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Arnaud Montebourg revient, l'œil rivé sur la présidentielle

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Laudun-l’Ardoise (Gard), de notre envoyé spécial.-  Même hors du gouvernement, Arnaud Montebourg reste suivi par une nuée de journalistes. Aux caméras et aux micros, il lance ses formules hautes en couleurs qui font de lui un bon client. « C’est le café du redressement ! » lâche-t-il, dimanche matin, en sirotant son petit noir. Une allusion à la « cuvée du redressement » adressée à François Hollande fin août, un jour de Fête de la rose et qui, le lendemain, lui a coûté son poste.

Ce week-end, l’ancien ministre réunissait 300 de ses amis et proches à Laudun-l’Ardoise, dans le Gard. Sa deuxième rentrée politique, un mois après sa démission forcée du gouvernement. « Le premier rassemblement d’une longue série », leur a-t-il promis, eux qui se sont souvent plaints de son incapacité à les organiser.

Arnaud MontebourgArnaud Montebourg © Reuters

À vrai dire, l’ancien ministre de l’économie n’a pas encore tout à fait tombé le costume du locataire de Bercy. Il dit : « Mon rôle en tant que ministre de l’économie… », raconte ses entrevues avec les grands de ce monde, parle « Made in France » et « innovation », ses slogans favoris depuis 2012 au ministère du redressement productif puis à celui de l’économie. Il sera même la semaine prochaine au Salon de l’automobile.

Pourtant, tout a changé. Les anciens de son cabinet, présents pour certains dans le Gard, se sont inscrits à Pôle emploi et ont troqué la veste pour des baskets. Montebourg se décrit en « citoyen ordinaire » qui, répète-t-il, « goûte (s)a popularité dans le métro ». « Je suis profondément heureux de me mettre en accord avec mes convictions. Cette nouvelle vie, c’est un de mes rêves, comme dix millions de Français qui veulent changer de vie. » L’ancien ministre envisage désormais de créer sa propre entreprise, avec quelques associés dont il tait le nom.

Le conseiller général de Saône-et-Loire ne sera pas candidat aux cantonales de mars 2015 : après dix-sept ans de mandats électifs, il n’en aura bientôt aucun. De ce départ à zéro imposé plus tôt que prévu par François Hollande et Manuel Valls, Montebourg fait un étendard. « Les Français ne veulent plus de ce système politique qui les a abandonnés, dit-il. Les dirigeants politiques doivent retrouver la société française, s’intéresser à ceux qui la composent. Partir de leurs problèmes pour définir des solutions, et non plus jeter des solutions qui conduisent à des désastres dont nous ne sommes plus très loin, et que nous devons conjurer. »


L’agenda personnel de celui qui, avec 17 %, fut le troisième homme de la primaire socialiste en 2011, n’a désormais plus qu’un horizon : l’élection présidentielle, la seule « à laquelle (il) envisage de (se) représenter un jour ». Mais pas question d’évoquer le sujet avant 2016, l’année d’un probable congrès du PS et d'éventuelles primaires socialistes pour désigner le candidat à la présidentielle. « Arnaud Montebourg n’est pas un mec accablé. Il travaille, il est au début d’un chemin. Il reste une incarnation, il lève une espérance », plaide le député PS Arnaud Leroy, l'un de ses proches. « C’est une traversée du désert qui commence, et c’est un art qu’Arnaud n’a jamais pratiqué », reconnaît Paul Alliès, président de la Convention pour la VIe République.

Dimanche midi, dans son discours de clôture, Montebourg est longuement revenu sur la « crise politique », la « dislocation » du 25 août lorsque « trois ministres importants du gouvernement » – Benoît Hamon, Aurélie Filippetti et lui – ont été démissionnés. Ce jour-là, « un pan de la montagne gouvernementale, un gros bloc s’est détaché ». Il refait l’histoire. « Nous avons pris la décision (…) de partir à trois pour des raisons politiques, partagées collectivement, sur la politique économique. » En réalité, au lendemain d’un discours offensif à sa Fête de la rose de Frangy-en-Bresse, Montebourg a été forcé de démissionner, pris de court par le premier ministre et le chef de l’État qui voulaient poser un acte d’autorité (lire nos articles). Hamon, qui ne pouvait pas le désavouer faute de perdre toute autorité sur l’aile gauche, l’a suivi.

Montebourg ne s’encombre pas de ces détails. Il préfère insister sur l’affrontement, au sein du gouvernement, entre deux lignes politiques devenues irréconciliables. « Il ne s’agit pas d’une querelle mais d’un désaccord. Le choix fondamental de notre gouvernement de rétablir les équilibres financiers est devenu une obsession, un mantra, une sorte de croyance, de culte obsessionnel. (…) Cet objectif est en train de devenir l’erreur fondamentale de ce quinquennat, et c’est notre responsabilité de le dire. Cette politique économique est une politique d’austérité. »

Une politique « stupide », dit-il même, empruntant les mots du président du Conseil italien Matteo Renzi. Montebourg éreinte le Traité de stabilité (TSCG) voté par le Parlement en 2012 alors que François Hollande avait promis de le renégocier. « C’était une erreur de ne pas l’avoir renégocié. » Il était alors ministre du redressement productif. À nouveau, il plaide pour porter, sinon la « confrontation », du moins « la contradiction » à l’Allemagne, garante d’une ligne orthodoxe en Europe. « Appliquer des règles aveuglément, c’est nous détruire nous-mêmes », met-il en garde, inquiet de la « transhumance massive des électeurs de l’UMP et du PS vers le FN. »

François Hollande n’est jamais cité nommément. Mais c’est bien le chef de l’État qui est visé lorsque Montebourg, qui s’était rallié à lui au deuxième tour de la primaire socialiste, s’en prend aux « erreurs commises par un esprit solitaire qui a parfois tous les pouvoirs ». Hollande visé, encore, lorsque Montebourg décrète le chant du cygne de la gauche au pouvoir, alliance « entre des barons locaux et une technocratie arrogante prédisposée, selon elle, à diriger le pays ». Manuel Valls n’est cité qu’une fois, désigné comme un simple continuateur des politiques de Fillon et Ayrault. En avril, Montebourg l'avait soutenu pour Matignon en échange d'une promesse d’inflexion de la ligne politique. Il estime aujourd'hui que « cet accord n'a pas été respecté ».

Montebourg éreinte aussi « l’incapacité du système gouvernemental actuel à organiser le doute, à se contrôler lui-même, à maîtriser ses propres erreurs, à lutter contre sa propre arrogance, à organiser sa propre humilité ». Il s’assigne désormais une double mission : « dessiner les perspectives de l’alternative », « faire renaître la gauche avant qu’elle ne meure ». À Manuel Valls, qui s’inquiétait en juin de la possible mort de la gauche, Montebourg rétorque : « Il y a d’un coté une certaine gauche qui disparaît pendant qu’une autre est déjà en train de vivre, de survivre et de préparer l’avenir. » « Le molletisme est mort, oui, mais pas la gauche », traduit un proche après le discours.

Laudun est une petite ville située dans la circonscription de Patrice Prat, un des rares députés estampillés 100 % “montebourgeois” à l’Assemblée. Pour cette rentrée, c’est le « noyau » des fidèles qui s’est donné rendez-vous, explique Paul Alliès : les anciens soutiens de Montebourg au sein du Nouveau parti socialiste (entre 2003 et 2005), les membres du réseau Des Idées et des Rêves, qui a phosphoré sur la primaire socialiste de 2011, etc.

« On lit un peu partout qu’Arnaud serait seul et entouré de zozos, ça me fait sourire, affirme Arnaud Leroy, autre soutien de Montebourg à l’Assemblée. Il y avait 2 000 personnes à Frangy cet été, 30 parlementaires assistent à nos réunions à l’Assemblée. » Ce week-end, en tout cas, seuls une douzaine se sont déplacés. Parmi eux, la présidente de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, Catherine Lemorton, élue toulousaine. « Arnaud a besoin de se ressourcer avec sa famille. Être ici, c’est d’abord une renaissance, une bouffée d’oxygène. Les copains de Haute-Garonne avec qui je suis venue se sentent un peu perdus », dit-elle. « On est là pour reprendre un peu d’air. Le contexte est tellement étouffant que ça fait du bien de de réfléchir ensemble », ajoute son collègue Philippe Baumel.

Les vedettes, elles, sont ailleurs. Dans les Landes, où Benoît Hamon réunissait ce week-end ses troupes d’“Un monde d’avance” (aile gauche du PS), mais aussi l’ex-ministre écologiste Cécile Duflot et le communiste Pierre Laurent (voir le reportage de Mediapart). « C’est dommage qu’ils fassent ça en même temps », peste un militant. Entre les deux hommes, il y a eu de la méfiance. Les souvenirs amers de la fin du Nouveau parti socialiste, avec Hamon et Emmanuelli, restent vifs. « Ils nous ont piqué les clés de la bagnole et nous ont laissés sur le bord de la route ! » se rappelle Catherine Lemorton. En 2005, lors du Congrès du Mans, Benoît Hamon avait pactisé avec François Hollande, alors premier secrétaire du PS, contre Montebourg.

Mais ces dernières semaines, ils ont beaucoup discuté. « Il y a une sorte de pacte de sang entre eux », dit Arnaud Leroy. « Ici comme là-bas, on parle de l’économie, de la Sixième République et du logement », souligne un proche de Montebourg.

À la tribune, Arnaud Montebourg cite  son « ami » Hamon, à qui il adresse un « salut amical et politique pour l’encourager à proposer, affirmer, les valeurs de la gauche ». Montebourg brasse d’ailleurs plus large. À Martine Aubry, qui s’apprête à prendre la parole, il dit « que sa voix nous manque et qu’il est temps qu’elle dise aussi ce qu’elle à nous dire ». Il « embrasse » Aurélie Filippetti (sa compagne) mais cite aussi Nouvelle Donne ou « les députés de la majorité (qui) ont fait des propositions alternatives ». Montebourg, bien que réservé sur les débouchés de la contestation des députés PS, leur adresse un soutien appuyé. « Dans une démocratie, ce sont les députés qui contrôlent le gouvernement et pas le gouvernement qui contrôle la conscience des députés », ajoute-t-il.

Ses proches le disent : au moment du congrès, prévu fin 2015 ou début 2016, Montebourg ne jouera pas le parti, lorgné par Hamon. Mais il se verrait bien en facilitateur d’une union entre les courants et sensibilités qui contestent la ligne “hollandaise”, des ailes gauches à Aubry. Pour le reste, Montebourg entend prendre de la hauteur. « Il pense que le parti est mort », dit un ami. « Les partis tournent autour d’eux-mêmes, précise Arnaud Leroy. Nous devons associer des gens qui ne sont pas des politiques, des associatifs, des gens du monde de la culture, des chercheurs. C’est plus important de discuter avec eux qu’avec Pierre Laurent. » « Valls serre des vis, d’autres (les “frondeurs” –Ndlr) disent qu’il faut les serrer différemment. Nous, nous ne parlons pas du serrage des vis : nous allons tenter de définir la France de 2030 », assure Valentin Przyluski, compagnon de route de Montebourg depuis 2009, qui a travaillé avec lui à Bercy.

Montebourg jure qu’il aimerait s’éclipser un peu. « Il va falloir s’habituer à ce que je sois dans un niveau d’exposition bien moindre que celui d’aujourd’hui », dit-il aux journalistes. Comme pour se convaincre lui-même. Ses amis aimeraient qu’il observe une cure de silence, lui qui adore faire parler de lui. « Il doit acquérir la gravité des chefs romains », dit l’un d’eux. « Le temps de la communication est fini pour nous, théorise Valentin Przyluski. Le marketing politique, les gens n’y croient plus. En deux ans, nous n’avons pas résolu les problèmes et la situation s’est aggravée. Ça doit nous rendre humbles par rapport à ce que nous allons proposer demain. Nous devons perdre du temps à travailler, nous ancrer dans un temps plus lent, retrouver une plateforme programmatique qui parle à la société alors que le monde se déconstruit sous nos yeux. On ne stoppe pas une hémorragie en un ou deux mois. S’il y a hémorragie aujourd’hui, c’est parce qu’on a perdu sur nos fondamentaux et que ce gouvernement n’a pas mené la bataille culturelle. »

Ses proches ont créé en juillet une association, La Plateforme, base pour structurer la galaxie Montebourg. Objectif : un début de programme « courant 2015 ». La Sixième République et la rénovation de la démocratie, thèmes identitaires chez Montebourg, seront évidemment centraux. « En 2017, tout est programmé pour qu’il soit candidat. Et c’est évident que la campagne qu’il fera sera centrée sur la Sixième République », dit Paul Alliès. « Mais on ne pourra pas se limiter à ça, ne serait-ce que parce que la priorité des gens est de bouffer et d’avoir un boulot », estime Arnaud Leroy. Autres pistes de travail évoquées : le patriotisme économique bien sûr, mais aussi le climat, la politique internationale ou la simplification du modèle social. « Notre méthode a toujours été l’innovation radicale. On ne s’interdit rien dans la pratique et dans les idées. Peut-être qu’on ne sera pas là où on nous attend et que certaines de nos propositions surprendront », lance Przyluski. Montebourg appelle de ses vœux la naissance, hors des partis, d’un nébuleux « corps de citoyens qui auront envie de s’occcuper de la France », « ouvriers, ingénieurs, syndicalistes, patrons ».

Mais auparavant, il faudra organiser le réseau. Pas simple. « La structuration organique de Montebourg est rebelle à toute organisation », dit joliment Paul Alliès. « Il n’a jamais rien structuré, pourtant ça fait des années qu’on lui dit de le faire, déplore plus crûment Arnaud Le Guay, un militant périgourdin. Mais cette fois, ça devient important, car son aisance médiatique ne va peut-être pas suffire. »

« On ne construit pas sur des éclats de voix, sur des coups de tête et des slogans. Si on veut construire, il faut une armature solide, que seule une structure idéologique combinée à l’exercice du pouvoir peut vous donner », avertit Patrice Prat. À Laudun, les amis de Montebourg n’ont qu’une crainte : qu’il n’en fasse bientôt qu’à sa tête, en parlant à tout bout de champ ou en s’imaginant jouer les hommes providentiels. « La résurgence de la gauche ne passera pas par un homme seul ou une femme seule, prévient le député Philippe Baumel, qui escalade chaque année le Mont Beuvray avec Montebourg. Et s’il fait cavalier seul, alors il finira seul. »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Cinemagraphes


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