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Valls: la fermeté pour unique image de marque

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Manuel Valls à Marseille le 14 août aux côtés de Garo Hovsepian, maire des 13e et 14e arrondissements.Manuel Valls à Marseille le 14 août aux côtés de Garo Hovsepian, maire des 13e et 14e arrondissements.© LF

Un an après avoir annoncé la création des 15 premières zones de sécurité prioritaire en plein mois d’août 2012, le ministre de l'intérieur Manuel Valls, fidèle à sa stratégie d’occupation du terrain médiatique estival, était de retour mercredi dans l’une d’elles, la cité des Oliviers (13e arrondissement) dans les quartiers Nord de Marseille. Une visite express pour afficher une fois de plus face aux caméras sa volonté d’« éradiquer les trafics de drogue » qui « s’accaparent une partie du terrain et organisent un ordre parallèle à celui républicain ».

Le plan com est idéal et calibré pour les télés : la veille, à 6 heures du matin, la sûreté départementale a mis à bas un « plan stup » qui cherchait à se réimplanter dans un bâtiment HLM, interpellant six personnes. Devant le même bâtiment, une fusillade avait tué un jeune homme de 23 ans en février 2013. Les Oliviers fait partie des 28 cités marseillaises ayant déjà bénéficié de l'opération de « reconquête des cités » avec une présence massive de forces de l’ordre du 13 mars au 18 avril 2013. À peine quelques images du ministre discutant avec la directrice départementale de la sécurité publique des Bouches-du-Rhône tournées, les journalistes sont priés de réintégrer le car affrété par la préfecture de police de Marseille.

Mais cette fois le message, bien rodé, a été éclipsé par la publication la veille par Le Monde d’une note adressée le 25 juillet 2013 par Manuel Valls au président de la République et au premier ministre critiquant vivement la réforme de la procédure pénale de sa collègue garde des Sceaux. Le ministre de l’intérieur se dit furieux de cette fuite et réfute toute crise ouverte ou désaccord avec Christiane Taubira. « Je regrette qu’une note adressée au président de la République et au premier ministre ait été publiée par la presse, coupe-t-il. (...) Un gouvernement a besoin de travailler dans la discrétion et dans le secret. » Suite à son courrier incendiaire, envoyé à l’insu de Christiane Taubira, une réunion a, selon lui, eu lieu début août avec le président de la République et le premier ministre.

« Hors de question », assure Manuel Valls, « de participer à ce jeu de rôle que la République a trop connu »,celui de « l’opposition classique et mortifère entre le ministre de l’intérieur et le garde des Sceaux ». D’ailleurs, concède-t-il un peu tardivement, « la loi pénale ne s’élabore pas au ministère de l’intérieur, mais au ministère de la justice ».

Pendant un an et demi, les deux ministres n’ont certes pas ménagé leurs efforts pour apparaître unis, multipliant les déplacements en commun, rivalisant d’amabilités comme en novembre 2012 au congrès national de l'Union syndicale des magistrats à Colmar ou encore pour le premier bilan des zones de sécurité prioritaire à Lyon en mai 2013. Il aura donc fallu la réforme de la procédure pénale, sans cesse repoussée, pour que les désaccords de fond éclatent au grand jour.

Les journalistes et le ministre, cité des Oliviers le 14 août 2013.Les journalistes et le ministre, cité des Oliviers le 14 août 2013.© LF

Première anicroche publique le 5 août 2013 quand Le Figaro s’indigne de la décision du parquet de Chartres de différer l’incarcération de trois condamnés (pour deux ou trois mois) en raison d’une prison surpeuplée. Loin de voler au secours de sa collègue, Manuel Valls, soucieux de ne pas apparaître laxiste, se dit « très surpris » et « inquiet ». Selon Le Figaro, le ministre a même pris soin d’appeler le commandant de police auteur du rapport qui avait atterri sur le bureau du directeur central de la sécurité publique, du syndicat Synergie Officiers (classé à droite) ainsi que dans les pages du quotidien de Serge Dassault.

La cité des Oliviers quadrillée par les policiers pour la venue du ministre, le 14 aoûtLa cité des Oliviers quadrillée par les policiers pour la venue du ministre, le 14 août© LF

Dans son courrier du 25 juillet, Manuel Valls souligne que « la quasi-totalité des dispositions » du projet de réforme pénale de Christiane Taubira « a fait l'objet de discussion, voire d'oppositions du ministère de l'intérieur ». « L'écart entre nos analyses demeure trop important »,indique-t-il au chef de l’État, en demandant son arbitrage. Même s’il approuve le principe de l’individualisation des peines, un des 60 engagements de François Hollande, Manuel Valls estime que la surpopulation carcérale ne peut s’expliquer uniquement par l’effet des peines planchers, instaurées en 2007 pour les récidivistes, et du recours par défaut à l’emprisonnement.

Il évoque plutôt « la question du dimensionnement du parc immobilier pénitentiaire », en clair de la construction de nouvelles prisons. Puis demande « une exigence accrue de prévisibilité et de fermeté » pour les récidivistes. Après avoir enterré l’engagement présidentiel de François Hollande de lutter contre les contrôles au faciès, Manuel Valls n’hésite donc plus à afficher ses doutes sur celui d’individualiser les peines et de mettre fin aux peines planchers. La situation est pourtant explosive dans les prisons françaises où un nouveau record en France a été battu le 1er juillet, avec 68 569 personnes incarcérées (pour 57 320 places théoriques).

À Marseille ce mercredi, le ministre de l’intérieur a refusé de détailler ses contre-propositions. Mais le message martelé est celui de la sévérité. Aussi bien à l’égard des trafics de drogue, le thème du jour, qu’envers les récidivistes. « Les Français demandent de la sévérité, a-t-il affirmé. C’est l’honneur de la gauche de mettre en place une politique particulièrement sévère à l’égard de ceux qui s’en prennent à l’autorité de l’État, car les principales victimes de ces faits sont les habitants des quartiers modestes. » Quant au débat sur la dépénalisation du cannabis, il est selon lui « souvent caricatural » et troublerait le message sur ses risques sanitaires encourus. « Oui, le cannabis est destructeur et oui une société a besoin d’interdits et de repères », a tranché le ministre.

Même impression de continuité, quand le ministre se félicite des succès de la stratégie de reconquête à Marseille en s’appuyant sur les statistiques policières locales (presque toutes à la baisse selon lui sur les six premiers mois de 2013 par rapport à la même période l’an passé), statistiques dont il avait pourtant lui-même dénoncé les manipulations et le peu de fiabilité.

L’antienne de la sévérité n’est pas nouvelle, c’est celle de la droite appliquée pendant dix ans et dont l’échec patent avait conduit le parti socialiste à repenser toute sa politique sécuritaire. On le sait, près de 59 % des détenus sortis de prison en 2002 ont été condamnés à nouveau dans les cinq ans qui ont suivi leur libération, selon une étude du bureau des études et de la prospective de l'administration pénitentiaire. Et l’allongement des peines de prison, avec la mise en place des peines planchers, n’a pas fait diminuer la récidive. Au contraire. Entre 2006 et 2010, le taux de récidivistes est passé de 3,9 à 6 % pour les crimes, et de 7 à 11,1 % pour les délits.

Quant à l’efficacité de la politique pénale envers le cannabis, une des plus dures en Europe, les chiffres de l’Observatoire européen des drogues et de la toxicomanie parlent d’eux-mêmes : « Entre 2007 et 2011, les usages déclarés de cannabis au cours du mois des jeunes Français (chez les filles comme chez les garçons) ont fortement augmenté passant respectivement de 15 % à 24 % ». La France a donc aujourd’hui « le triste privilège de figurer dans le peloton de tête des pays de l’Union européenne pour ce qui concerne la consommation de cannabis », comme le constate lui-même le ministre. Il ajoute que le pourcentage de mineurs parmi les mis en cause dans des affaires de trafic de stupéfiants est passé de moins de 10 % en 2008 à 14,5 % fin 2012. À Marseille, selon le ministre, les mineurs représentent même « plus du tiers des trafiquants interpellés ».

« On tape régulièrement, mais c’est sans fin », souffle un membre du cabinet du préfet de police de Marseille. 

Dans sa réponse à la note de Manuel Valls, la ministre de la justice Christiane Taubira dénonce des chiffres «erronés» et une «présentation tendancieuse» sur les « profils de délinquants qui imposeraient systématiquement une réponse carcérale ferme».

Pour souligner l’importance des multiréitérants parmi les personnes jugées en France, la note de Manuel Valls prétend en effet s’appuyer sur une étude réalisée en juin 2013 par l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Ainsi, selon la Place Beauvau, «sur un échantillon de 1 508 personnes, mises en causes pour 11 784 infractions de types "crimes et délits non routiers" ayant eu lieu entre 2009 et 2010 à Paris ou la petite couronne : 54% ont été mises en cause pour 5 ou 6 infractions principales, soit 37% des 11 784 infractions, socle de l'échantillon ; 18% ont été mises en cause pour 10 infractions principales, soit 35% du socle de l'échantillon». Les chiffres sont effrayants : le lecteur en déduit que plus des deux tiers des personnes mises en cause en région parisienne ont commis au moins 5 infractions en deux ans !

Or cette présentation est mensongère. En effet, l’étude porte uniquement sur les personnes mises en cause pour cinq infractions ou plus entre 2009 et 2010. Parmi celles-ci, 54% ont été mises en cause pour 5 ou 6 infractions, 28% pour 7 à 9 infractions et 18% pour plus de 10 infractions. «Nous avons voulu montrer que selon les types d’infraction (vol à la tire, cambriolages, aggressions, etc.), il y a des profils spécialisés qui apparaissent, explique Christophe Soullez, chef de l’Observatoire. Par définition nous n’avons pas dans notre échantillon, les personnes qui ont commis moins de cinq infractions.»

L’étude elle-même est sujette à caution. L’échantillon a été constitué à partir du Stic Omega (le fichier des antécédents judiciaires de la préfecture de police de Paris). Un fichier rarement mis à jour et truffé d’erreurs, même si le Stic Omega est réputé plus fiable que son homologue national. En 2008, la Cnil avait constaté que 83 % des fiches du Stic qu'elle avait été amenée à contrôler (à la demande de ceux qui y étaient fichés) comportaient des erreurs ou des informations illégales.

Autre limite, l’Observatoire reprend une notion policière, celle de «mis en cause» qui ne dit rien sur la culpabilité réelle de la personne. «Non seulement une partie des mis en cause ne sera pas déclarée coupable aux termes des poursuites, mais surtout certains d’entre eux ne seront même pas poursuivis», met en garde l’étude.

Enfin cette dernière ne porte que sur Paris et la petite couronne, «qui représentent environ 45% de la délinquance en France, mais avec des surreprésentations de certains actes comme les vols à la tire» précise Christophe Soullez.  Sur 1508 personnes, l’échantillon  comporte ainsi 207 mineurs de Roumanie ou d’Europe balkanique presque tous mis en cause pour des vols. Un échantillon qui n’a donc pas « vocation à fournir des statistiques de référence sur les personnes mises en cause à de multiples reprises», met en garde l’étude…

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Allo, j’écoute !


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