Vieux-Boucau (Landes), de notre envoyé spécial.- « Gauche promise, gauche due. Batterie faible. 10 %. » À la tribune, derrière Benoît Hamon, Pierre Laurent et Cécile Duflot, l’image apparaît furtivement en fond. Elle associe le slogan de l’université de rentrée du courant Un monde d’avance et l’avertissement fait au responsable du rétroprojecteur que la batterie de son ordinateur est épuisée. L'anecdote pourrait résumer l’état d’esprit du courant socialiste des proches de Benoît Hamon, ce week-end à Vieux-Boucau (Landes). Et même si les nombreux invités, venus de diverses sensibilités de la gauche critique de l’action gouvernementale, aspirent à recharger leurs batteries et à voir le PS ne plus frôler les 10 % dans les urnes, le coup de jus n’est pas encore pour tout de suite.
À nouveau, un événement rassembleur, organisé par un mouvement de gauche a vu planer au-dessus de ses débats morosité et désarroi. Sans que ne soit ébauché à nouveau d’alternative concrète. Pendant deux jours, la gauche non gouvernementale s’est encore reparlée et a encore souhaité une réorientation du cap gouvernemental, qu’elle sait pourtant illusoire. Sempiternelle ritournelle d’une nécessaire convergence aux perspectives bien incertaines.
Depuis les universités d’été des partis de gauche et la fête de L’Humanité, les mêmes ne cessent donc de se recroiser, pour affûter de façon toujours plus aiguë leurs critiques de l’orientation du gouvernement de Manuel Valls, et se montrer politiquement toujours plus proches dans leurs convergences programmatiques. Mais sans jamais s’inscrire dans une perspective de rupture. Comme le résume Henri Emmanuelli : « Jusqu’ici, le réformisme c’était “plus” ou “mieux”, désormais, c’est “moins” ou “pire”. Notre seul débouché politique, c’est de remettre sur ses pieds une gauche qui marche sur la tête. »
Dimanche, devant plus de 300 militants (une affluence en baisse par rapport aux années précédentes, mais toujours aussi jeune et issue des réseaux de jeunesse du parti, MJS et Unef), l’ancienne ministre écologiste Cécile Duflot s’est taillé un joli succès d’estrade, en confiant sa déception à mi-quinquennat et l’amertume de son « pari perdu avec François Hollande ». « Je ne pensais pas que la lutte infinie contre les déficits serait le seul horizon, lâche-t-elle. C’est inimaginable de dilapider si vite autant d’espoirs. »
De toutes parts, les politesses fusent entre les hérauts malheureux de la gauche au pouvoir sans la gauche. Benoît Hamon affirme sa conviction écologique comme paradigme déterminant d’un nouveau programme commun. Tout en pointant le faible écart qui l’éloigne du communiste Pierre Laurent, « en tout cas moins qu'entre le PS et le PCF à l'époque du programme commun (dans les années 1970 ndlr) ». Cécile Duflot se fait ovationner en estimant que « si le socialisme, c’est la justice sociale et la lutte contre les inégalités, alors je me sens beaucoup plus socialiste que le premier ministre ! ». Pierre Laurent souhaite que « bientôt », des socialistes puissent se faire applaudir par des communistes, comme lui peut l’être dans les cénacles du PS où il est invité.
Le secrétaire national du PCF appelle à « construire des scénarios de gauche à tous les niveaux : au parlement, dans les assemblées locales, dans les échéances électorales, sur le terrain social ». Henri Emmanuelli propose de son côté « la création de comités de rassemblement, pour que vive la gauche dans tous le pays ». La veille, Marie-Noëlle Lienemann insistait sur la nécessité de « rester un collectif », et souhaitait la rédaction d’une « plateforme commune ». Tout au long des tables rondes du week-end, les éternelles convergences se sont à nouveau affirmées, en bloc et en détail, de la VIe République à une grande réforme fiscale, en passant par la transition écologique ou la lutte contre les inégalités.
Désarmés face à la fracture à gauche, engendrée par le socialisme au pouvoir, les responsables des partis et courants sont comme les députés critiques à l’assemblée, tétanisés devant l’idée de franchir le Rubicon et d’acter une rupture, dont il ne cesse pourtant de tracer les contours. Réunis samedi en fin de journée, une partie de ceux qui ne veulent plus être appelés “frondeurs” ont ainsi justifié leur choix de s’en tenir à l’abstention. « Voter contre, ça aurait signifié que le PS appartient à François Hollande et Manuel Valls », a ainsi expliqué le député Laurent Baumel, tandis que son acolyte, Christian Paul, voit la contestation parlementaire comme « un antidote au rétrécissement insupportable de la gauche ».
Et si Philippe Noguès, un autre député régulièrement abstentionniste dans l'hémicycle, convient du « risque de causer une certaine lassitude, y compris auprès de ceux qui nous supportent », Henri Emmanuelli explique combien ils n’ont pas le choix : « Notre électorat ne comprendrait pas qu’on descende un gouvernement de gauche pour mettre la droite à la place. Il ne faut pas se leurrer : aux élections, les gens votent pour ou contre le PS. Tout se joue sur l’abstention d’un camp face à l’autre. » Un constat que partage Benoît Hamon, à l’occasion de son retour politique au premier plan : « Je ne veux pas abattre la gauche, je suis de gauche. »
Depuis son refus de poursuivre l’aventure gouvernementale, Benoît Hamon s’était fait discret. De retour, il présente un profil soigneusement travaillé, certes fidèle à son passé de leader unificateur des ailes gauche du PS, mais considérablement recentré, comme blanchi sous le harnais ministériel de la responsabilité. D’une formule, lors de son discours dominical, il dit son ambition : « On peut être radical, mais avec le sourire. »
Devant les siens, Hamon tient à livrer sa version du « récit de Frangy » : « Non, il ne s’agissait pas de deux ministres qui, enivrés, seraient allés un peu plus loin que prévu. Il s’agit d’un désaccord politique sur la façon d’être au service de ceux qui nous ont élus, et ce désaccord a été suffisamment grave que le gouvernement tout entier a été démissionné. » La veille, devant quelques journalistes, il convenait avoir lui aussi perdu son pari vallso-faustien. « On pensait que Manuel était plastique sur l’économie et pouvait incarner un rapport de force sur l’Europe, des positions sur lesquelles il était bien moins tranché que sur la sécurité, la laïcité ou l’ordre républicain. Ça n’a pas marché. »
À la tribune, Hamon pèse ses mots, se veut grave et souhaite prendre de la hauteur, en dénonçant ce qui constitue à ses yeux les quatre raisons de la « défiance » que connaît aujourd’hui le gouvernement qu’il a quitté (« absence de résultats », « promesses non tenues », « acceptation du désarmement de la politique » et « renoncement à l’espoir de progrès »). Il se fait aussi incisif sur la façon dont le pouvoir socialiste a cédé face aux lobbies divers, reculant sur la loi bancaire comme sur l’encadrement des loyers, sur le récépissé de contrôle d’identité comme sur la prise en compte de la pénibilité dans le calcul des retraites. « C’est cela qui altère la confiance du peuple, ce sentiment qu’on réévalue nos politiques en fonction d’intérêts privés, dit-il. On ne peut pas être plus sévère à l’égard de la CGT, qui a voté pour nous, qu’à l’égard du Medef. »
Redevenu député des Yvelines, élu à Trappes, il dit avoir été « profondément affecté » par l’attitude du gouvernement vis-à-vis du conflit
israélo-palestinien. « Nous avons commis une grave erreur d’appréciation sur Gaza, en donnant une lecture religieuse à un conflit éminemment politique », lâche-t-il. Mais Hamon se refuse pour autant à « accabler globalement le gouvernement », et ne se considère « pas dans l’opposition » : « Si nous voulons le rassemblement demain, il ne faut pas dire que le gouvernement est de droite, sinon ceux qui le soutiennent ne nous soutiendront pas. »
À ses troupes, à qui il recommande d’être « lucide, convaincu et optimiste », il a toutefois souhaité se montrer dans un rôle différent que celui du « chef de bande » qu’il occupait jusqu’avant son entrée au gouvernement, figure tutélaire de jeunes générations militantes successives.
« Benoît n’est plus le Hamon du congrès de Reims (où il avait recueilli 25 % des suffrages militants, en 2008 – Ndlr), explique Guillaume Balas, responsable d’Un monde d’avance. Il a été porte-parole du parti, puis ministre, il incarne plus que son courant. Il ne peut pas être complètement identifié à nous, mais se consacrer au rassemblement. » Hamon sait pouvoir être en mesure d’être l’un des moteurs d’un rassemblement qui n’en finit plus de se faire attendre. A la tribune comme en coulisses, il ne tarit pas d’éloges sur Arnaud Montebourg, Marie-Noëlle Lienemann ou Pouria Amirshahi. Et ne cache pas sa disponibilité pour être en première ligne, lors du futur congrès du PS.
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