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Assistance médicale à la procréation, GPA, familles: la grande régression

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« La GPA est et sera interdite en France. » Dans le quotidien catholique La Croix, à deux jours d'une nouvelle manifestation de la "Manif pour tous", le premier ministre Manuel Valls a donné ce vendredi 3 octobre de nouveaux gages à la droite conservatrice

Pas question, dit-il, d'autoriser le recours à la gestation pour autrui (GPA), autrement dit le recours aux mères porteuses. « C’est le choix très ferme du président de la République et de son gouvernement, explique-t-il. La France n’a jamais varié sur ce sujet. Elle est opposée à la légalisation de la GPA qui est, il faut le dire, une pratique intolérable de commercialisation des êtres humains et de marchandisation du corps des femmes. » Manuel Valls va même plus loin, contestant un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l'Homme qui impose à la France de reconnaître la filiation des enfants nés de GPA à l'étranger. En 2011, Manuel Valls était pourtant favorable à une GPA encadrée.

Mais c'était il y a trois ans. Depuis qu'il est premier ministre, Manuel Valls est coutumier des clins d'œil à la frange la plus conservatrice de la société française. Dès son arrivée à Matignon, en avril 2014, il avait fermé la porte à toute extension de l'AMP (pour assistance médicale à la procréation, aussi appelée PMA) aux couples de femmes d'ici la fin du quinquennat. Une annonce faite… depuis le Vatican ! Évidemment, ces déclarations ne peuvent être faites sans l'aval du chef de l’État lui-même, que l'on sait frileux sur les sujets de société.

Dimanche 5 octobre, des dizaines de milliers de manifestants de la "Manif pour tous" défileront à Paris et à Bordeaux. La loi autorisant le mariage aux couples de même sexe ayant été votée en avril 2013, la "Manif pour tous", mouvement constitué pour lutter contre la loi, porte désormais le combat sur d'autres terrains : contre la fameuse "théorie du genre" (qui, faut-il le rappeler, n'existe pas) ; contre le recours aux mères porteuses (la fameuse GPA), présentée comme une revendication unanime des associations LGBT (lesbiennes, gay, bi, trans), ce qui n'est pas le cas ; contre l'ouverture aux couples de femmes de l'AMP.

À droite, ces deux sujets, qui ne concernent qu'une minorité de Français, sont devenus identitaires, comme des marqueurs obligés de tout programme conservateur digne de ce nom. Dans son embryon de programme dévoilé jeudi 2 octobre, Nicolas Sarkozy n'avance que quelques idées, dont très peu sont nouvelles. En revanche, l'AMP et la GPA figurent en bonne place. L'ancien chef de l’État, candidat à la présidence de l'UMP, propose ainsi d'inscrire dans la Constitution « des verrous juridiques pour réserver la PMA aux couples hétérosexuels infertiles et interdire complètement la GPA ».

L'AMP et la GPA, que la droite conservatrice mêle volontiers, n'ont en réalité pas grand-chose à voir, ne serait-ce qu'au regard de la loi. L'une (la GPA) est strictement interdite. L'autre est autorisée en France depuis 40 ans, mais réservée sous conditions aux couples hétérosexuels infertiles : la question posée n'est pas celle de son autorisation, mais de son extension (lire ici notre article).

En fait, si AMP et GPA sont volontairement mêlées comme les deux revers d'une même médaille par la frange la plus conservatrice de la société française, c'est que ces deux pratiques ont en commun de concerner (mais pas exclusivement) des couples homosexuels désireux d'avoir des enfants. Face à cette offensive idéologique d'une droite galvanisée, teintée d'une homophobie sous-jacente et qui s'exprime parfois crûment, l'attitude du PS au pouvoir ne laisse pas d'étonner. Au lieu de démêler les amalgames entretenus par les opposants à l'égalité des droits, il semble les conforter. Au lieu de reformuler les enjeux de ces questions de société dans un sens progressiste, il laisse la "Manif pour tous" et la droite réactionnaire définir les termes du débat. Au lieu d'encourager la société à discuter de façon constructive de ces sujets complexes, il oublie ses questionnements passés et contribue à rabougrir le champ du débat public. 

Il y a d'abord eu le mariage des couples de même sexe, certes voté le 23 avril 2013, mais porté du bout des lèvres par un pouvoir hésitant. Pour l'heure, une des seules mesures de gauche que François Hollande, président sans résultats sur le terrain économique et social, pourra mettre à son actif à l'heure du bilan.

Puis c'est l'AMP pour les lesbiennes qui fut abandonnée. C'était un engagement du PS depuis des années. François Hollande l'avait aussi promise pendant la campagne présidentielle. Au terme d'une spectaculaire série d'engagements non tenus et de renoncements, le pouvoir a finalement décidé de l'exfiltrer de la loi sur le mariage des couples de même sexe. Il a ensuite renoncé à la faire voter. Avant de sous-traiter la question, devenue trop délicate pour lui, au Comité national d'éthique. Celui-ci doit en théorie donner son avis début 2015, mais ne se hâte guère. La loi ouvrant le mariage aux couples homosexuels a été si prudente qu'elle a laissé les tribunaux dans le flou face à des cas d'adoption au sein de couples de lesbiennes mariées. Il y a quelques jours, après des mois d'incertitude juridique, la Cour de cassation a levé l'ambiguïté, validant l'adoption d'enfants nés de procréation médicale assistée dans ce cas (lire notre article).

Au lendemain d'une nouvelle '"Manif pour tous", il y eut aussi un recul, au début de cette année, sur la loi famille. Le premier ministre s'appelait encore Jean-Marc Ayrault. Découpée en trois, elle est aujourd'hui en jachère au Parlement. Elle concerne pourtant des sujets qui touchent toutes les familles, comme la filiation, l'autorité parentale ou l'adoption. Mais même sur ces sujets, la gauche au pouvoir a renoncé.

La gestation pour autrui est, enfin, une autre illustration de ce renoncement. Interdite en France depuis 1991, elle est légale, tolérée, ou possible dans plusieurs autres pays : Grande-Bretagne, Danemark, Canada, certains États des États-Unis, Belgique, Pays-Bas, Géorgie, Ukraine, Inde, etc. Le recours aux mères porteuses pose bien sûr des questions éthiques considérables. Elle dérange, à gauche comme à droite, les opposants à la marchandisation du corps, dont les arguments sont solides.

Il y a quelques années, c'était encore un sujet dont la France pouvait débattre sereinement.

En 2008 au Sénat, un groupe de travail sur la GPA, où l'on retrouvait des parlementaires de gauche et de droite, proposait d'« autoriser la gestation pour autrui en l'encadrant », tout en se montrant très réservé sur son utilisation par des couples homosexuels. En 2010, 22 sénateurs UMP et centristes avaient demandé sa légalisation. Secrétaire d'État à la famille, la très sarkozyste Nadine Morano s'était elle aussi dite favorable à un « cadre légal » sur la GPA.

En 2010, le bureau national du PS avait tranché pour un maintien de l'interdiction, en raison des « risques que représentent l'instrumentalisation du corps de la gestatrice et sa possible marchandisation ». Mais le débat avait été âpre (lire ici notre article). Plusieurs personnalités (Benoît Hamon, Élisabeth Guigou, Lionel Jospin, Michel Rocard, etc.) la dénonçaient alors comme une « extension du domaine de l'aliénation ». Plusieurs dizaines d'intellectuels, élus et responsables socialistes s'étaient en revanche prononcés pour une légalisation encadrée. Parmi eux, Najat Vallaud-Belkacem ou Alain Vidalies, actuels ministres du gouvernement Valls. « La GPA peut être un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l'infertilité »expliquait alors Najat Vallaud-Belkacem, évoquant un véritable « don pour autrui ».

Manuel Valls lui-même y était « favorable ». En 2011, il estimait également que l'AMP était « acceptable si elle (était) maîtrisée ». Une proposition de loi sénatoriale « tendant à autoriser et à encadrer la gestation pour autrui » avait été cosignée en 2010 par plusieurs élus socialistes – l'ancien président du Sénat Jean-Pierre Bel, l'actuel ministre François Rebsamen, Robert Badinter – ou l'écologiste Dominique Voynet.

Mais depuis deux ans, le débat sur ce sujet a tourné à l'hystérie. Dès les tout premiers débats sur le mariage des couples de même sexe, la droite en a fait un angle d'attaque de choix. Ses leaders ont alors sommé le gouvernement de ne pas adopter, puis d'abroger, la « circulaire Taubira » du 25 janvier 2013 permettant d'attribuer la nationalité française aux enfants nés de GPA à l'étranger.

Depuis, la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a condamné la France à reconnaître la filiation des enfants nés de mères porteuses à l'étranger. Cet arrêt a suscité la colère des opposants au mariage des couples homosexuels, inquiets que la GPA ne soit imposée à la France par la CEDH. Elle a aussi indigné des voix à gauche. Dix députés PS ont ainsi dénoncé l'« irruption d’un droit étranger dans notre droit national ».

Dans La Croix, ce vendredi, Manuel Valls, désormais à mille lieues de ses déclarations de 2011 (un écart qu'il dit « assume[r] ») leur donne raison, actant le renoncement de l'exécutif à réfléchir sur des sujets compliqués.

Contre l'avis de la CEDH, il affirme qu'il n'y aura pas d'automaticité. « Le gouvernement exclut totalement d’autoriser la transcription automatique des actes étrangers, car cela équivaudrait à accepter et normaliser la GPA », dit-il. Tout en annonçant que la France va lancer une « initiative internationale qui pourrait aboutir, par exemple, à ce que les pays qui autorisent la GPA n’accordent pas le bénéfice de ce mode de procréation aux ressortissants des pays qui l’interdisent ».

Le cadre juridique proposé reste à ce stade très flou. En tout état de cause, Manuel Valls semble une fois de plus donner raison aux opposants de l'égalité des droits, deux jours avant une nouvelle démonstration de force de leur part. Pour l'Inter-LGBT, Manuel Valls, « en apportant une réponse aussi forte aux fantasmes d’un autre âge véhiculés par les opposants à la loi Taubira (…), légitime non seulement ce mouvement mais toutes les violences et les discriminations qui en découlent ».

« Ces annonces sont dangereuses, commente le député écologiste Sergio Coronado. D’un point de vue politique, elles donnent des gages à la droite la plus conservatrice de notre pays. D’un point de vue juridique, elles ne seront jamais appliquées. D’abord parce que la décision de la CEDH, du 26 juin, s’impose à notre pays. (…) La convention de New York, dont l’objet est la protection de l’intérêt de l’enfant et dont nous sommes signataires, s’impose également à nous. Même si le premier ministre souhaite abroger la circulaire Taubira, ces deux textes cités contredisent sa position. »

Manuel Valls, lui, n'en a cure. Sur ces sujets, il plaide l'« apaisement » depuis des mois. On peut aussi appeler ça un renoncement.

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