La bande-annonce était digne d’un blockbuster américain. Une situation apocalyptique. Un homme, un sauveur, un destin. Le retour de Nicolas Sarkozy, largement “teasé” par son entourage depuis l’échec du 6 mai 2012, s’annonçait comme un énorme succès. À écouter ses fidèles, l’ancien président allait tout casser, tout changer, tout révolutionner. Pour sauver l’UMP, mais pas seulement. « Sans Sarkozy, il n’y aurait plus de démocratie en France, en Europe et dans le monde », expliquait, dès novembre 2013 et avec le plus grand sérieux du monde, son ancien conseiller à l’Élysée, Henri Guaino.
Certains s’enhardissaient jusqu’à prendre leurs distances avec le “héros” de la droite ? Qu’importe. Ils rentreraient vite au bercail. « Je fais le pari que, dans deux ans, tout le monde sera revenu dans la famille sarkozyste », assurait, il y a encore quelques mois, Brice Hortefeux, l’« ami de trente ans », persuadé que la seule évocation du retour de l’ancien président ramènerait les âmes égarées dans le droit chemin. Comme dans un blockbuster américain toujours, le scénario était couru d’avance : oui, au bout du compte et malgré une série d’obstacles politiques et judiciaires, Nicolas Sarkozy finirait par libérer la nation. Ni plus ni moins. Son élection annoncée à la tête de l'UMP n'a jamais été le vrai sujet de la comédie qu'il joue devant nos yeux, ses velléités se situant bien au-delà de 2014 et de la rue de Vaugirard : en 2017, du côté de l'Élysée.
Mais depuis trois semaines que le film de la résurrection politique de l’ancien président est diffusé sur nos écrans médiatiques, la réalité rattrape la fiction. Disons-le tout de go : c’est un fiasco. Lui qui souhaitait un « retour stratosphérique » voit sa petite fusée piquer du nez à peine les moteurs enclenchés. Même Henri Guaino a du mal à cacher ce qu’il pense de la campagne de son mentor. « Ça se passe… », s’est-il contenté de soupirer sur LCP. La dynamique n’est pas au rendez-vous. L’effet Sarkozy ne marche pas, ou plus exactement, il ne marche plus. D’abord, parce l’ex-homme fort de la droite revient pour de mauvaises raisons. « Sarko ne veut revenir que pour une seule chose : se protéger judiciairement en prenant le parti comme bouclier », s’agaçait dès le mois de juillet un cadre de l’UMP à Mediapart. Ils sont nombreux, rue de Vaugirard, à partager cet avis. L’ancien président lui-même ne cache plus que les multiples affaires qui le visent ont fortement motivé sa décision.
« Je ne me plains pas, je continuerai à répondre à tout, a-t-il ainsi expliqué, le lundi 6 octobre, lors d'une réunion publique à Vélizy-Villacoublay (Yvelines). Mais cela a beaucoup renforcé ma détermination parce que je n'aime pas l'injustice, je n'aime pas le mensonge. Et si on voulait que je reste tranquille dans mon coin, il ne fallait pas agir comme ça. » En région parisienne, comme à Troyes (Aube) la semaine précédente, Nicolas Sarkozy déroule la même litanie. Parce que cela commence à lui « chauffer le bas du dos », comme il le dit lui-même, il prend la parole sur les affaires de sa propre initiative, sans qu’aucune question de la salle ne porte sur le sujet.
La mise en scène est rodée. Et le message adressé aux militants est clair : puisque vous ne me parlez ni de Karachi ni de Bettencourt ni de Kadhafi ni même de Bygmalion et des 11 millions d’euros récoltés par le “Sarkothon” grâce à vos dons, c’est moi qui vais vous en parler. Pourquoi ? Parce que que je n’ai rien à cacher. S’ensuivent généralement une série d’approximations, de contre-vérités, d’attaques visant la justice et la presse – Mediapart est particulièrement choyé – et de petites blagues, toujours les mêmes, qui ravissent un public conquis d’avance. Ce one-man-show, qui confine au Grand Guignol, sera en tournée dans toute la France jusqu'à fin novembre.
Avec un tel numéro – et pour paraphraser Xavier Bertrand –, Sarkozy ne séduit que les convaincus. Mais la fébrilité dont il fait montre dès lors qu’il s’agit d’évoquer les affaires ne trompe personne. L’ancien président a beau répéter qu’il ne souhaite pas qu’on lui impose un agenda, la justice en a décidé autrement. Et il le sait. En mettant en examen, le samedi 4 octobre, Éric Cesari, l’ancien directeur général de l’UMP, et en l’interdisant de rencontrer l’ex-chef de l’État, les juges qui enquêtent sur l’affaire Bygmalion ont resserré d’un cran supplémentaire l’étau judiciaire qui entoure Sarkozy. C'est désormais connu, jamais sous la Ve République un système présidentiel n'aura été cerné de si près par des juges anticorruption.
L’affaire Bygmalion est un énième cliché de l’album-photo judiciaire du sarkozysme, mais c’est aussi le dossier sur lequel les adversaires de l’ancien président misent le plus pour entraîner définitivement sa chute. Si aucun d’entre eux ne le dit clairement, les sous-entendus sont tels qu’ils ne laissent nulle place au doute. Nicolas Sarkozy joue les Pinocchio en assurant avoir « appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle » ? François Fillon, Xavier Bertrand et Bruno Le Maire, pour ne citer qu’eux, se précipitent pour clamer qu’ils avaient « souvent entendu parler » de cette entreprise « qui travaillait régulièrement avec l’UMP ». Il veut briguer la présidence de l’UMP ? Soit, répondent ses rivaux. Mais il devra alors se plier à une « transparence totale » et « gérer les conséquences des enquêtes judiciaires en cours ». Le piège est tendu, il n’y a plus qu’à attendre.
Les affaires et Sarkozy sont du pain bénit pour ses concurrents. Ceux de l’élection de novembre (Hervé Mariton et Bruno Le Maire) n’en profiteront sans doute pas, mais les ambitieux de 2017 (François Fillon, Alain Juppé, Xavier Bertrand…) savent déjà qu’ils en tireront un petit quelque chose. En attendant que la justice fasse son travail, les rivaux de l’ancien président trouvent d’autres voies pour le mettre en difficulté. Et le choix des armes ne manque pas. Certains attaquent sur la forme en pointant la nervosité et l’agressivité de Nicolas Sarkozy. Mais le plus gros des critiques porte sur le fond, ou plus exactement, sur l’absence de fond.
Deux ans de réflexion. Deux ans durant lesquels toute pensée humaine a généralement le temps d’infuser. Deux ans de lectures, d’échanges et d’expériences. Et au bout du compte ? Rien. La première prise de parole de l’ancien président sur France 2 ne méritait qu’un seul commentaire : tout ça… pour ça !? Recycler vaguement deux idées d’un projet de 2012 – réforme de l’espace Schengen et recours aux référendums – et expliquer, sur la question du mariage pour tous, que l’« on a utilisé les homosexuels contre les familles », ne méritait certainement pas un entretien sur-mesure de 45 minutes sur le service public. C’est pourtant ce à quoi nous avons eu le droit. L'ex-chef de l'État a avancé de quelques millimètres plus récemment dans Le Figaro Magazine, en abordant ses « idées pour la France », semblant oublier au passage qu'il brigue la tête de l'UMP et non l'Élysée.
Si la sauce Sarkozy ne prend pas, c’est aussi parce que ses ingrédients sont les mêmes que ceux qui l’ont fait échouer en 2012 et qui n’ont toujours pas été digérés. L’ancien président à beau jeu de moquer, comme il l’a fait lundi soir à Vélizy-Villacoublay, cette UMP qui depuis deux ans « parle trop », mais « ne travaille plus ». Il fait exactement la même chose. Son programme pour le parti ? Lui-même. « Qu’on m’élise comme président et que je fasse le travail. Et vous allez voir que l’on va créer ce grand rassemblement. » L’égocentrisme pour seul projet. Une fois de plus, c’est un peu court. D’autant que le fameux « message de rassemblement » qu’il souhaite porter a lui aussi du plomb dans l’aile.
Certes, l’ancien président a encore son fan club dans le noyau dur des militants UMP. Mais pour le reste, c’est un homme seul. Parmi les élus de l’opposition, nombreux sont ceux à vouloir tourner la page. Près de 80 parlementaires ont d’ores et déjà officiellement parrainé les autres candidats à la présidence du parti, Hervé Mariton et Bruno Le Maire. Parmi la jeune génération, l’ancien ministre de l’agriculture peut également s’enorgueillir du soutien d’une grande partie des jeunes députés qui composent le collectif des “Cadets-Bourbon”, mais aussi de certaines “têtes pensantes” comme Maël de Calan, coanimateur du think thank labellisé UMP, La Boîte à idées.
Les quelques élus qui soutiennent Nicolas Sarkozy, en revanche, le font du bout des lèvres. Si le jeune député et maire UMP de Tourcoing (Nord), Gérald Darmanin, a accepté d’assurer le porte-parolat de la campagne de l’ancien président, il continue de répéter à l’envi qu’il soutiendra Xavier Bertrand pour la primaire de 2016. La fillonniste Valérie Pécresse réserve, elle aussi, son vote à Nicolas Sarkozy – une façon de s’assurer qu’il rendra la pareille aux futures régionales où l’ex-ministre de l’enseignement supérieur est candidate en Ile-de-France –, mais « il faut lire entre les lignes : c’est un vote, pas un soutien », prend soin de “stabiloter” son entourage à Mediapart. « Même NKM ne donne pas son blanc-seing », confie un proche de la députée de l’Essonne, qui fait pourtant partie de l’équipe rapprochée du candidat.
Au baromètre des tendances, figure encore l’épisode récent des sénatoriales où les soutiens de l’ex-chef de l’État (Jean-Pierre Raffarin, candidat plateau, et Roger Karoutchi, candidat à la présidence du groupe UMP) sont sortis défaits. Il ne fait pas bon être sarkozyste ces derniers temps et c'est en partie la raison pour laquelle la plupart des élus se murent dans le silence. Afin de les pousser à parler, “Sarkozy la menace” en convoque beaucoup dans ses bureaux parisiens de la rue de Miromesnil. Il les invite à réfléchir à la suite de leur carrière politique, leur explique que ce n’est pas le moment de se tromper. Des méthodes que d’aucuns, dans l’entourage de l’ex-chef de l’État, qualifient de « négociations », mais qui de fait, ont tout de la tentative d'intimidation.
La cerise sur le gâteau des camouflets subis par Nicolas Sarkozy a été posée par Jacques Chirac, le 2 octobre. « J’ai toujours su qu’Alain Juppé serait au rendez-vous de son destin et de celui de la France. Peu de chose pouvait me faire plus plaisir, pour moi-même, pour lui et surtout pour notre pays », a déclaré ce jour-là l’ancien président au Figaro, répondant ainsi à son épouse, Bernadette Chirac, qui avait qualifié le maire de Bordeaux « d’homme très très froid (qui) n'attire pas les gens ».
Bernadette Chirac fait partie du cercle désormais très fermé – pour ne pas dire confidentiel – des sarkozystes purs et durs. Elle y côtoie notamment Nadine Morano et les “bébés Hortefeux et Buisson” de la Droite forte, Geoffroy Didier et Guillaume Peltier. Des fidèles qui font un peu tache dans le décor de « renouveau » devant lequel l’ancien président essaie tant bien que mal de se maintenir. Aussi a-t-il choisi tout simplement de les écarter de son équipe de campagne. Une décision qui n’a pas manqué de susciter leur amertume, comme l’illustre cette anecdote rapportée par Le Canard enchaîné : lors du premier meeting de Nicolas Sarkozy à Lambersart (Nord), Nadine Morano a fait valoir son point de vue à son champion en qualifiant Gérald Darmanin de « chihuahua » et Laurent Wauquiez de « crevure ». « Ce sont les anciens qui t’ont fait gagner la présidence de l’UMP en 2004, et en 2007 l’Élysée. Alors que ce sont eux, les gens comme Wauquiez, NKM ou encore Pécresse qui t’ont planté en 2012 », a-t-elle ajouté, furibonde.
Entre la jalousie des fidèles, le silence des élus et la prudence des soutiens, Nicolas Sarkozy est encore loin, très loin de rassembler sa famille politique. Lui semble presque s’en moquer. Ce qui lui importe désormais, c’est de regarder le nombre de like augmenter sur sa page Facebook. « J’ai gagné 35 000 nouveaux amis en moins d'une journée, se félicitait-il au JDD, juste après son retour. C'est bouleversant de voir tous ces gens qui reprennent confiance. » L’ancien président devrait regarder de plus près ses fils de commentaires, où les messages d’encouragement ont parfois du mal à rivaliser avec les insultes et les moqueries.
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