Nicolas Sarkozy a tellement englouti de sondages qu'il n'en reste plus trace. Toutes les études achetées par la présidence de la République entre janvier 2010 et mai 2012 ont littéralement disparu. D'après nos informations, le juge chargé de « l'affaire des sondages de l'Élysée », qui instruisait déjà sur de possibles faits de « détournements de fonds publics » et de « favoritisme » dans les marchés passés entre la présidence Sarkozy et ses instituts favoris, est désormais saisi de soupçons de « détournement et destruction de biens publics », en l'occurrence de cartons entiers de sondages dotés du statut d'archives publiques.
Pour élargir l'enquête du juge Serge Tournaire à ces nouveaux délits, le parquet national financier a délivré un réquisitoire supplétif au début du mois d'octobre.
L'article 214-3 du code du patrimoine punit en effet de trois ans de prison et 45 000 euros d'amende « le fait pour une personne détentrice d'archives publiques en raison de ses fonctions de détourner ou soustraire tout ou partie de ces archives, ou de les détruire sans accord préalable de l'administration ». Idem pour le fait « d'avoir laissé détruire ».
Or, si les enquêteurs en charge de « l'affaire des sondages de l'Élysée » ont pu facilement accéder à l'essentiel des sondages commandés par l'Élysée entre 2007 et 2009 (déjà rendus publics), ceux des trente derniers mois du mandat sarkozyste se sont volatilisés (680 000 euros d'achats en 2010, 794 000 euros en 2011, 77 400 euros en 2012).
L'équipe de l'ancien président a-t-elle passé ces liasses au broyeur ? Les a-t-elle mises à l'abri ? Il faut dire que ce matériel peut s'avérer compromettant s'il révèle que Nicolas Sarkozy a multiplié, avec l'argent des contribuables, les enquêtes d'opinion à des fins privées ou partisanes, voire carrément électorales pendant la campagne présidentielle de 2012 (comme l'affirme l'association Anticor qui a déposé plainte pour « détournements de fonds publics » et « favoritisme »).
Grâce à des documents internes à l'Élysée et aux enregistrements clandestins de Patrick Buisson, Mediapart a d'ores et déjà démontré que la présidence de la République avait versé 11 960 euros à OpinionWay en 2011 pour un sondage sans rapport avec l'exercice du mandat présidentiel : il s'agissait de tester l'impact d'une prestation télévisée de Dominique Strauss-Kahn, alors patron du FMI et probable adversaire de Nicolas Sarkozy, avec des questions sur ses forces et faiblesses supposées (le socialiste a-t-il « parlé comme un professeur donneur de leçons » ? « Rassuré sur la mondialisation » ? « Inspiré confiance » ? A-t-il « fait preuve de modestie » ? « Manifesté de l’énergie » ? Etc.). Mais pour le reste...
Cette évaporation d'archives est en fait connue depuis décembre 2012. Dans un rapport sur les dépenses de l'Élysée (janvier 2011-mai 2012), la Cour des comptes avait déjà révélé que les enquêtes d'opinion effectués par l'Ifop, OpinionWay et Ipsos (les trois prestataires de la présidence) ne lui avaient « pas été transmis, pas plus qu'au service financier ou au service des archives de la présidence ». Seule une liste sommaire des commandes passées, avec des intitulés parfois abscons pouvant dissimuler tout et n'importe quoi (« Questions d'actualité », « Études qualitatives par réunion de groupe », etc.), était encore disponible. Mais pas les questionnaires ni les résultats, c'est-à-dire le plus parlant. « Cette situation n'a pas permis à la Cour de s'assurer du rattachement de ces dépenses à l'activité présidentielle », s'agaçaient les magistrats financiers dans leurs conclusions.
La directrice de cabinet de François Hollande a elle-même confirmé ces constatations en janvier 2013. Dans un courrier adressé à Raymond Avrillier, un militant de la transparence qui réclamait copie des sondages en question, Sylvie Hubac écrivait sans détour : « Après consultation du service des archives et des anciens secrétariats des membres du cabinet chargés de ces questions sous le précédent mandat, il apparaît que lesdits documents n'ont pas été conservés à la présidence de la République. »
Ce n'est pas le seul dossier sur lequel les juges se retrouvent confrontés à la disparition d'archives de la présidence Sarkozy. Dans une lettre envoyée à Roger Le Loire, chargé de l'instruction sur l'affaire Pérol, le secrétaire général de l'Élysée de François Hollande a certifié en mai 2013 que « le fonds d'archives papier de M. Claude Guéant (son prédécesseur à ce poste clef entre mai 2007 et février 2011 - ndlr) n'a pas été reversé aux Archives nationales, et il n'en a pas été trouvé trace dans les locaux de la présidence de la République ». Ces notes de travail de Claude Guéant auraient beaucoup servi aussi dans l'affaire Tapie. En l'occurrence, dans l'affaire des sondages, peut-être les archives privées des instituts seront-elles plus bavardes.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Debian Jessie permet de choisir son environnement de bureau à l’ installation