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La fronde du Palais-Bourbon se décline dans les baronnies socialistes

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Au milieu des assiettes de couscous et d'une chorale gospel chantant Bella ciao, la « salle festive » de Saint-Étienne-du-Rouvray a accueilli jeudi soir une des premières répliques de la fronde socialiste, qui n'agitait jusqu'ici que le groupe socialiste de l'Assemblée nationale. Dans cette ville de l'agglomération rouennaise, administrée par des communistes alliés au PS, la petite centaine de militants de la section locale a fait de son traditionnel banquet républicain annuel un rendez-vous labellisé « Vive la gauche », du nom de ce collectif militant créé lors des dernières universités de La Rochelle (lire ici) par les députés de « l'Appel des cent ». Alors que ceux-ci n'ont plus été que trente-trois à s'abstenir lors du vote de confiance au gouvernement Valls 2 (lire ici), le 16 septembre dernier, leur initiative se relaie peu à peu sur le territoire.

Le lieu de la soirée n'est pas anodin. En plein cœur de la circonscription de Laurent Fabius, dans une fédération de Seine-Maritime "tenue" depuis une quarantaine d'années par l'actuel n° 2 du gouvernement, et votant au canon, congrès après congrès, pour le courant fabiusien ou celui qu'il soutient. Le ministre des affaires étrangères et ses proches et relais au niveau fédéral ne sont pas là, rares sont les élus présents, d'ailleurs. Tout juste aperçoit-on quelques conseillers généraux et régionaux, ainsi que la députée Estelle Grelier (pourtant pas une frondeuse), au milieu des 220 militants présents, venus de tout le département, dont un « petit tiers » de l'aile gauche du parti, assure un bon connaisseur local.

Gérard Filoche, Laura Slimani, David Fontaine, David Cormand, à Saint-Etienne-du-RouvrayGérard Filoche, Laura Slimani, David Fontaine, David Cormand, à Saint-Etienne-du-Rouvray © S.A

 

En guise d'apéritif, les interventions des socialistes et écologistes invités tirent toutes dans le même sens, celui d'un quinquennat qui n'est pas fini, d'un souhait que le gouvernement ne soit pas en échec, mais aussi d'une nécessité de rompre avec l'idée qu'il n'y aurait qu'une politique possible. Pour le jeune secrétaire de la section stéphanaise, David Fontaine, les militants présents sont « singuliers, car fidèles à (leurs) valeurs, le discours du Bourget et les soixante engagements de François Hollande ». Lui ne semble pas séduit par les états-généraux du PS (« C'est d'un congrès dont nous avons besoin ! ») lancés par Jean-Christophe Cambadélis et sa volonté de « changer la carte d'identité du parti », car « nous ne voulons ni changer notre identité, le socialisme, ni de pays, la gauche », dit Fontaine.

À sa gauche, l'écologiste David Cormand (président de groupe à la région de Haute-Normandie, et n° 2 d'EELV au plan national) embraye : « La compétitivité, ça passe par le renouvellement d'un modèle, pas par la baisse des droits sociaux. Jusqu'ici, la différence entre la gauche et la droite se faisait sur la redistribution de quelques points de croissance. Désormais, comment fait-on la différence quand il n'y a plus de croissance ? »

Autre "locale de l'étape", Laura Slimani, présidente du Mouvement des jeunes socialistes (MJS) et adjointe au maire de Rouen, a elle plaidé pour « le rassemblement de la gauche face au sectarisme », allusion aux punitions ayant sanctionné les députés frondeurs (lire ici). Avant d'estimer, devant un auditoire qui assiste à la montée du FN dans un département populaire où la droite républicaine est très faible, que « c'est quand la gauche va sur le terrain de la droite qu'elle favorise la montée du FN ».

Un message vidéo de Jérôme Guedj plus tard, où le président du conseil général de l'Essonne et figure de l'aile gauche du PS note que « les sujets qui divisent sont précisément ceux qui ont été débattus en amont et collectivement », et l'invité de la soirée, Gérard Filoche, autre figure de l'aile gauche du PS, conclura les prises de parole, avec le mérite de résumer les désarrois. « Comment s'est-on retrouvé dans une situation où toute la gauche se dit “ce n'est pas notre politique qui est menée” ? », lâche l'inspecteur du travail à la retraite et membre du bureau national du parti. Avant de répondre lui-même à sa question : « Parce qu'on ne veut pas prendre l'argent où il est, parce qu'on ne veut pas taxer les 440 milliards des 500 familles les plus riches du pays, ni récupérer les 600 milliards d'évasion fiscale. »

Banquet républicain de « Vive la gauche », à Saint-Etienne-du-RouvrayBanquet républicain de « Vive la gauche », à Saint-Etienne-du-Rouvray © S.A

Dans la salle, beaucoup de cheveux blancs acquiescent, les yeux parfois dans le vide, comme incapables de s'avouer qu'ils ne se reconnaissent plus dans un parti pour lequel ils militent depuis si longtemps. « On ne sait pas bien si les abstentions des frondeurs servent à quelque chose, explique un vieux militant rouennais, mais cela permet aux militants de s'accrocher, de ne pas partir. » Un autre, la trentaine, est plus désabusé : « Notre dernière réunion de section était une succession de monologues sur la situation de sa rue, de son boulot, des discussions au marché… Il n'y a plus de réflexion collective, c'est comme si on avait appuyé sur le bouton "pause", sans savoir si on réappuierait dessus. »

Jacques, agriculteur à la barbe foisonnante, est tout aussi consterné. « Aujourd'hui, les élus encalminent le parti avec leur carrière politique, sans savoir de quoi est fait le quotidien des gens et de leurs intérêts, se désole-t-il. Ici, les maires sont désignés, les cadres du parti sont interchangeables. On est arrivé à une situation où être socialiste est devenu un métier, où cadres, élus et conseillers ne travaillent plus qu'au parti. C'est normal qu'il y ait des permanents, mais c'est comme s'il n'y avait plus que cela parmi ceux qui nous représentent. » Un autre, Patrick, délégué syndical CFDT, espère toutefois que « ce type de soirée permettra d'adresser un message à nos dirigeants ». Il l'explicite : « On ne demande même pas de coup de barre à gauche, juste qu'on redresse la barre et qu'on reprenne les promesses de François Hollande. »

Sur le parking de la salle des fêtes, Léa se réjouit de l'affluence nombreuse de la soirée. « On voulait montrer la base et sa colère, dit cette doctorante en histoire de 23 ans. Sans nous, il n'y a plus d'élus, il n'y a plus rien. Nous, on milite, on croit en ce qu'on fait, et il faut nous écouter. » À La Rochelle, elle dit avoir crié son exaspération : « "J'aime les entreprises, j'aime les entreprises…" C'est compliqué de dire, une fois, j'aime les salariés ?! » Ce jeudi soir, à Saint-Étienne-du-Rouvray, elle lâche un dernier soupir, avant de quitter la fête. « Quand des électeurs et des sympathisants viennent me demander ce que je pense de la situation, ils me disent toujours après ma réponse : "Ouf, je suis pas tout seul." J'ai les boules quand je revois les amis que j'ai convaincus de ne pas voter Mélenchon… »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La vidéoconférence par WebRTC est elle sécurisée?


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