Le signal politique est très fort. Traditionnellement, le vote du budget est l'occasion de faire apparaître à l'Assemblée nationale la solidité d'une majorité. Ce mardi 21 octobre, c'est la fragilité de la majorité actuelle qui est apparue en plein jour. La première partie du budget 2015 (son volet recettes), qui prévoit 21 milliards d'économies, n'a été approuvée qu'avec 21 petites voix d'avance. Avec 245 voix contre et 266 pour, le gouvernement Valls n'obtient que 10 voix au-dessus de la majorité nécessaire, lui qui, en théorie, détient une majorité absolue des sièges à l'Assemblée nationale.
Ce vote est le premier d'ampleur depuis le remaniement de la fin août et le départ de poids lourds réclamant une réorientation de la pollitique économique menée par François Hollande et Manuel Valls. Il intervient juste après la sortie musclée de Martine Aubry, qui a expliqué dimanche dans Le JDD « partage(r) les propositions » économiques des frondeurs : ciblage des 41 milliards d'aides aux entreprises accordées d'ici 2017, soutien à l'investissement des collectivités locales, grande réforme fiscale, etc.
De toute évidence, il traduit les doutes et les exaspérations d'une majorité qui, même sur les textes les plus importants, ne concède désormais son soutien que de justesse. De quoi inquiéter l'exécutif, alors que le gouvernement va devoir faire voter dans les semaines à venir le volet dépenses du budget et la loi de financement de la sécurité sociale.
Sur les 56 abstentions recensées, 14 viennent des rangs écologistes et 39 des sièges socialistes. La seule fois où autant de députés PS se sont abstenus, c'était le 30 avril, lors du vote du pacte de stabilité, le paquet de 50 milliards d'économies d'ici 2017. Ils étaient alors 41, 2 de plus. À l'époque, les responsables de la majorité s'étaient rassurés en se disant que ce vote n'étant qu'indicatif, les députés s'étaient « lâchés ». Cette fois, impossible pour eux d'avoir la même grille de lecture.
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Comme d'habitude depuis six mois et le début de la rébellion d'une partie de la majorité contestant les choix économiques du gouvernement, les meneurs de la « fronde » (les aubrystes Christian Paul et Jean-Marc Germain, l'ex-strauss-kahnien Laurent Baumel) et les députés des ailes gauches du PS se sont abstenus. Mais ils sont rejoints par de nouveaux refuzniks. Comme Patrice Prat et Arnaud Leroy, des députés proches d'Arnaud Montebourg, qui n'est pas parlementaire. Ou les anciens ministres Benoît Hamon, Aurélie Filippetti, qui ont quitté le gouvernement fin août et sont redevenus députés. Ou Delphine Batho, ancienne ministre de l'écologie limogée en juillet 2013 :
Par ailleurs, certains députés notoirement critiques, et qui s'étaient par exemple abstenus cet été sur le fameux « pacte de responsabilité » de François Hollande, ont voté pour. Ce qui est à la fois une bonne nouvelle pour le gouvernement, mais aussi un facteur d'inquiétude : qui peut en effet garantir qu'ils feront de même dans les prochaines semaines ?
« Ça promet sur la deuxième partie, les dépenses ! La chasse aux frondeurs peut débuter ! » s'est moqué, dans les couloirs de l'Assemblée, l'UMP Philippe Gosselin, dont les propos ont été rapportés par l'AFP.
Ces derniers jours, la discussion a été très agitée. Faute de disposer d'une majorité à certains moments sur des votes de peu d'importance, le gouvernement a dû par deux fois décaler des scrutins en demandant la « réserve des votes », un signe du peu d'entrain des députés socialistes. Mis en minorité sur trois votes, il a même dû faire, ce mardi matin, revoter les députés sur certaines dispositions.
L'abstention de députés qui faisaient encore partie du gouvernement il y a quelques semaines, et avaient accepté dans leur fonction le cadre budgétaire contraint qu'ils contestent aujourd'hui, a suscité des réactions très hostiles au PS et de la part de responables de l'exécutif. Et mercredi matin, la tension est montée brutalement.
Sur RTL, le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, s'est dit « choqué » par le fait que "deux ministres de la République qui ont quitté le gouvernement et qui avaient accepté les arbitrages budgétaires au mois de juillet se soient abstenus ». « Ceci pose un problème éthique. Ce n'est pas loyal par rapport à son camp, ce n'est pas une bonne image par rapport à la politique », a poursuivi Cambadélis.
Réponse immédiate, et violente, des intéressés. Sur itélé, Aurélie Filippetti affirme n'avoir « aucune leçon à recevoir de qui que ce soit » et dénonce la « mauvaise foi » de l'exécutif et des responsables socialistes. Quant à Benoît Hamon, il affirme sur RFI que s'il s'est abstenu, c'est parce que la politique du gouvernement « réduit les capacités d'intervention de la puissance publique ». Et assure même qu'elle « menace la République. Et la menace de la République, c'est la préparation tout droit, comme on s'y prépare pour 2017, d'un immense désastre démocratique (...) non seulement l'arrivée au second tour de la présidentielle de Marine Le Pen sans coup férir, mais en plus la menace que demain, elle dirige le pays. »
Sur BFMTV, le porte-parole du gouvernement Stéphane Le Foll déplore à son tour dans ce vote un « manquement au devoir ». « Il serait cohérent que Benoît Hamon quitte le parti socialiste. (...) Il va trop loin, il peut avoir des sentiments et des critiques, mais une limite a été franchie. »
BOITE NOIREL'article, publié mardi soir, a été réactualisé après les déclarations de plusieurs ministres, ex-ministres et responsables PS.
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