La publication l’an dernier des résultats de l’enquête PISA, consacrant le système scolaire français comme le plus inégalitaire des pays de l’OCDE, avait créé un électrochoc. La France découvrait qu’en dépit de ses discours et postures républicaines, elle était devenue le pays où les résultats scolaires sont le plus corrélés au milieu social d’origine.
La dernière livraison de statistiques produites par la DEPP (Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance du ministère de l'éducation) sur l’état de l’école détaille à la fois le niveau de financement, le fonctionnement et les résultats du système scolaire français. Surtout, elle apporte un éclairage particulièrement intéressant sur la manière dont la crise scolaire croise la crise sociale et l’alimente.
Si globalement le pays parvient à emmener un nombre important de jeunes vers une qualification générale (72 % de la population des 20-24 ans en 2013 a le bac), avec sur ce point un considérable effort depuis trente ans, le nombre de laissés-pour-compte du système – ceux qui le quittent avec peu ou pas de qualification – est, lui, très préoccupant. Il explique d’ailleurs en grande partie la contre-performance de la France aux tests PISA puisqu’elle continue, par ailleurs, et semble s’en satisfaire, de former une petite élite de très bon niveau. « Ce petit nombre de jeunes très bien formés ne compense pas le fait que le wagon de queue est trop important », résume Catherine Moisan, la directrice de la DEPP.
Si les 20-24 ans possèdent un niveau de diplôme plus élevé que le reste de la population, les jeunes très peu qualifiés (aucun diplôme ou juste le brevet) représentaient l'an dernier 14 % de cette tranche d’âge. L’étude publiée ce vendredi 17 octobre montre ainsi que 9 % des élèves sortent du système avant d’avoir atteint une classe diplômante (CAP/BEP/bac/brevet professionnel). Depuis plus de dix ans, le nombre des « décrocheurs », avec de légères variations, stagne. Et ce sont donc entre 140 000 et 150 000 jeunes qui, chaque année, quittent l’école sans aucun diplôme.
Dans le contexte économique actuel, précise la directrice de la DEPP, « le danger de se retrouver au chômage quand on n’a pas de diplôme n’a jamais été aussi fort ». Un à quatre ans après avoir quitté leur formation initiale, 10 % des diplômés du supérieur sont au chômage, contre 25 % pour ceux qui n’ont que le bac ou un CAP/BEP. Et ils sont 49 % lorsqu’ils n’ont que le niveau brevet ou rien. « Nous avons 900 000 jeunes aujourd’hui en stock qui ne sont ni en formation ni en études et qui ne cherchent pas d’emploi. C’est une vraie préoccupation économique et sociale. » Leur profil est évidemment variable et recouvre des situations contrastées, du jeune qui veut prendre une année sabbatique à la jeune mère au foyer ; leur nombre montre quand même avant tout le découragement des peu ou pas diplômés à entrer sur le marché du travail.
Ce taux de jeunes ni en études, ni en formation, ni en emploi, les NEET (« not in employment, education or training », un indicateur européen mesuré depuis 2010) représente en France 15 % des 15-29 ans, comme l’avait récemment montré une étude du Conseil d’analyse économique soulignant les faiblesses de l’enseignement professionnel comme « de l’accompagnement vers l’emploi des jeunes les moins qualifiés ».
Avoir un diplôme professionnel ne protège pas toujours du chômage. « En 2013, trois ans après leur sortie du système scolaire, 22 % des jeunes actifs sont en recherche d’emploi, plus haut niveau observé dans les enquêtes d’insertion du Cereq. Face à la crise les écarts entre niveau de diplôme se creusent et les peu diplômés s’insèrent de plus en plus difficilement. » Pour les titulaires d’un BEP/CAP, l’insertion professionnelle s’est très nettement dégradée en dix ans, passant de 17 % de taux de chômage après trois ans à 31 %.
L’intérêt de l’enquête de la DEPP est de montrer comment l’incapacité de l’école à résorber en amont le taux d’élèves faibles – le talon d’Achille du système français – nourrit cette crise sociale. « Nous avons comme caractéristique d’avoir un noyau dur d’élèves en difficulté qui ne diminue pas », souligne Catherine Moisan.
Le destin scolaire des élèves les plus faibles se fige de plus très tôt puisqu’en fin de CM2, 30 % des élèves ne maîtrisent pas « les principaux éléments de mathématiques », et 20 % n'ont pas la « maîtrise de la langue française ». Des lacunes qui, on le sait, sont ensuite difficilement rattrapables et suscitent des départs précoces de l’école.
Le lien entre échec scolaire et difficulté à s’insérer professionnellement est d’autant plus choquant en France que les inégalités sociales pèsent bien plus fort qu’ailleurs. Les chances d’acquérir les savoirs de base dans les établissements de l’éducation – où se concentrent les difficultés sociales – sont ainsi bien moindres que dans les établissements « classiques », montre l’enquête. « Nous sommes plus inégalitaires que le Royaume-Uni ou l’Allemagne, des pays qui nous ressemblent et où il y a des inégalités comme chez nous, des ghettos urbains comme chez nous », précise la directrice de la DEPP.
Le sous-financement de l’école primaire, rappelé par l’enquête, est évidemment une nouvelle fois pointé du doigt. Pour la directrice de la DEPP, il y a surtout une difficulté en France à penser l'école en termes de « réussite collective ». « Si l'on continue à percevoir l’école comme une somme d’intérêts particuliers, à penser à la réussite de son enfant uniquement, les inégalités vont augmenter », ajoute-t-elle.
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