Il est le premier responsable. En juillet 2012, quand le compte de Nicolas Sarkozy est remis aux autorités de contrôle, il est non seulement signé de son trésorier de campagne et de son expert-comptable, mais aussi de la propre main du candidat. Ce jour-là, en bas du document, Nicolas Sarkozy appose son paraphe avec ces quelques mots: « Vu et certifié exact le compte et ses annexes. »
Comme le prévoit la loi pour tous les candidats, l’ancien président se porte ainsi garant à titre personnel de la régularité de ses dépenses – de même qu’il a emprunté des millions d’euros à titre personnel pour financer sa campagne, qu’il a encaissé à titre personnel une avance de l’État, etc. Or, on le sait aujourd’hui, ce compte et ses annexes étaient non seulement inexacts, mais grossièrement truqués.
Avec l’explosion de l’affaire Bygmalion, on voit de plus en plus mal comment le candidat Sarkozy en personne va pouvoir s’extraire de cette nasse. Les trois juges d’instruction chargés du dossier par le parquet de Paris en juin dernier, saisis de potentiels délits de « tentative d’escroquerie », « abus de confiance » et « faux et usage de faux », diront si Nicolas Sarkozy était au courant du maquillage de son compte de campagne et du système de fausse facturation mis en place avec Bygmalion pour minorer ses frais de meetings – ou bien si le “patron” a été tenu dans l’ignorance par ses lieutenants.
Mais que son implication soit démontrée ou non dans le dossier Bygmalion, il est une infraction “mineure” que Nicolas Sarkozy semble bien avoir commise et qu’il aura du mal à balayer : celle prévue par l’article 113-1 du code électoral qui punit d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende (ou l'une de ces deux peines) tout candidat ayant « dépassé le plafond des dépenses électorales » ou déclaré des « éléments comptables sciemment minorés ».
Les faits semblent en effet établis depuis la décision du Conseil constitutionnel de juillet 2013 (définitive et non susceptible de recours) : avant même les révélations sur les 17 millions d’euros de prestations cachées de Bygmalion, les « Sages » avaient déjà déniché 1,6 million d’euros de dépenses non déclarées par Nicolas Sarkozy (tracts, conseils en communication, etc.) et jugé « irrégulier » le financement de son meeting de Toulon (réglé avec l’argent de l’Élysée). Après avoir réintégré tous ces frais, le conseil constitutionnel avait estimé que le candidat dépassait de 460 000 euros le plafond de dépenses légal. Son compte rejeté, Nicolas Sarkozy avait automatiquement écopé d’une pénalité financière (de 360 000 euros) et dû tirer un trait sur le remboursement par l’État de ses frais de campagne (à hauteur de 10,6 millions d’euros).
Par conséquent, quel que soit le résultat de l’instruction menée sur le système de fausse facturation de Bygmalion, que le délit de « tentative d’escroquerie » puisse être imputé à Nicolas Sarkozy ou non (un lourd délit passible de sept ans de prison et de 750 000 euros d’amende quand il est commis « au préjudice d'une personne publique »), la voie semble relativement dégagée pour des poursuites sur la base du “petit” article 113-1 du code électoral, des poursuites a minima en quelque sorte, mais à l’encontre de Nicolas Sarkozy en personne.
Cet article-là, tout le monde semblait jusqu’ici l’avoir oublié. Il faut dire qu’il est rarement actionné par la justice pénale : les procureurs de la République semblent considérer en général qu’un candidat qui voit son compte retoqué par le juge administratif (à l’issue de législatives, de cantonales, etc.) est déjà suffisamment plombé par le non-remboursement de ses frais de campagne, voire par l’annulation de l’élection qui en découle. Mais tout poussiéreux qu’il soit, cet article existe bel et bien dans la législation française.
Les enquêteurs de l’Office central de lutte contre la corruption (qui travaillent avec les trois juges d’instruction) s’en sont souvenus. Leur patronne, Christine Dufau, fait visiblement référence à cette infraction dans un procès-verbal de synthèse daté du 1er octobre, dont Le Monde a dévoilé des extraits cinq jours plus tard. Pour que les trois juges aient le droit d’instruire sur cette base (et non plus seulement sur des soupçons de « faux et usage de faux », d’« abus de confiance » et de « tentative d’escroquerie »), il leur faut maintenant demander – et obtenir – un réquisitoire supplétif du parquet de Paris.
À vrai dire, le conseil constitutionnel aurait pu signaler au parquet ces faits susceptibles d’enfreindre l’article 113-1 dès l’été 2013, juste après leur décision de rejet du compte de Nicolas Sarkozy. La Commission nationale des comptes de campagne, elle aussi, aurait pu écrire au procureur de la République. En réalité, ni l’un ni l’autre n’ont bougé. Pourquoi ?
Les deux institutions ont sans doute considéré que le non-remboursement par l’État de 10,6 millions d’euros de frais de campagne constituait un coup de tonnerre suffisant dans le paysage politique. En clair, pas besoin d’en remettre une couche devant le juge pénal.
« Surtout, il n’y avait pas de précédent, assure l’ancien avocat de Nicolas Sarkozy devant le Conseil constitutionnel, Me Philippe Blanchetier, spécialiste de droit électoral. L’article 113-1 fait partie de ces dispositions du code qui sont très peu ou pas du tout appliquées. Probablement parce qu’on considère que la privation du droit au remboursement constitue une sanction suffisante. » Et de citer le cas du socialiste Jean-Pierre Huchon, dont le compte de campagne a été retoqué aux élections régionales de 2010 sans qu’il soit poursuivi pour autant au pénal.
L’intention du législateur était pourtant simple : ne laisser impuni aucun comportement attentatoire au principe d’égalité entre les candidats.
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