L'examen du budget 2015 commence mardi à l'Assemblée nationale. Le début d'un long tunnel parlementaire. Le gouvernement doit faire voter 21 milliards d'euros d'économies, du jamais vu. Sous la double surveillance de Bruxelles, inquiet du rythme trop lent de la résorption des déficits... et d'une partie de sa majorité, qui réclame plus de mesures pour soutenir la demande et une vraie réforme fiscale, conforme aux promesses de campagne de François Hollande. Tour d'horizon d'un budget d'extrême rigueur.
Beaucoup d'économies, quelques cadeaux fiscaux
21 milliards d'économie. « La France n'a jamais fait un effort de cette ampleur », assure le ministre des finances, Michel Sapin. L'an prochain, la réduction des dépenses de l'État sera massive :
- 7,7 milliards d’euros d’économies sur les dépenses de l’État et de ses opérateurs
Gel maintenu du point d'indice des fonctionnaires, suppression de postes (-7 500 à la Défense, -2 500 au ministère des finances, -500 à l'écologie, etc.), baisses de crédits (400 millions de baisses de crédits au ministère de l'agriculture, 175 millions d'euros au ministère de l'écologie, 149 millions d'euros à la recherche), etc. La justice, la police et l'éducation nationale, ministères "sanctuarisés", gagnent des postes (+1 000 pour la police, 10 000 postes dans l'éducation nationale).
- 3,7 milliards d’euros de baisses des dotations aux collectivités locales
De nombreux élus de la majorité sont inquiets des répercussions de ces coupes sur l'activité. C'est le cas de la députée PS Valérie Rabault, rapporteure générale du budget de l'Assemblée nationale. « L’année qui suit les élections municipales voit généralement une baisse de l’investissement des collectivités locales, écrit-elle dans son rapport publié ce week-end (consultable ici, format pdf). Pour 2015, cette baisse peut être estimée entre 4 et 5 milliards d’euros (sur un total d’investissements réalisé par les collectivités en 2013 de 50 milliards d’euros). Dès lors, il faudra éviter que la baisse de la dotation de l’État aux collectivités soit totalement répercutée sur l’investissement des collectivités. » Elle propose d'avancer le remboursement de TVA aux collectivités pour en réduire l'impact.
- 9,6 milliards d’euros de dépenses sociales, dont 3,3 pour la seule assurance maladie
Hôpitaux, médicaments, pénalités financières pour les établissements ne respectant pas les accords passés avec les agences régionales de santé. Ou encore 700 millions d'économies sur les prestations familiales. Ces dernières mesures sont contestées par la majorité qui réfléchit plutôt à baisser le montant des allocations familiales perçues par les plus aisés. Une solution rejetée par l'exécutif, ce qui augure d'un bras de fer à l'Assemblée dans les prochaines semaines (lire notre article).
Le budget 2015 prévoit aussi un plan de soutien au logement et la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu. Elle concernera 9 millions de personnes et coûte 3,2 milliards d'euros à l'État. Techniquement, elle revient à décaler le seuil de déclenchement de l'impôt pour les imposables les plus modestes. Exemples piochés dans le rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale : « Jusqu’à fin 2013, un célibataire commençait à payer de l’impôt sur le revenu s’il gagnait plus de 13 725 euros par an. Avec cette réforme il commencera à en payer s’il gagne plus de 15 508 euros par an. Même observation pour un couple avec deux enfants : jusqu’à fin 2013, il commençait à payer de l’impôt sur le revenu s’il gagnait plus de 27 702 euros par an. Avec cette réforme il commencera à en payer s’il gagne plus de 39 959 euros par an. »
Enfin, il consacre la montée en puissance du crédit impôt compétitivité emploi (CICE), instauré fin 2012 et destiné à réduire le coût du travail. Une mesure qui coûte cher : avec 8 milliards d'euros, c'est d'ores et déjà la première dépense fiscale de l'État, et il coûtera en 2017 20 milliards par an (lire notre article). Pour l'heure, difficile d'en tirer un bilan clair alors qu'il monte encore en puissance. Mais il pourrait bien créer peu d'emplois et ne pas rapporter davantage que ce qu'il coûte.
Une fois de plus, les députés du collectif "Vive la gauche" (les fameux "frondeurs" socialistes) vont, de concert avec le Front de gauche et les écologistes, réclamer des contreparties qui n'existent pas à ce jour. Ils seront rejoints par d'autres élus, comme Michel Ménard, un proche de l'ancien ministre Jean-Marc Ayrault, qui a déposé un amendement destiné à « obtenir le remboursement des aides versées au titre du CICE dès lors que celles-ci servent à augmenter les dividendes ou la rémunération des actionnaires, ou qu’elles accompagnent la fermeture d’entreprises ou de succursales rentables ». Dans sa circonscription, le cigarettier Seita vient de fermer un site jugé rentable, alors qu'il a touché 1,3 million d 'euros au titre du CICE en 2013 et 2014.
Austérité ou rigueur ?
Rapportés aux 1 200 milliards d'euros de dépenses publiques annuelles, ces 21 milliards ne représentent qu'une petite goutte (voir graphique ci-dessous). L'an prochain, la dépense publique continuera d'ailleurs de progresser en volume – elle n'a baissé qu'en 2011, ce dont se prévaut régulièrement l'UMP Valérie Pécresse, alors ministre du budget de Nicolas Sarkozy. Techniquement, il s'agit donc d'une réduction de la progression des dépenses publiques, pas d'une diminution. D'ici 2017, la dépense publique augmentera bien chaque année de « 20 milliards, soit deux fois moins que la tendance observée entre 2002 et 2012 », écrit Valérie Rabault. L'opposition juge d'ailleurs ces coupes trop faibles et propose 130 milliards d'économies en cinq ans.
Depuis quelques semaines, ministres et chefs de la majorité socialiste assurent donc que la France réduit les déficits mais ne mène pas une politique d'austérité. « Il faut aller voir ce qui se passe dans les pays où il y a une austérité : diminution des salaires de 10 %, suppression dans le temps de la durée des indemnisations chômage, par exemple, diminution du nombre de fonctionnaires et baisse des salaires des fonctionnaires », explique le ministre du travail, François Rebsamen. Le député PS Bernard Roman ne dit pas autre chose : « On a augmenté le Smic, le RSA de 10 % et fait les emplois d'avenir ! En Grèce, ils ont réduit les salaires des fonctionnaires. Qu'on ne nous parle pas d'austérité en France. »
Au PS, tous ne sont pourtant pas de cet avis. Congédié du gouvernement en août après avoir réclamé au cours de l'été une inflexion de la ligne économique, Arnaud Montebourg dénonce une « spirale de l'austérité ». « Le choix fondamental de notre gouvernement de rétablir les équilibres financiers est devenu une obsession, un mantra, une sorte de croyance, de culte obsessionnel. (…) Cet objectif est en train de devenir l’erreur fondamentale de ce quinquennat, et c’est notre responsabilité de le dire. Cette politique économique est une politique d’austérité », a-t-il lancé il y a dix jours, lors de son premier discours post-remaniement.
C'est aussi l'avis de "Vive la gauche". « Ce n'est pas parce que le gouvernement ne surcharge pas la barque au-delà des 50 milliards prévus qu'il ne fait pas de l'austérité, assure le député Laurent Baumel. Si le gouvernement était hostile à une logique d'austérité, il se poserait la question d'une stratégie de croissance à court terme pour relancer la demande. » D'autant que l'accumulation de plans de réduction budgétaire en Europe pèse sur la croissance du continent, comme s'en inquiètent de nombreuses institutions internationales (FMI, OCDE, etc.) Le rapport Rabault évoque le risque d'un « cycle déflationniste dévastateur en France et en Europe » si l'Europe ne soutient pas davantage la demande.
Un budget sous le contrôle de Bruxelles
La France avait promis de revenir à 3 % de déficit en 2015. L'objectif est désormais repoussé de deux ans. « Le respect de la trajectoire initialement prévue aurait signifié un ajustement structurel supplémentaire de 1,3 % de PIB en 2015, soit près de 30 milliards d’euros de hausse de prélèvements obligatoires et de baisse de dépenses publiques supplémentaires », justifie Valérie Rabault. Ce qui aurait porté la facture des économies d'ici 2017 à 80 milliards d'euros, au risque « d’entrer dans un cycle déflationniste désastreux », écrit encore la rapporteure du budget.
À Bruxelles, la Commission sortante estime pourtant que la France ne réduit pas son déficit assez vite. « Le projet de budget de la France est assez loin de l'objectif, à la fois en terme de déficit nominal et de mesures effectives, concernant le déficit structurel et le nombre et la qualité des réformes qui doivent être réalisées. Donc (…) l'ambition doit être revue à la hausse », a déclaré vendredi dernier le président de l'Eurogroupe, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem. « C'est nous qui décidons du budget, a rétorqué samedi Manuel Valls. Ce que nous demandons uniquement aux Européens, c'est de tenir compte de la réalité qui s'impose malheureusement à nous : la crise qui mine la zone euro. » En coulisses, Paris et Bruxelles négocient déjà pour éviter que le budget français ne soit retoqué, ce que permettent en théorie les traités (dont le TSCG que François Hollande s'était engagé à renégocier, et qui a été voté intact en 2012 par le Parlement). Le verdict de Bruxelles sera rendu fin octobre.
Mais d'ores et déjà, l'exécutif français semble lui envoyer des signaux. La semaine dernière, Manuel Valls en déplacement à Berlin s'en est pris à la supposée « préférence pour le chômage de masse bien indemnisé » en France. Et a lancé l'idée d'une réforme de l'assurance chômage, alors que la prochaine renégociation par les partenaires sociaux de la convention Unedic n'est pas prévue avant 2016. Des propos repris dimanche par le ministre de l'économie Emmanuel Macron, pour qui la réforme « est insuffisante ». Ces déclarations ont suscité un tollé au PS. L'Élysée a fermé la porte, jugeant le débat inopportun.
Un budget sincère ?
L'exécutif en convient : sur les 21 milliards d'économies, au moins 2 à 3 milliards ne sont pas détaillées, notamment sur le budget de la sécurité sociale. « Ça fait dix ans que l'objectif annoncé dans le budget n'est pas atteint ! » relativise d'ailleurs ce conseiller gouvernemental. Dans son rapport, Valérie Rabault a déniché des exemples de ces économies pas toujours justifiées sur le budget de l'État. Ainsi, 415 millions sont attendues au ministère de l'écologie en raison de la « priorisation des investissements d’infrastructures ». Mais la rapporteure du Budget n'est pas en mesure de savoir à quoi se rapporte ce montant, faute « d’éléments permettant d’analyser cette baisse ». Idem au ministère de l'emploi, où 346 millions d’euros d'économie doivent découler de « l’amélioration de la situation de l’emploi » en raison de l'entrée en vigueur du crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE). Un pari hasardeux alors que le chômage atteint des niveaux records. Là non plus, le gouvernement n'a pas détaillé ces fameuses économies…
Par ailleurs, de sérieux doutes pèsent sur ce budget dans la mesure où l'objectif de croissance sur lequel il est calculé (1 % en 2015) pourrait s'avérer trop ambitieux. Le Haut Conseil des finances publiques le juge « optimiste », car il « suppose un redémarrage rapide et durable de l'activité que n'annoncent pas les derniers indicateurs conjoncturels ». D'autant que la demande intérieure ne redémarrera peut-être pas aussi vite que le gouvernement l'espère. Comme le souligne Valérie Rabault dans son rapport, le budget 2015 prévoit une hausse de la consommation des ménages de 0,7 % en 2014. Pourtant, la rapporteure générale du budget affirme ne pas avoir reçu d'éléments qui viendraient conforter ce scénario. La hausse de la consommation n'a d'ailleurs été que de 0,4 % en moyenne entre 2007 et 2012. Et les chiffres du début de l'année ne sont pas bons.
De plus en plus de voix plaident pour une réforme fiscale
Le budget devrait être adopté sans difficulté. Et au pire, avec l'aide du 49-3, que le gouvernement semble décidé à utiliser si nécessaire. Mais de plus en plus d'élus de la majorité, lassés des improvisations fiscales annuelles, demandent une vraie réforme fiscale, pour accroître la progressivité de l'impôt. C'était une promesse de campagne de François Hollande, qui envisageait notamment une fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG, un impôt très injuste. Mais elle a été abandonnée dès le début du quinquennat, officiellement pour des raisons techniques. Au lieu de cela, le gouvernement n'a cessé d'empiler les mesures qui ont rendu le système fiscal encore plus compliqué : suppression de la demi-part pour les veuves, décidée par la droite et maintenue par la gauche ; baisse du quotient familial pour les foyers aisés ; fiscalisation de la majoration de pension pour les parents ayant élevé au moins trois enfants ; fin de la défiscalisation des heures supplémentaires, etc. (sur le détail des bénéficiaires, lire cet article du Monde, payant).
Des mesures mal calibrées, dont les députés socialistes ont découvert chaque année les effets concrets auprès de leurs électeurs, et pas toujours les plus aisés. Ce qui désole ce député PS, échaudé par les budgets précédents : « La première année, on nous a expliqué que neuf Français sur dix ne seraient pas concernés par la hausse de l'impôt, et on a vu le résultat. Quand on a décidé de supprimer la demi-part pour les veuves, on nous a expliqué que les conséquences seraient mineures, dans certains cas ça a été dévastateur. L'an dernier, la majoration de pension des familles ayant élevé plus de trois enfants a parfois gonflé l'impôt de certains de nos électeurs de plusieurs milliers d'euros ! » Voilà pourquoi le gouvernement a décrété depuis un an la pause fiscale. Victime collatérale : la fameuse réforme fiscale, plus enterrée que jamais. « Il ne faut pas insécuriser les Français », répond désormais Manuel Valls aux élus qui lui demandent pourquoi.
La réforme fiscale est pourtant réclamée par de plus en plus de voix. Les députés de "Vive la Gauche" vont présenter des amendements en ce sens. Martine Aubry devrait y faire référence dans une tribune à paraître. L'ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault a pris la plume ce week-end pour la réclamer, lui qui s'était astreint au silence depuis son départ de Matignon. Même les radicaux de gauche, derniers alliés du PS au gouvernement, en font une de leurs exigences pour y rester. Même si en ce qui les concerne, les menaces de démission sont trop fréquentes pour ne pas être regardées avec circonspection.
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