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Affaire kazakhe : la justice piste des archives du conseiller de Sarkozy

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À l’Élysée, il a été le chef d’orchestre de l’affaire kazakhe. Damien Loras, aujourd’hui consul général de France à São Paulo, est l’homme qui a coordonné les efforts de l’équipe Sarkozy afin de venir en aide à l’oligarque kazakh Patokh Chodiev, proche du président Noursoultan Nazarbaïev, mis en cause dans une affaire de corruption en Belgique. L’intervention de l’Élysée avait pour objectif l’obtention des marchés de vente d’hélicoptères et de satellites français au Kazakhstan, effectivement signés en 2011.

Selon les informations de Mediapart, les juges Roger Le Loire et René Grouman, chargés de l’information judiciaire ouverte pour « corruption d’agents publics étrangers » et « blanchiment en bande organisée », ont officiellement demandé, le 9 octobre, les archives de Damien Loras à la présidence de la République. Une partie de ces documents sont couverts par le secret défense, leur a-t-on indiqué. L’ancien conseiller diplomatique a indiqué à Mediapart avoir laissé dans un coffre de l’Élysée deux montres – l’une d’elles d’une valeur de 44 000 euros – que lui avait offertes l’oligarque Patokh Chodiev, en septembre 2009. Des vérifications sont en cours sur ces cadeaux ; deux montres ayant effectivement été retrouvées en 2012 dans un coffre de la cellule diplomatique. L’ancien conseiller de Sarkozy a aussi confirmé à Mediapart avoir été invité en croisière par Chodiev à l’été 2012.

Le président Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy, en octobre 2009.Le président Nazarbaïev et Nicolas Sarkozy, en octobre 2009. © Dr

Début octobre, les magistrats avaient déjà procédé à plusieurs mises en examen, dont celle de Me Catherine Degoul, l’avocate en France de Patokh Chodiev, qui aurait, selon Le Monde, versé à partir de son propre compte une somme de 300 000 euros à l’ancien préfet Jean-François Étienne des Rosaies, chargé de mission à l’Élysée de 2007 à 2010. Ce dernier a été placé en garde à vue, ainsi qu’une secrétaire particulière de Claude Guéant, en septembre.

Mercredi, des perquisitions ont été conduites au domicile et au bureau du sénateur-maire UDI de Marsan (Gers) Aymeri de Montesquiou, ainsi que l’a révélé Libération. Le sénateur, qui a été le « représentant spécial du président Nicolas Sarkozy pour l’Asie centrale », assure s’être occupé « politiquement » du « dossier des hélicoptères », pour « convaincre les Kazakhs de choisir EADS », mais n’avoir « jamais entendu parler des commissions ».

Le document qui accable le premier cercle sarkozyste est un rapport « très confidentiel » de l’ancien préfet Étienne des Rosaies à Claude Guéant, dévoilé par le Canard enchaîné en 2012 et mis en ligne par Libération la semaine dernière. Rédigé le 28 juin 2011, ce document indique noir sur blanc que lors de « l’entretien en 2009 entre le PR (Nicolas Sarkozy – ndlr) et le président Nazarbaïev », le chef d’État kazakh a « sollicité l’aide de la France pour tenter de sauvegarder en Belgique les intérêts judiciaires et économiques de "son" principal homme d’affaires Patokh Chodiev ». Étienne des Rosaies se félicite d’avoir obtenu avec son « équipe », « toutes les décisions de justice favorables et définitives en faveur de P. Chodiev et de ses associés : M. Maskevitch (Alexander Mashkevitch – ndlr) – M. Ibrahimov (Alijan Ibragimov – ndlr) – (dit le "trio") ». L’ancien préfet annonce aussi l’autre versant de son succès : « P. Chodiev (…) m’a assuré de sa gratitude pour notre succès concernant sa situation judiciaire en Belgique et il soutiendra Eurocopter. » Par l’entremise de l’ancien vice-président du Sénat belge, Arnaud de Decker, « l’équipe » de l’Élysée parvient en effet à faire adopter un nouveau texte de loi autorisant la transaction pénale en mai 2011, et tirant d’affaire l’oligarque et ses amis.

La synthèse d’Étienne des Rosaies met l’accent sur le rôle « pilote » de Damien Loras. « Lorsque D. Loras, "officier traitant" de P. Chodiev, m’a sollicité pour trouver un avocat d’affaires international – j’ai immédiatement suggéré Catherine Degoul (…) avec laquelle nous avons monté une équipe technique (judiciaire et financière) et politique en France et en Belgique. »

« La France n'a rien à reprocher à Chodiev et je ne vois pas en quoi j'aurais dû m'interdire de rencontrer quelqu'un qui a accès au numéro un d'un pays… », expliquait Damien Loras, l’ancien conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy, en 2012.

Selon la chronologie reconstituée par Mediapart, le diplomate gère ce dossier d’amont en aval et ce, depuis septembre 2008, date de sa première rencontre avec Patokh Chodiev, au Plaza Athénée. Le clan Sarkozy est aussitôt mis dans la boucle. En janvier 2009, au restaurant « Chez Laurent », Damien Loras présente ainsi Pathok Chodiev à l’un des plus proches amis du président français, Nicolas Bazire, directeur du groupe Bernard Arnault. « C’était un déjeuner business, explique Nicolas Bazire. Nous n’avons pas de représentant au Kazakhstan. J’ai dû parler de sacs à main. C’est le travail des conseillers de zone de présenter les entreprises. »

Le 23 juillet 2009, Loras est introduit auprès de Noursoultan Nazarbaïev, dans la luxueuse demeure de Patokh Chodiev du Cap Ferrat, en compagnie de Jean-David Levitte. Les deux diplomates préparent la visite de Nicolas Sarkozy au Kazakhstan, prévue pour les 5 et 6 octobre suivants, les contrats d’EADS pour les hélicoptères et les deux satellites d’observation. Pathok Chodiev et ses amis Alexander Mashkevitch et Alijan Ibragimov sont tous trois présents dans la villa. Il semble que l’équipe de l’Élysée tente de favoriser Thalès, au détriment d’EADS, durant cette période.

En septembre, Damien Loras reçoit deux montres de l’oligarque ainsi qu’il l’a confirmé à Mediapart, et il prend part au dîner offert par Chodiev à l’Ambroisie. Un autre proche de Nicolas Sarkozy est à table : Patrick Balkany, qui fera par la suite plusieurs déplacements en Afrique aux côtés de Chodiev. Le diplomate assure avoir « ramené ces montres » à son bureau, deux jours après les avoir reçues, et en avoir rendu compte à son patron. « Depuis ce même jour, elles sont dans un coffre à l’Élysée », assure-t-il.

Nicolas Sarkozy, et Damien Loras au centre, lors d'une réunion avec la présidente argentine Cristina Kirchner.Nicolas Sarkozy, et Damien Loras au centre, lors d'une réunion avec la présidente argentine Cristina Kirchner. © DR

Loras ne fait pas que des relations publiques puisqu’il rejoint la délégation d’industriels français à Astana, fin septembre, quelques jours avant la visite « éclair » de Nicolas Sarkozy sur place, le 6 octobre, et que le 10 décembre 2009, il réunit Étienne des Rosaies et l’avocate Catherine Degoul, au sujet des ennuis judiciaires de Chodiev en Belgique.

En mars 2010, l’ombre d’un différend entre les industriels et l’un de leurs intermédiaires se fait jour : Claude Guéant reçoit un mail accusateur au sujet des montres offertes à Damien Loras… Mais l’épisode reste apparemment sans suite. Le diplomate se dit victime « d’un imposteur », écarté par l’Élysée, « se faisant passer pour un intime des plus hautes autorités françaises auprès des Kazakhs et pour un proche des plus hautes autorités kazakhs auprès des autorités françaises », explique Me Frank Berton, l’avocat de Damien Loras.

Le président Nazarbaïev est reçu en France les 26 et 27 octobre 2010, pour y signer des contrats commerciaux dont le montant est évalué alors par l’Élysée à « plus de 2 milliards d'euros ». Au menu, la vente de 295 locomotives par Alstom, pour 1,6 milliard d'euros, et de 45 hélicoptères EC145 produits par un joint-venture entre Eurocopter et Kazakhstan Engineering, pour 300 millions d'euros. Astrium, la division espace d'EADS, a aussi remporté un contrat de 100 millions d'euros pour la construction d'un centre d'assemblage de satellites à Astana, tandis qu'Areva finalisait un contrat avec Kazatomprom pour la construction, via un joint-venture à 49-51 %, d'une usine de combustible nucléaire pour produire de l'électricité.

Le 27 octobre au soir, les contrats sont fêtés en grande pompe à l’hôtel d’Évreux, lors d’un « Dîner de l’Atlantique » organisé par Félix Marquardt, où l’on voit plusieurs grands patrons du CAC 40 : Anne Lauvergeon (Areva), Christophe de Margerie (Total), Gérard Mestrallet (GDF-Suez) et Louis Gallois (EADS)…

« C’est EADS qui a payé la plus grande partie de la note du dîner, de plus de 100 000 euros, indique son organisateur Félix Marquardt. Les sociétés qui financent chaque dîner le font par intérêt, ce ne sont jamais les mêmes. » En l’absence de dîner d’État, « c’est directement l’Élysée qui pilotait la soirée », assure M. Marquardt, qui signale que « Patokh Chodiev était présent ».

En juin 2011, l’oligarque et ses deux partenaires sont sauvés en Belgique par l’adoption d’un nouveau texte leur permettant de signer une transaction avec le parquet. C’est l’avocate Catherine Degoul qui signe ce protocole avec la justice belge, leur permettant de récupérer leurs biens immobiliers et leurs avoirs bancaires placés sous séquestre.

Patokh Chodiev manifestera sa reconnaissance par l’envoi de plusieurs millions d’euros à son avocate – et sur ces fonds, Étienne de Rosaies recevra la somme de 300 000 euros. Mais Damien Loras sera également remercié. Chodiev l’invite en croisière, durant l’été 2012, avec sa femme.

« Je me permets de vous indiquer, ce que vous n’ignorez pas, qu’il (Damien Loras) a quitté ses fonctions à l’Élysée au mois de mai 2012 et qu’il était alors sans affectation, explique Me Frank Berton, l’avocat du diplomate, et qu’il disposait de toute liberté pour passer ses vacances où bon lui semblait, sauf à ce que Mediapart opère même un contrôle sur les vacances de M. Loras alors qu’il était sans affectation, ni fonction. »

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