le coup par une explosion. « La plaie importante située en haut du dos a été causée, selon toute vraisemblance, par une explosion », a affirmé Claude Dérens, le procureur de la République d’Albi, lundi, lors d’une conférence de presse. Des analyses du laboratoire de la police scientifique doivent encore établir si « une grenade, lancée depuis la zone où les gendarmes étaient retranchés » a pu être « à l’origine de l’explosion », a-t-il indiqué.
Selon le procureur, « la déflagration a été forte puisque le jeune homme a été projeté au sol de façon violente » et « la mort a été instantanée ». « L’objet à l’origine de l’explosion n’a pas entraîné de flamme » et « aucune trace de particule métallique ou plastique n’a été retrouvée dans la plaie », a-t-il ajouté. Claude Dérens n’a pas pour autant jugé utile de nommer un juge d’instruction, se contentant d'une enquête préliminaire sous son autorité directe. De son côté, la famille de Rémi Fraisse a annoncé son intention de déposer plainte pour homicide volontaire.
Contacté, Me Arié Alimi, l’un des avocats de la famille, dit penser « fortement à une grenade ». Lundi matin, le site d'information Reporterre a publié un témoignage en ce sens. « Il était à trente mètres de moi sur ma gauche, y affirme un jeune homme, qui dit s’appeler Camille. Je l’ai vu se faire toucher alors qu’il y avait des explosions à côté. Ils ont envoyé des grenades explosives, des tirs de flashballs. Après, cette personne s’est retrouvée à terre. » « Les militaires de la gendarmerie ne sauraient être mis en cause sur la seule base de témoignages, parfois anonymes, présentés par certains médias », a réagi dans un communiqué Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale. Selon la version des gendarmes relayée dans Le Monde, « à l’heure du décès de Rémi Fraisse, une seule grenade offensive aurait été lancée par les militaires » et les gendarmes s’interrogeraient « sur le contenu du sac à dos du défunt ».
Sur place, la journaliste de Reporterre a, elle, photographié dimanche une trace de sang, entourée de bleu, ainsi que des trous, causés selon elle par des impacts de grenade. Comment expliquer que la scène n’ait pas été protégée plus tôt à la suite de la mort de Rémi Fraisse ? « Toute la journée de dimanche, le site a été ouvert au public, affirme Pascal Barbier, un ami de Jean-Pierre Fraisse, père de la victime. Vers 16 heures, ce sont les opposants qui ont mis une barrière de sécurité autour du lieu de la mort de Rémi. À côté de la tache de sang, on a retrouvé son sac à dos avec ses papiers d’identité. »
- Que s'est-il passé le week-end dernier dans la vallée de Sivens ?
Rémi Fraisse venait de passer son BTS en environnement. Fils d’un élu apparenté Nouvelle Donne de Plaisance-du-Touch, dans l’agglomération toulousaine, le jeune militant était botaniste bénévole à Nature Midi-Pyrénées, une association affiliée à France Nature Environnement (FNE). « On ne lui connaissait aucune pathologie cardiaque et ce n’était pas un garçon organisé pour monter au combat, explique Me Emmanuel Pierrat, l’un des avocats de la famille. Il militait pacifiquement depuis des années. »
Chez les quelque 2 000 militants anti-barrage venus ce week-end de toute la France sur l'ancienne zone humide du Testet, aujourd’hui entièrement défrichée, l’émotion était intense lundi matin. Installés autour de la métairie, à une dizaine de minutes à pied du chantier du barrage où ont eu lieu les affrontements avec les gendarmes mobiles, beaucoup n’ont appris la mort du jeune homme que le dimanche matin au réveil.
Selon le communiqué de la préfecture du Tarn, il a été découvert vers 2 heures du matin par les gendarmes. Ceux-ci auraient repéré son corps gisant et fait une sortie pour le récupérer et le soigner. « Les gendarmes présents sur site étaient retranchés dans l’aire de stockage des engins de chantier et ont été attaqués en règle par le groupe de manifestants violents, approximativement une centaine qui jetaient des cocktails Molotov, des engins pyrotechniques et des pierres sur le grillage et à l’intérieur depuis l’extérieur », a affirmé dimanche soir le procureur de la République, Claude Dérens.
« Tout le samedi après-midi, il y a eu de gros nuages de fumée de l’autre côté, avec les policiers qui lançaient des bombes lacrymos, des grenades assourdissantes, raconte une jeune militante, venue des Alpes-de-Haute-Provence, sous couvert d’anonymat. Les gens n’étaient pas au courant de ce qui se passait. C’était censé être festif, il y avait de la musique. C'était bizarre comme ambiance. Il y a eu un appel sous le chapiteau où se tenaient les conférences, pour aller voir. Les gens ont fait une chaîne humaine pour s’y rendre. C’était totalement pacifiste. Mais les flics n’arrêtaient pas de balancer. »
Plusieurs personnes seraient reparties vers minuit à l’assaut des gendarmes. « Là, la réponse est disproportionnée : flashballs, grenades assourdissantes et invalidantes en tirs tendus, dit Pascal Barbier, qui s'appuie sur le récit de la compagne de Rémi Fraisse. Rémi s’est retrouvé dans ce groupe d’opposants qui ont mené une action musclée. Il était parti sans aucune protection. Il a pris un projectile. Il s’est effondré pendant une charge policière. Ils l’ont traîné pour le ramener derrière la ligne des forces de l’ordre. »
Contactée, la préfecture du Tarn n’a pas souhaité préciser le nombre de gendarmes mobiles déployés samedi soir, ni leurs objectifs. D’après plusieurs témoins, il ne restait pourtant plus grand-chose à protéger sur le chantier du barrage. Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional Midi-Pyrénées, précise que l’Algeco et le générateur installés avaient été incendiés. « Si bien que le samedi, il n’y avait plus rien à défendre sur la zone, dit-il. Pourtant ils ont fait venir des centaines de gardes mobiles. » Selon un spécialiste en biodiversité présent sur place, neuf camionnettes de gendarmes mobiles étaient ainsi stationnées autour de l’Algeco incendié, « entouré par une grille de 2,50 mètres ». « Sachant que c'était à l'extérieur, qu'il n'y avait rien à casser donc rien à protéger, pourquoi mettre des forces de l'ordre ? » s’interroge une source policière.
Ces dernières semaines, la répression exercée par les gendarmes s’était nettement durcie, au point que, le 20 octobre, plusieurs élus EELV, dont l'ex-ministre Cécile Duflot, ont, en vain, alerté le préfet d’Albi. Mediapart a notamment pu recueillir le récit d'Elsa Moulin, une militante de 25 ans, qui a failli perdre une main le 7 octobre. Elle a été grièvement blessée par une grenade de désencerclement jetée par un gendarme du peloton de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG) dans la caravane où elle s’était réfugiée avec trois autres militants. La scène a été filmée par l’un d’eux.
L’épisode est à l'époque passé inaperçu, malgré sa gravité. Ce matin-là, selon son récit, une trentaine de gendarmes du PSIG, casqués et en treillis, interviennent pour expulser trois caravanes sur la zone des travaux, dite « Gazab ». « Vers 15 heures, les gendarmes du PSIG ont commencé à s’équiper, raconte Elsa Moulin. Ils ont mis à bas un tipi avec des affaires communes, du matériel de bricolage, des bâches, ont fait un tas et y ont mis le feu. Ce n’était pas la première fois qu’ils détruisaient nos affaires. » Elle poursuit : « Les gendarmes étaient venus chercher un camping-car dont ils avaient embarqué le propriétaire la veille. Nous sommes montés sur le camping-car pour faire opposition. Ils nous ont virés brutalement, puis ils ont fait un périmètre de sécurité pour que la dépanneuse vienne le prendre. Trois d’entre nous se sont réfugiés dans une caravane, qui n’était pas sur une parcelle visée par l’arrêté d’expulsion. Les autres ont été gazés et expulsés du terrain. »
C’est alors qu’un gendarme lance une bombe lacrymogène sous une des fenêtres de la caravane. « On a mis une couverture pour se protéger, mais il l’a arrachée », dit Elsa. Sur la vidéo, on voit ensuite le gendarme en treillis, avec un équipement correspondant à celui des PSIG, crier : « À trois, je vous laisse partir. » « C’est pas expulsable, putain ! », lui répond un des militants. Le gendarme recule et répète : « Je vous laisse partir. Vous avez le choix », tout en commençant son décompte. Il sort du champ de vision de la caméra, puis on entend les militants hurler.
« Il a lancé une grenade sans voir où elle atterrissait, dit Elsa Moulin. Elle est tombée à un mètre de moi. J’ai cru que c’était une lacrymo, j’ai voulu la rejeter et elle a explosé. Avec la peur, je n’ai pas trop réfléchi. » Il s’agissait en fait, selon la jeune fille, d’une grenade de désencerclement. Cette arme de force intermédiaire provoque une forte détonation, ainsi que la projection de 18 galets en caoutchouc dans un rayon de 10 mètres. Selon les instructions des directeurs de la gendarmerie nationale et de la police nationale, elle peut être utilisée lorsque « les forces de l’ordre se trouvent en situation d’encerclement ou de prise à partie par des groupes violents ou armés ». « Son emploi en milieu fermé doit être limité à des situations particulières où les risques liés aux projections et à l’explosion sont réduits », prévoit cette directive, qui ordonne aux agents de s’assurer de l’état de santé de la personne après usage.
« Les gendarmes ne se sont absolument pas préoccupés de nous. On a rejoint la métairie où l'on a appelé les pompiers, raconte Elsa Moulin. On a été coupés à cause des brouilleurs de portable. » En état de choc, la jeune femme a été opérée le soir même à Albi, puis transférée à Toulouse. Sa main a été placée dans un caisson hyperbare pendant plusieurs jours. « Les vaisseaux sanguins ont explosé à l’intérieur de la main, ce qui détruit les tissus », explique-t-elle. Elle est aujourd'hui en rééducation : « Je pense pouvoir récupérer l'usage de ma main. »
Éducatrice spécialisée, Elsa Moulin a été présente sur la zone du Testet de mi-février à mi-avril. « On a eu assez peu d’affaires de violences, les rares fois où nous voyions des gendarmes, c’étaient ceux du coin et on pouvait dialoguer avec eux. » Mais selon elle, la tension est nettement montée à son retour sur la zone début octobre. Elle décrit des humiliations, insultes et provocations de la part des gendarmes du PSIG.
« Ils m’ont dit : “Ici, c’est une déchetterie, vous en faites partie et une déchetterie ça s’évacue” ou encore: “Toi ma grande, tu n’as rien pour toi”, relate-t-elle. J’ai aussi entendu : “Même mon chien, je ne le ferais pas vivre ici”. » Le blog du collectif Tant qu’il y aura des bouilles fait état de plusieurs personnes blessées par les gendarmes depuis septembre 2014. « Pour eux, nous n’avons aucune valeur, nous ne représentons rien, donc ça leur permet d’être violents, confie Elsa Moulin. Moi, je suis non violente. Notre force, c’est d’être toujours là, malgré les humiliations, malgré nos affaires détruites. Nous ne luttons pas contre eux, mais contre le barrage. »
Depuis des mois, les opposants au projet de barrage de Sivens dénoncent la destruction en cours de la zone humide du Testet, nécessaire à l’édification d’un barrage-réservoir de 1,5 million de mètres cubes d'eau, dans la vallée de Sivens, destiné à irriguer les exploitations agricoles avoisinantes, notamment de maïs.
- Pourquoi le barrage de Sivens est-il contesté ?
Les opposants viennent de recevoir un soutien de poids : l’avis très critique des experts mandatés par Ségolène Royal. « Le choix d’un barrage en travers de la vallée a été privilégié sans réelle analyse des solutions alternatives possibles, écrivent Nicolas Forray et Pierre Rathouis. Ceci est d’autant plus regrettable que le coût d’investissement rapporté au volume stocké est élevé. » Ainsi, « l’estimation des besoins a été établie sur des données anciennes et forfaitaires » : ils ont été surestimés d’environ 35 % selon eux. De plus, « le contenu de l’étude d’impact est considéré comme très moyen ».
Si bien que les deux experts concluent en souhaitant que « Sivens soit considéré comme le dernier projet d’une époque, première étape d’une évolution majeure ». Pour autant, ils considèrent qu'il serait difficile d’arrêter le chantier, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole ». Autrement dit : la collectivité est mise devant le fait accompli. D'après les experts, il est trop tard pour revenir en arrière.
Ce rapport est remis alors que la zone humide du Testet, qui couvre 13 hectares, a déjà en partie été détruite. Le boisement et la prairie ont été broyés. « Si les travaux s’arrêtent là, moyennant quelques opérations de génie écologique, les bois marécageux pourront redevenir ce qu’ils étaient dans 30 ou 40 ans », explique le responsable d’un bureau d’études qui connaît bien la zone. Dégâts réversibles, mais dégâts tout de même.
En visite sur le site, un bon connaisseur de la zone a découvert que sur les trois hectares de zone humide que l’État s’était engagé à préserver, un hectare a en réalité été très abîmé par le passage d’engins de chantier, le creusement d’un fossé et le déplacement de terre. Il dénonce l’amateurisme du conseil général et de la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), le maître d’ouvrage. Après la mort de Rémi Fraisse, la préfecture a informé le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet que les travaux ne reprendraient pas dans les prochains jours.
- Pourquoi les travaux ont-ils démarré en septembre ?
C’est en septembre qu’engins et pelleteuses ont rasé les arbres de la zone du Testet. « Il y a eu une accélération du processus », décrit François Simon, conseiller régional EELV, pour ne pas perdre les subventions accordées au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER). Si l’ouvrage n’est pas suffisamment avancé au 30 juin 2015, il risque de perdre cette aide européenne. Elle s’élève à 2 millions d’euros, soit un quart du coût total du projet, estimé à 8 millions d’euros environ.
Le président socialiste du conseil général, Thierry Carcenac, a reconnu devant les neuf élus écologistes qu’il a reçus fin septembre que le chantier était hors délais, et que cela posait un problème. « Les contraintes pour bénéficier des fonds européens (fin des travaux à l’automne 2015 et projet réalisé en une seule tranche) ont rendu nécessaire le démarrage du chantier début septembre du fait des retards déjà pris en raison de l’occupation du site par des opposants », reconnaît-il dans un communiqué. Mais il ajoute que « contrairement aux propos tenus par certains à l’issue de cette rencontre, ni la réalisation de cette retenue, ni l’octroi de l’aide européenne de 2 millions d’euros ne sont aujourd’hui remis en cause ».
Ce n’est pas le seul problème. Les experts soulèvent une anomalie : le FEADER ne peut s’appliquer qu’aux projets qui n’augmentent pas les prélèvements des réserves en eau du territoire concerné. Or ce n’est pas le cas du barrage de Sivens qui, s’il est construit à la dimension prévue aujourd’hui, étendrait le bassin d’irrigation. « La mission s’interroge sur la compatibilité du financement actuellement retenu » avec les critères d’attribution de la subvention. « C’est une situation aberrante » pour François Simon.
« La retenue de Sivens est un projet d’aménagement équilibré d’un territoire qui vise à permettre le maintien d’une activité agricole raisonnée et la restauration d’un bon état écologique de l’eau », explique Thierry Carcenac dans un communiqué. « Reconnue d’intérêt général, elle est indispensable pour l’avenir. Comme je l’ai répété à plusieurs reprises, je suis tout à fait prêt à examiner les propositions permettant de donner des garanties plus grandes concernant le partage et l’usage de l’eau ainsi que sur les conditions de gestion de cette retenue de substitution. Ce projet n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre dans la précipitation mais a fait l’objet d’une longue instruction administrative, technique et financière. »
- Y a-t-il eu passage en force ?
Interrogés par téléphone, plusieurs élus écologistes dénoncent pourtant le passage en force du conseil général et de la préfecture. « Il y a eu une présence violente des gendarmes, explique ainsi François Simon, conseiller régional. Les gardes mobiles sont allés en permanence provoquer les jeunes zadistes, qui se sont fait molester, ont reçu des tirs de flashballs et de lacrymos. C’est toute une ambiance, une logique de guérilla, depuis des semaines. » Des pneus de voiture auraient été crevés, des vitres brisées et des vêtements brûlés par des gendarmes.
Ainsi, la « maison des druides », occupée par des « militants pacifistes », selon Guillaume Cros, président du groupe EELV au conseil régional, très présent sur le terrain, a subi douze interventions de gendarmes pendant les dix jours qu’a duré l’occupation, « alors qu’ils n’avaient pas le droit d’intervenir » hors décision judiciaire. Lors d’une réunion, l'élu a eu la surprise d’entendre le directeur du cabinet du préfet dire que des drapeaux de l’État islamique ont été vus dans les rangs des opposants. « Ils sont dans des fantasmes. » Début octobre, des opposants décident d’occuper le conseil général. Guillaume Cros s’y rend, ceint de son écharpe tricolore, et s’en fait expulser manu militari par les policiers. Après coup, un agent l’invective : « Élu ou pas élu, je t’emmerde. »
Ailleurs, à Fonlabour, c’est un lycée agricole qui a été réquisitionné pour héberger des gardes mobiles, alors que les élèves s’y trouvaient. Si bien que des gendarmes ont été vus prenant leur repas à la cantine, avec leurs armes. Pour François Simon, « il y a eu une obstination, une fermeture, un jusque-boutisme absolument dramatique ». Et une logique de clan assiégé des élus socialistes, dont aucun ne s’est élevé contre la réalisation du barrage à marche forcée.
L’ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, s’est rendue sur place la semaine dernière. Elle raconte à Mediapart qu’« ayant assisté à plusieurs mobilisations comme Notre-Dame-des-Landes, j’ai été très surprise des méthodes des gendarmes. Ils (les opposants locaux) m’ont raconté, vidéos et photos à l’appui, que les gendarmes ont volé des affaires d’escalade et fait un feu avec. Ils ont détruit la nourriture des gens, piétiné des affaires. Ça a été très violent et provocateur. Nous avons alerté le préfet que nous avons rencontré. Il n’avait jamais rencontré le chef des opposants locaux, qui est un militant EELV, pas un zadiste. Puis, de retour à Paris, mardi, nous avons fait part de nos craintes à tout le monde ». Sans effet.
BOITE NOIRECet article, initialement mis en ligne lundi soir, a été depuis actualisé à plusieurs reprises. Dernière actualisation: l'annonce du parquet d'Albi que des traces de TNT, un explosif utilisé dans les grenades utilisées par les gendarmes, ont été retrouvées sur les vêtement de Rémi Fraisse.
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