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Irak, Syrie : la France navigue à vue

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Leur progression paraît inexorable. Vendredi 10 octobre, l’État islamique (EI) s’est emparé du quartier général des forces kurdes de Kobané, qui résiste depuis plus de trois semaines à l’invasion des djihadistes. Selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), l’organisation occupait, vendredi, « au moins 40 % » de la ville du nord de la Syrie.

Les frappes de la coalition internationale n’ont pour l’instant servi à rien. Les États-Unis, qui ont encore bombardé deux positions de l’EI vendredi, en ont convenu : « Les frappes aériennes à elles seules ne vont pas y arriver, ne vont pas apporter une solution et sauver la ville de Kobané »,a expliqué mercredi un porte-parole du Pentagone.

De la fumée se dégage après une frappe américaine, vendredi, à Kobané.De la fumée se dégage après une frappe américaine, vendredi, à Kobané. © Reuters

Les appels à la Turquie de la communauté internationale sont également restés lettre morte : le président Recep Tayyip Erdogan répète en boucle que les Kurdes du PYD et du PKK sont aussi dangereux que l’État islamique  Pour nous, le PKK ne vaut pas mieux que l'EI », dit-il) et craint plus que tout l’instauration d’une région autonome pour les Kurdes. Il refuse toujours de laisser les Kurdes de Turquie franchir la frontière pour rejoindre leurs camarades syriens. Et il n’est pas prêt à intervenir militairement dans un conflit qui prendrait alors une nouvelle dimension régionale.

La chute de Kobané aurait pourtant d’innombrables conséquences : elle pourrait provoquer un massacre dans une ville défendue de façon acharnée, pendant de longs mois, par les forces kurdes; elle permettrait à l’EI de contrôler une large bande le long de la frontière turque et de renforcer sa continuité territoriale avec ses positions en Irak ; elle risquerait de relancer le conflit armé entre le PKK turc et le gouvernement d’Ankara ; elle discréditerait encore davantage l’intervention militaire de la coalition internationale menée par les États-Unis.

Ce discrédit s’étendrait inévitablement jusqu’à Paris. D’abord parce que la France défend la position de la Turquie face aux revendications kurdes. Au Quai d’Orsay, on se refuse à considérer le PYD comme un interlocuteur. Aucun contact n’a été établi, indique-t-on dans l’entourage de Laurent Fabius, qui insiste sur l’importance des relations avec Ankara. La France continue de juger le PKK comme une organisation terroriste – il figure sur la liste établie par l’Union européenne. Même chose pour son partenaire syrien, le PYD, à qui Paris reproche également son soutien à Bachar al-Assad depuis le début de la révolution syrienne.

La France a même été jusqu’à s’aligner complètement sur les demandes du gouvernement turc : mercredi, suite à un entretien téléphonique avec Erdogan, François Hollande a ainsi « apporté son soutien à l’idée, avancée par le président Erdogan, de créer une zone tampon entre la Syrie et la Turquie pour accueillir et protéger les personnes déplacées »,selon un communiqué de l’Élysée.

La proposition fait partie des vieilles revendications d’Ankara depuis le début du soulèvement syrien en 2011, alors que la Turquie accueille déjà plus d'un million et demi de réfugiés syriens. Pour les Kurdes, ce serait une déclaration de guerre : ils considèrent une telle zone en territoire syrien comme une volonté d’Erdogan d’occuper leur territoire pour mettre définitivement fin à leurs espoirs d’autonomie.  

Autant dire que l’accord de la France à une telle initiative a laissé cois nombre d’observateurs, et donné le sentiment d’une diplomatie naviguant à vue, dominée par les déclarations parfois imprévisibles de François Hollande. À part « circulez, rien à voir », la France fait comme si elle n’avait rien à dire sur la question kurde. Le Quai d’Orsay jure même qu’en Syrie, il ne voit aucun rapport avec la lutte contre l’État islamique…

François Hollande et Recep Tayyip Erdogan, en juin à Paris.François Hollande et Recep Tayyip Erdogan, en juin à Paris. © Reuters

Il n’empêche : face à l’ampleur du conflit, le discours de l’exécutif sur l’EI a un peu changé. D’abord parce que Paris commence à reconnaître publiquement que l’organisation djihadiste n’est pas seulement un groupuscule terroriste comme ceux qui régnaient au nord du Mali, mais une véritable armée. « On est face, non plus à des groupes de terroristes, mais face à une armée. Il faut le reconnaître. (…) C’est bien une armée qui s’est constituée », explique par exemple la députée PS Geneviève Gosselin-Fleury, membre de la commission de la défense.

« Il y a eu récemment un changement sémantique manifeste, qui ne relève pas que de la communication politique. Jean-Yves Le Drian répète systématiquement que l’EI n’est pas un groupe terroriste habituel mais bien une armée, avec 30 000 hommes et de l’argent. C’est un changement sémantique qui coïncide avec une vraie prise de conscience »,explique un diplomate. Le 7 octobre, devant la commission de la défense, le ministre a ainsi parlé d’« une armée, puissamment équipée, avec ses chars et son trésor de guerre ».

Un discours assez éloigné des éléments de langage de Laurent Fabius, qui a longuement expliqué, le mois dernier, pourquoi il parlait des « égorgeurs de Daech » (l'acronyme, en arabe, de l'État islamique en Irak et au Levant), et non d’un supposé «État ». Mais fin août, devant l’Assemblée nationale, le même ministre des affaires étrangères préférait l’expression de « califat de la barbarie et de la terreur ». Et il ajoutait : « Faisant fond sur son expérience à Raqqah, en Syrie, où il entretient une administration, le groupe de l’État islamique ne remplace effectivement pas les fonctionnaires qui lui font allégeance ; de fait, il se comporte comme un véritable État. Cela appelle réflexion, et invite à une approche nouvelle en matière de relations internationales, dans la mesure où les États traditionnels n’ont plus le monopole de la puissance, et d’autres groupes s’arrogent le privilège d’assurer les missions de police, de justice et de défense. »

« On est passé d’une communication sur le caractère barbare de Daech à une communication sur le temps long de la guerre », explique  un spécialiste de la défense. Certains responsables militaires français partagent d’ailleurs les estimations américaines selon lesquelles l’EI est un problème pour 15, 20 ou 30 ans – pas seulement les prochains mois ou même les cinq prochaines années.

Difficile également de comprendre pourquoi la France a choisi de tellement communiquer sur son engagement dans la coalition internationale en Irak – elle ne participe pas aux frappes en Syrie. Cette décision est d’autant plus surprenante que les forces françaises n’ont pour l’instant effectué que deux frappes ! C’est 1 % de l’effort militaire de la coalition, comme le rappelle L’Opinion.

La participation de la France ne se cantonne pas à ces interventions aériennes : elle passe aussi par l’envoi de matériels militaires pour les combattants kurdes d’Irak (les peshmergas) et pour l’opposition dite modérée à Bachar al-Assad de l’Armée syrienne libre. Mais la communication politique officielle reste disproportionnée par rapport à l’ampleur des opérations françaises. À tel point que le déséquilibre alimente le soupçon d’un exécutif tenté de combler son impopularité chronique par un activisme démesuré sur le terrain militaire. Mais un activisme dont on ne verrait pas vraiment quelle vision du monde il sous-tend.

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