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Des barbouzes sur les pas de journalistes qui enquêtent sur Sarkozy

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Depuis l’affaire des micros du Canard enchaîné (en 1973) jusqu’au cambriolage de Mediapart en pleine affaire Bettencourt (en 2010), on sait que le pouvoir politique – ou certains intérêts – peut parfois avoir recours à des services de l’État ou à des officines plus discrètes pour essayer de museler la presse.

Le retour récent de Nicolas Sarkozy en politique, conjugué à ses déboires judiciaires, correspond curieusement à un retour de ces pratiques détestables, tout en hystérisant par ailleurs le débat public. Drapé dans une pose berlusconienne, l’ex-chef de l’État et actuel candidat à la présidence de l’UMP se présente en effet comme la victime d’un hypothétique complot ourdi par les médias et les juges. Qu’il soit mis en examen, ou qu’un journal publie une enquête qui le concerne, et voilà aussitôt une preuve supplémentaire de l’ignoble machination qui vise à l’abattre, martèle Sarkozy au cours de ses meetings et dans les médias. Dans le même temps, de sombres manœuvres suivent leurs cours.

Ainsi, ces jours derniers, plusieurs épisodes nauséabonds ont ciblé deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, auteurs de révélations sur les dossiers judiciaires qui concernent Nicolas Sarkozy. Mardi soir, le site internet de l’hebdomadaire Valeurs actuelles met en ligne un article hallucinant, et qui n'est pas même signé : sous prétexte de dénoncer une soi-disant « traque » de Nicolas Sarkozy, menée avec une « violation » du secret de l’instruction « orchestrée par des juges », cet article raconte avec force détails des « rendez-vous secrets » des deux journalistes du Monde à l’Élysée, au ministère de la justice, et enfin au pôle financier du tribunal de Paris.

À défaut de prouver quoi que ce soit (sinon que de vrais journalistes vérifient et croisent leurs informations aux meilleures sources), ces éléments, ainsi mis en scène par Valeurs actuelles, violent allègrement plusieurs des règles déontologiques du journalisme (lire ici la Déclaration des devoirs et des droits des journalistes). Ils portent notamment atteinte à la protection du secret des sources, gage d’une information indépendante dans les démocraties. La protection des sources ne constitue pas un privilège, mais « une des pierres angulaires de la liberté de la presse », a jugé la Cour européenne des droits de l’homme (lire ici les principaux textes sur cette question).

Le Monde a annoncé son intention de saisir la justice de l'ensemble de ces faits. « Nous allons demander au parquet de Paris d’ouvrir une enquête pour espionnage, et déposer une plainte pour diffamation et injure », déclare mercredi Gilles Van Kote, directeur du Monde par intérim. Cette plainte devrait être déposée prochainement par l’avocat François Saint-Pierre.

Début septembre, Gérard Davet, Fabrice Lhomme et leurs familles ont été l’objet de menaces de mort sérieuses et détaillées parvenues à leurs domiciles, et sont placés depuis lors sous protection policière. L’un des courriers reçus faisait allusion à un dossier de criminalité organisée corse sur lequel ils avaient écrit un article documenté. Les officiers de sécurité qui protègent les deux journalistes auraient-ils rendu compte de leurs déplacements professionnels à leur hiérarchie, au sein de laquelle Nicolas Sarkozy est encore populaire ? Rien ne permet de le prouver.

Selon nos informations, ces officiers de sécurité ont, en revanche, surpris à deux reprises des voitures suspectes qui filaient Davet et Lhomme, et dont un passager prenait des photos. La piste d’une officine barbouzarde lancée aux trousses des deux journalistes est donc plus plausible.

Le site de Valeurs actuelles ce mercrediLe site de Valeurs actuelles ce mercredi © capture d'écran

Gérard Davet et Fabrice Lhomme avaient été mis en garde par certains réseaux sarkozystes dès le mois de mars, après la divulgation de l’affaire des écoutes téléphoniques judiciaires de Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog. Est-ce un hasard ? Dès le 16 mars, un article venimeux du JDD affirme que Davet et Lhomme ont été reçus à l’Élysée quelques heures avant la publication de leur enquête, reproduit un extrait d'agenda confidentiel de la présidence de la République, et sous-entend (déjà) que François Hollande instrumentalise les journalistes pour abattre Sarkozy.

Plus récemment, Libération a raconté comment Sarkozy et Herzog ont voulu piéger les deux journalistes: il s’agissait de dire que Davet et Lhomme les avaient prévenus qu’ils étaient sur écoutes, dans une conversation que l’ex-président et son avocat savaient pertinemment être enregistrée, et dont les retranscriptions pourraient ensuite « fuiter » à dessein.

Au ministère de l’intérieur puis à l’Élysée, Nicolas Sarkozy avait développé une conception policière de la politique, qui s’est notamment manifestée en pleine lumière à l’occasion de l’affaire Clearstream. Quand les juges et la presse ont commencé à s’intéresser aux dossiers Bettencourt et Karachi, la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI, alors confiée à son ami Bernard Squarcini, et devenue depuis la DGSI) et la police judiciaire (alors supervisée par son ami Frédéric Péchenard) n’ont pas hésité à s’intéresser aux communications téléphoniques des journalistes.

Dans ces affaires, comme dans les dossiers Tapie ou Kadhafi, il est également apparu que Nicolas Sarkozy disposait d’hommes de confiance dans les rouages de l’État (comme l’ancien patron de la PJ parisienne Christian Flaesch, ou l’ex-haut magistrat Gilbert Azibert, sans oublier Philippe Courroye).

Depuis son départ de l’Élysée, des rumeurs rapportent que des officines privées travailleraient au service de Nicolas Sarkozy ou de son entourage. L'épisode des informations personnelles sur un juge de Bordeaux et un médecin expert, opportunément surgies en marge du dossier Bettencourt, avaient déjà mis la puce à l’oreille des magistrats. Beaucoup évitent d'ailleurs d'utiliser des téléphones portables, et se montrent très prudents en public et lors de leurs déplacements.

Actuellement menacé par huit dossiers judiciaires, Nicolas Sarkozy joue son va-tout en briguant à nouveau les plus hautes fonctions. Il use de son droit à se défendre en justice (il a ainsi obtenu la suspension de l’instruction Herzog-Azibert, l'affaire Bismuth, dans laquelle il est mis en examen pour corruption), et s’exprime à foison dans les médias. Rien de plus normal. Mais la résurgence de certaines opérations de basse-police qui accompagne son retour, qu’elle lui soit directement imputable ou pas, appelle dans tous les cas une réponse forte de la presse et des pouvoirs publics.

Un projet de loi renforçant la protection des sources des journalistes a été élaboré par Christiane Taubira début 2013. Mais l'examen de ce texte a été repoussé à plusieurs reprises, et aucune fenêtre parlementaire n’est actuellement disponible pour le faire adopter, a regretté la ministre de la justice lors de la présentation de son budget à la presse, le 1er octobre. 

BOITE NOIRELes journalistes de Mediapart figurent en bonne place dans le Panthéon des détestations sarkozystes, depuis les affaires Bettencourt, Karachi et Kadhafi. Afin d’épargner du temps et de la peine aux officines, je signale qu’il nous arrive d’obtenir des rendez-vous dans des enceintes de justice, dans des ministères et autres services publics, voire à l'Élysée, ceci pour exercer notre métier. Quitte à aggraver mon cas personnel, je précise en outre connaître Gérard Davet et Fabrice Lhomme depuis 25 ans.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Interview de Xavier Niel


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