Sur le banc des accusés, ce lundi 13 octobre 2014, le député PS Jean-David Ciot, patron de la “fédé” des Bouches-du-Rhône, n’a cessé de s’éloigner de son ancien patron, Jean-Noël Guérini, toujours président du Conseil général. Souriant et badinant, ce dernier est arrivé au tribunal aux côtés de sa femme, en robe d'avocate. Le sénateur (ex-PS) est poursuivi pour détournement de fonds publics et son ancien conseiller pour recel dans une affaire de licenciement de complaisance. Sans doute un premier tour de chauffe devant le tribunal correctionnel de Marseille pour Jean-Noël Guérini, mis en examen dans deux autres informations judiciaires toujours à l’instruction.
Entré en 2002 à son cabinet comme « chargé de mission de géographie cantonale » – cela ne s’invente pas –, Jean-David Ciot l’a quitté le 1er juin 2011 avec 62 529 euros d’indemnités de licenciement (la somme a été saisie et confiée à l’Agrasc). Pour l’accusation, il s’agit d’une démission déguisée, pour lui permettre de faire campagne aux législatives de 2012 dans le cadre de la loi du 14 avril 2011 qui interdit aux collaborateurs du cabinet du patron d’un exécutif local de se présenter dans la circonscription où ils ont exercé leurs fonctions dans l’année.
Le procureur, Jean-Luc Blachon, s’appuie sur l’absence de motif de licenciement et l'absence de préavis qui prouvent selon lui l'intentionnalité du délit. Si Jean-David Ciot avait effectué son préavis, il n’aurait en effet pas pu se présenter aux législatives de juin 2012. Le procureur a requis contre les deux hommes six mois avec sursis, un an d’inéligibilité et 15 000 euros d’amende.
Loin de toute rodomontade, le député assure qu’en mai 2011, il n’était candidat à rien, pas plus au secrétariat général de la fédération PS (à la tête de laquelle il remplacera Jean-Noël Guérini en juillet) qu’à la députation dans la 14e circonscription, réputée « conservatrice » et tenue par Maryse Joissains, la maire d’Aix-en-Provence. « Le contexte politique était hasardeux, explique-t-il. Ce n’était pas dans mon projet de carrière. » À l’en croire, c’est Jean-Noël Guérini qui l’a mis au pied du mur en le licenciant, puis le bureau national du PS, qui lui a « imposé » sa candidature aux législatives. « On a l’impression d’entendre que M. Ciot est un malgré-lui politique », finit par s’agacer le procureur Jean-Luc Blachon.
Jean-Noël Guérini, lui, se montre outré de se retrouver en correctionnelle pour ce licenciement qui « devrait concerner un tribunal administratif ou les prud’hommes ». « Il faut se rappeler l'époque : le climat politico-judiciaire était exécrable, décrit-il. Il fallait faire disparaître de la scène politique locale Jean-Noël Guérini. » Avant de s’en prendre à son ex-directeur de cabinet Rémy Bargès, qui a osé parler de « licenciement négocié » pour que Jean-David Ciot puisse « se réserver la possibilité politique au niveau des législatives, en juin 2012 ». « M. Bargès jouait double jeu (…) c’était un sous-marin, (…) il faisait tout pour me détruire », assure Jean-Noël Guérini avant de le traiter de « grand menteur ». Des propos jugés « méprisables de la part d’un élu qui a érigé le mensonge en système de pouvoir et de défense », a réagi l'intéressé dans un communiqué. Puis, l'ancien homme fort du PS dans les Bouches-du-Rhône prend pour cible Arnaud Montebourg, dont la note explosive sur la gestion de la fédération PS des Bouches-du-Rhône avait déclenché la descente à Marseille, en juin 2011, d’une commission d’enquête présidée par l’ex-ministre PS, Alain Richard. Encore en procédure judiciaire contre l’ex-ministre du redressement productif, Guérini menace : « Je ferai connaître aux Français ce que c’est ce M. Montebourg et ses amitiés particulières. »
C’est à l’occasion d’un long entretien avec Alain Richard, le 26 avril 2011, que Jean-Noël Guérini affirme avoir décidé de démissionner de la fédération et de licencier Jean-David Ciot afin qu’il l’y remplace. Il s’agissait seulement, selon lui, de se mettre en conformité avec les futures préconisations de la commission Richard qui, le 5 juillet 2011, pointera « des cas trop nombreux de dépendance économique et sociale de cadres de la fédération par rapport à une seule collectivité territoriale employeur », à savoir le Conseil général. Pour le détail, voyez avec mes chefs de service, dit-il en substance à la présidente du tribunal, Christine Mée.
« J’ai 9 000 employés, 5 450 sapeurs-pompiers qui travaillaient sous mon autorité, se dédouane le sénateur. Comment voulez-vous que j'aie une connaissance juridique des dossiers de licenciement ? Je n’ai fait que signer ce que m’ont présenté mes directeurs de service. » Incroyable de suffisance, Guérini avance, sûr de son bon droit. « Suite à ma mise en examen, j’ai demandé à mon service : “Mais pourquoi suis-je mis en examen, qu’avez-vous fait ?” » Puis il rassure la présidente : « S’il y a eu des erreurs, le moment venu ils (les cadres du Conseil général – ndlr) les assumeront, (…) ils en paieront les conséquences. »
« C’était dans ce cabinet, qui est la garde rapprochée du président, rétorque le procureur. On ne peut ignorer le destin d’un de ses collaborateurs ! » Comme la députée marseillaise Sylvie Andrieux avant lui, le sénateur n’a pas hésité à jouer la carte de l’irresponsabilité politique, quitte à traîner sa fonction d'élu dans la boue. Oui, il a bien voté la loi organique du 14 avril 2011, mais non, il ne connaissait pas ce texte. Le procureur insiste : « Vous avez voté une loi dont vous ne connaissiez pas le contenu ? » « Oui, monsieur. Je n’ai pas participé aux débats », répond, sans se démonter, Jean-Noël Guérini.
Ses avocats, Mes Dominique Mattei et Hervé Temime, se montreront plus convaincants, fustigeant un « dossier anecdotique et dérisoire », qui relèverait, selon eux, des prud’hommes. Si cette « petite affaire » se retrouve devant le tribunal correctionnel, selon Me Dominique Mattei, c’est par défaut, parce que « les délais des deux informations judiciaires parallèlement conduites sont trop longs », parce que « le citoyen attend des réponses qui ne viennent pas », à cause d’une « forme de gourmandise judiciaire », entretenue par une « presse acharnée ». Me Temime a, lui, estimé que l’accusation n’avait aucune preuve de la volonté, dès mai 2011, de M. Ciot de se présenter aux législatives. « Pas une preuve écrite, pas même une écoute téléphonique, pas un témoin extérieur, pas un mail, pas un post-it », a énuméré l’avocat parisien.
À la tête d’une liste dissidente, Guérini, qui a quitté le PS en avril dernier, avant même que le parti ne prononce son exclusion, a fait un score inespéré aux dernières sénatoriales, en réunissant trois fois plus de voix que les socialistes. Il est également impliqué dans deux autres enquêtes sur des marchés publics truqués bien plus importantes. Le 8 septembre 2011, il avait été mis en examen pour « prise illégale d'intérêt », « trafic d'influence », « complicité d'obstacle à la manifestation de la vérité » et « association de malfaiteurs ». Puis, le 3 juin 2013, pour « trafic d'influence », « atteinte à la liberté d'accès ou à l'égalité des candidats dans les marchés publics » et « participation à une association de malfaiteurs en vue de la commission des délits de trafic d'influence, de corruption et de détournements de fonds publics ». Dans l'affaire présente de licenciement, le tribunal rendra sa décision le 8 décembre 2014.
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