L'Allemand Martin Schulz peut respirer : la « grande coalition » entre conservateurs et sociaux-démocrates, dont il est l'un des défenseurs acharnés, et qui lui a permis de rempiler cet été à la tête du parlement européen, a tenu bon. Une majorité confortable d'eurodéputés – 423 sur un total de 699 présents – a donné son feu vert, mercredi à Strasbourg, à la prochaine commission de Jean-Claude Juncker, qui doit entrer en fonction début novembre.
Ce vote clôt un long et périlleux processus institutionnel qui s'est ouvert en mai, avec des élections européennes marquées par une poussée des votes contestataires. « À l'heure où les citoyens perdent la foi dans nos institutions, où les extrémistes de gauche et de droite nous mettent l'épée dans les reins et où nos concurrents prennent des libertés à notre endroit, il est temps de donner un souffle nouveau au projet européen », a déclaré l'ex-premier ministre luxembourgeois, mercredi en amont du vote.
Juncker avait déjà rassemblé le 15 juillet, sur sa seule personne, un volume de voix à peu près identique (422) – Schulz avait fait un peu moins bien quelques jours plus tôt (409). Tout se passe donc comme si les auditions de commissaires, dont certaines avaient été très chahutées, début octobre, n'avaient pas changé grand-chose à l'affaire : Juncker pourra compter sur une majorité stable d'un peu plus de 400 voix (sur un total de 754 eurodéputés) pour les cinq années à venir. C'est un peu moins bien que ce qu'avait obtenu José Manuel Barroso (le Portugais avait attiré 488 voix il y a cinq ans).
Il aura suffi à Juncker de procéder à quelques micro-ajustements pour apaiser les tensions entre PPE (droite, premier groupe au parlement) et S&D (sociaux-démocrates, deuxième force). La première candidate slovène, une libérale, qui n'avait pas convaincu, est remplacée par le Slovaque Maros Sefkovic, pour occuper la vice-présidence à l'union énergétique. Une nouvelle commissaire slovène, Violeta Bulc, hérite des transports. Dernière modification, à la marge : le très controversé Tibor Navracsics, proche du Hongrois Viktor Orban, conserve l'essentiel de ses attributions (éducation, culture, jeunesse, sport), à l'exception de la « citoyenneté », qui revient désormais au commissaire grec chargé de l'immigration.
L'Espagnol Miguel Arias Cañete, qui paraissait bien mal parti, a sauvé sa peau, et sera le prochain commissaire au climat et à l'énergie. Il détenait, il y a encore quelques semaines, des parts dans des sociétés pétrolières. L'ex-lobbyiste britannique Jonathan Hill est quant à lui confirmé à la régulation financière. Tandis que Pierre Moscovici, « bête noire » de nombreux élus à cheval sur la rigueur budgétaire, sera bien, pour sa part, commissaire aux affaires économiques et monétaires, et à la fiscalité.
Qui a voté quoi ? Dans le détail (télécharger ici la liste nominale des votes), la quasi-intégralité du PPE (le premier groupe de l'hémicycle, auquel appartient l'UMP) a voté pour le nouvel exécutif, à l'exception de deux élus, dont Rachida Dati. L'ex-garde des Sceaux estime que certaines des auditions de commissaires « n'ont pas été convaincantes » : « Les petits arrangements entre amis, derrière des portes closes, ont tué la crédibilité de l’Europe et ont entraîné le rejet des peuples. Allons-nous continuer à risquer de mener l’Europe à sa perte ? » s'interroge l'eurodéputée.
Les libéraux emmenés par l'ex-premier ministre belge Guy Verhofstadt, auxquels sont rattachés les sept élus UDI-Modem (Marielle de Sarnez, Jean-Marie Cavada, etc.), se sont majoritairement prononcés pour Juncker et son équipe – à l'exception de quelques abstentionnistes (des Allemands et des Espagnols, en particulier). « Voter contre cette commission ne ferait qu'ajouter le désordre institutionnel à la crise économique et sociale », juge Sylvie Goulard, qui parle d'un vote de « responsabilité », même si elle reconnaît que « plusieurs commissaires ne (l)'ont pas convaincue ».
Comme souvent à Bruxelles, les sociaux-démocrates sont, de loin, le groupe le plus fragmenté : une majorité d'élus a voté pour, une vingtaine d'autres se sont abstenus (dont toute la délégation espagnole), et une dizaine d'autres ont voté contre. Chez les Français, comme Mediapart l'avait anticipé, les élus PS ont voté de manière éclatée. Pervenche Berès, à la tête de la délégation française, a voté pour, tout comme Sylvie Guillaume, Gilles Pargneaux ou Vincent Peillon. À l'inverse, quatre socialistes, représentants de l'aile gauche du parti, ont choisi de voter contre : Guillaume Balas, Édouard Martin, Emmanuel Maurel et Isabelle Thomas.
Le 15 juillet, les treize élus PS avaient réussi à s'entendre sur une position commune (abstention sur Juncker) – mais cette unité n'a pas tenu. « Qu'ils aient voté en faveur ou pas, les membres de la délégation partagent tous le même objectif : réorienter l'Europe », se défend-on côté PS. Le « dilemme » socialiste est toujours le même. Aux yeux de certains, il est impossible de valider certains commissaires douteux comme l'Espagnol Cañete. D'autant que les sociaux-démocrates, d'après eux, n'ont pas obtenu suffisamment de portefeuilles de premier plan dans le futur exécutif de Juncker.
« Voter pour cette commission, ce serait accepter une coalition sous domination de la droite. Ce serait renoncer à coaliser les forces de gauche. Cela reviendrait à laisser aux nationalistes la seule alternative possible », avançait Guillaume Balas pour justifier son vote. À ses yeux, Juncker et son équipe n'ont donné « aucune clarification sur la relance économique ».
À l'inverse, les défenseurs du « oui » au sein du PS insistent sur le rôle clé de deux futurs commissaires sociaux-démocrates : en plus de Moscovici donc, ils pensent au Néerlandais Frans Timmermans, qui sera le bras droit de Juncker. Ils estiment aussi que c'est en votant pour la future commission que leur voix sera le mieux entendue, dans les mois à venir, pour « améliorer » le fameux paquet de mesures de relance, chiffrées (un peu vite) à « 300 milliards d'euros », que la commission s'est engagée à présenter « d'ici Noël ». Ils jugent enfin qu'un vote "contre" risquerait d'ouvrir une nouvelle crise institutionnelle à Bruxelles, qui profiterait un peu plus aux adversaires du projet européen, FN en tête.
Sans surprise, les élus français du Front national (le plus important contingent français à Strasbourg, dont 20 étaient présents sur 23 mercredi) se sont opposés à la future commission Juncker. Les élus EELV et Front de gauche ont aussi refusé de soutenir le futur exécutif. Il faut signaler que Younous Omarjee, un élu de l'Union pour les Outre-mer, proche de Jean-Luc Mélenchon, a choisi de s'abstenir. Au total, 35 eurodéputés français ont voté contre, et un autre s'est abstenu, sur 70 présents.
Et maintenant ? Après un conseil européen en majorité consacré à l'énergie, en fin de semaine à Bruxelles, la commission de Jean-Claude Juncker va prendre ses fonctions le 3 novembre. Avec deux gros dossiers à suivre, sur le front économique. Un, le méga-plan de relance promis par Juncker, d'ici la fin de l'année, sur fond d'assèchement du budget de l'UE. Deux, la gestion de l'épineux dossier du budget français, qui devrait durer tout le mois de novembre.
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