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Les gros cadeaux d'un oligarque kazakh à l’équipe Sarkozy

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C’est une nouvelle affaire qui en rappelle d’autres. En 2009, plusieurs conseillers de Nicolas Sarkozy ont négocié avec l’oligarque kazakh Patokh Chodiev les conditions d’un marché de vente de 45 hélicoptères, de deux satellites d’observation au Kazakhstan et d’autres contrats pour un montant total d’environ 2 milliards d’euros. Mais l’oligarque qui offre ses contacts avec le président Noursoultan Nazarbaïev demande l’appui de l’Élysée pour sortir d’une affaire judiciaire en Belgique. Et il sort le grand jeu pour séduire le clan Sarkozy.

Selon des documents obtenus par Mediapart, Patokh Chodiev qui a pris contact avec certains conseillers dès 2008, invite le 25 septembre 2009 l’équipe de Sarkozy au restaurant trois étoiles L’Ambroisie — pour 11 000 euros —, puis il offre une montre de 44 000 euros au conseiller diplomatique Damien Loras. Quelques jours plus tard, le 6 octobre 2009, Nicolas Sarkozy rend une visite éclair, de quelques heures, au président Nazarbaïev « autour de la signature de contrats économiques », au grand dam des organisations des droits de l’homme, qui condamnent de longue date les pratiques de ce régime autoritaire.

« La meilleure façon de résoudre des problèmes, car il y a des problèmes, et j'en ai parlé avec le président, ce n'est pas forcément de venir en donneur de leçons, c'est de venir en ami pour essayer de trouver des solutions », explique alors Sarkozy.

Nicolas Sarkozy et Damien Loras, à l'Elysée, en avril 2012.Nicolas Sarkozy et Damien Loras, à l'Elysée, en avril 2012. © Reuters

C’est un virement de 300 000 euros reçu par un chargé de mission à l’Élysée, Jean-François Étienne des Rosaies, qui alerte le service de lutte contre le blanchiment Tracfin, et provoque une enquête du parquet, puis une information judiciaire, dont l’ouverture en mars 2013 a été dévoilée par Le Monde.

L’enquête pour « blanchiment en bande organisée », « corruption d’agents publics étrangers » et « complicité et recel » est confiée aux juges Roger Le Loire et René Grouman. Ces derniers ont mis en examen, début septembre, l’avocate en France de Patokh Chodiev, Me Catherine Degoul, qui a procédé elle-même, selon Le Monde, au virement sur le compte d’Étienne des Rosaies, chargé de mission à l’Élysée jusqu’en 2010.

Damien Loras, aujourd’hui consul général de France à São Paulo, a été la courroie de transmission entre l’Élysée et l’oligarque. Le diplomate, alors membre de la cellule diplomatique de l’Élysée (pour l’« Amérique, Russie, Caucase, Balkans et Asie centrale »), rencontre Patokh Chodiev fin 2008. Ce dernier noue parallèlement des contacts avec l’état-major d’EADS. Le 7 mai 2009, une rencontre scelle les contacts entre les industriels et l’oligarque dans la villa de ce dernier, “Le Petit Rocher”, au cap Ferrat. Le 23 juillet suivant, Damien Loras obtient de rencontrer le président Noursoultan Nazarbaïev avec son supérieur Jean-David Levitte, dans la même résidence.

Il s’agit, déjà, de préparer deux voyages importants au Kazhakstan. Le premier est celui des patrons d’EADS. Fin septembre 2009, Marwan Lahoud, directeur général délégué en charge de la stratégie et de l’international d’Airbus Group, et son bras droit, Jean-Pierre Talamoni, directeur du développement international, se rendent en jet privé Falcon 2000 (coût du voyage : 80 000 euros) à Astana pour y voir le premier ministre et fixer les modalités du contrat qui sera signé l’année suivante. Damien Loras, venu quant à lui dans un avion du gouvernement, est présent à ce rendez-vous.

Jean-Pierre Talamoni, pourtant, conteste vivement tout pourparler avec l’oligarque au sujet des hélicoptères kazakhs. « Si vous pensez que ce contrat se négocie avec un monsieur comme M. Chodiev, c'est une méconnaissance totale de ce genre d'affaires, déclare-t-il à Mediapart. En aucun cas nous n’avons discuté d'hélicoptères avec M. Chodiev. Il y a zéro commission et ça vous pouvez m'envoyer tous les flics de la terre : il y a donc zéro rétrocommission. »

MM. Talamoni et Chodiev, le 7 mai 2009, dans la villa du second au cap Ferrat.MM. Talamoni et Chodiev, le 7 mai 2009, dans la villa du second au cap Ferrat. © DR

Quand nous lui indiquons que Mediapart détient des photos de lui (voir ci-dessus) dans la villa personnelle de Chodiev, lors d'un rendez-vous de travail du 7 mai 2009, Talamoni répond : « En aucun cas nous discutions d'hélicoptères. On parle d'ouverture du Kazakhstan. Les affaires ne se font pas au niveau politique, elles se font au niveau industriel. Sarkozy avait annoncé le Rafale au Brésil, à Koweït, il annonçait des milliards de contrats qui n'ont jamais eu lieu. » Pourtant, six mois plus tard, son patron Marwan Lahoud et lui-même s'envolent rencontrer le premier ministre kazakh à Astana. Par ailleurs, Mediapart a pu consulter des traces d'autres rendez-vous entre Jean-Pierre Talamoni, Brigitte Floch', autre cadre d'EADS, et l'oligarque Chodiev, que ce soit à Bruxelles (Hôtel Conrad), à Londres (Hôtel Dorchester) ou au Plaza Athénée à Paris.

Les affaires étaient, de fait, bien parties. Le 25 septembre 2009, Patokh Chodiev choisit de sceller un peu plus cette « amitié » naissante, place des Vosges, au restaurant L’Ambroisie. Les invités : Damien Loras et sa femme, Patrick Balkany, l’ami du président (qui a profité de certains déplacements dans le jet privé de Chodiev), Bruno Joubert, conseiller diplomatique adjoint et « Monsieur Afrique » à l’Élysée (qui sera nommé quelques jours plus tard ambassadeur au Maroc), et l’amiral Alain Oudot de Dainville, patron de l’office d’armement ODAS. Prix du repas : 11 310 euros. La facture est réglée par Chodiev qui laisse un pourboire de 500 euros.

La note de restaurant à L'Ambroisie, place des Vosges, à Paris. La note de restaurant à L'Ambroisie, place des Vosges, à Paris. © DR

À la fin du repas, l’oligarque offre une montre en or blanc et bracelet crocodile d’une valeur de 44 000 euros à Damien Loras. La montre semble oubliée. Mais elle réapparaît le 26 mars 2010, dans un mail adressé à Claude Guéant, secrétaire général de l’Élysée, et son assistante, Nathalie Gonzalez-Prado, par un homme d’affaires ayant connu Chodiev.

Intitulé « Très urgent », ce texte très précis rappelle comment l’affaire a débuté, quels furent les premiers contacts entre Patokh Chodiev et les conseillers de l’Élysée, les dates, les lieux, les personnes présentes. Cet homme d’affaires attire l’attention sur un homme en particulier : Damien Loras avec qui il a un différend. « Je ne sais pas à l’heure où je vous écris si Damien Loras sert toujours les intérêts de la France ou les intérêts de M. Chodiev et les siens par la même occasion puisqu'il (Chodiev - ndlr) lui a payé une montre d'une valeur de 44 000 EUR. Facture à l'appui en pièce jointe. »

Obtenue par Mediapart, cette facture mentionne la remise de la montre, le 25 septembre 2009, date de la réception de L’Ambroisie.

La montre à 44 000 euros offerte à un conseiller de l'Elysée.La montre à 44 000 euros offerte à un conseiller de l'Elysée. © DR

« Oui, M. Chodiev m'a bien offert deux montres dont je ne connais pas le montant, a confirmé Damien Loras. Une pour moi et une pour ma femme. Mais deux jours après, je m'en suis ouvert à mon supérieur Jean-David Levitte. Après que mon assistante d'alors eut constaté que la cession de ce cadeau à une organisation ou association à vocation humanitaire n'était pas possible. » Damien Loras nie avoir reçu la montre en main propre lors de ce dîner. Il indique dans un mail suivant l'échange téléphonique avoir reçu « par porteur, peu après mon mariage (12 septembre 2009) des montres de valeur à mon domicile ». Et c'est pour cela qu'il n'aurait pu les refuser sur le moment. Car, indiquait-il, « je suis tout à fait d'accord qu'il est impensable dans des fonctions de ce type d'accepter ce genre de cadeaux ».

Le diplomate assure les avoir laissées dans un coffre de la « salle du chiffre » de l’Élysée. Contactés les services de l’Élysée n’ont pas été en mesure de confirmer la version de Damien Loras. Depuis 2012, les cadeaux reçus d’une valeur supérieure à 150 euros sont conservés dans une salle du Palais de l’Alma.

L’autre partie s’est jouée en Belgique, par l’intervention d’un homme politique libéral, vice-président du Sénat, Armand De Decker. Et c’est là où intervient Jean-François Étienne des Rosaies, qui le connaît bien. La demande de Patokh Chodiev n’est pourtant pas simple. Elle vise à le sortir d’un dossier judiciaire dans lequel il est mis en cause pour corruption — l’affaire Tractebel.

« Quand j’ai quitté la présidence du Sénat en juillet 2010, j’ai repris mes activités d’avocat, explique dans la presse belge Armand De Decker, en 2012, après les premières révélations du Canard enchaîné dans ce dossier. J'ai alors reçu un appel de Me Degoul et de Me Tossens, avocat bruxellois, pour que je les rejoigne dans la défense de Monsieur Chodiev. Il s'agissait d'un vieux dossier lié à l'affaire Tractebel, datant de 1996, et qui risquait, pour le ministère public, de se heurter au délai raisonnable. On est vite arrivé à la conclusion qu'il valait mieux une transaction. » Le politique assure qu’il n’a « jamais rencontré Monsieur Chodiev en personne ».

Pour Chodiev, la solution est législative. Elle dépend d’un nouveau texte sur la transaction pénale. En février 2011, une proposition de loi est déposée à la Chambre. En mars elle est adoptée. Elle est promulguée le 16 mai et Chodiev est tiré d’affaire. Une transaction est négociée avec le parquet de Bruxelles, qui abandonne ses poursuites contre la somme de 23 millions d'euros en août 2011. Plusieurs députés s’étonnent de la rapidité d’examen de ce texte, mais ils imaginent qu’il est destiné aux diamantaires.

Armand De Decker reconnaîtra dans la presse belge « connaître de longue date » le chargé de mission Étienne des Rosaies. Et ce dernier écrit lui aussi à Claude Guéant, le 28 juin 2011, pour résumer ses diligences pour « sauver Chodiev ». De Decker « nous a apporté l'adhésion des Ministres de la Justice, Finances et Affaires étrangères », écrit Étienne des Rosaies. C’est lui qui a « engagé » le vote à l'unanimité du parti libéral pour modifier la loi du Code civil de justice belge permettant à l'État de procéder à « des transactions financières dans des affaires pénales recouvrant notamment les chefs d'inculpation de blanchiment, faux en écriture et association de malfaiteurs ».

Ces manœuvres ont poussé, mardi, le député belge Olivier Maingain à demander la création d’une commission d’enquête dans un entretien accordé au Monde. « S’il est avéré que le pouvoir législatif belge a été instrumentalisé par le pouvoir sarkozyste pour in fine conclure un marché de vente d’hélicoptère, alors c’est un scandale d’État », a-t-il commenté.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Le lobbying de Microsoft à l’éducation nationale


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