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Un ancien résistant de 89 ans accuse un policier de l'avoir roué de coups

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Que s’est-il passé le 23 septembre à Saint-Germain-lès-Arpajon (Essonne) ? Raymond Gurême, un ancien résistant de 89 ans, affirme avoir été matraqué par un policier, lors d’une descente de police sur le terrain où sont installées sa caravane et celles de sa famille. À la suite de sa plainte, déposée le 24 septembre à la gendarmerie d’Ebly, le parquet d’Évry a ouvert une enquête préliminaire, qui a été confiée aux policiers de la cellule de déontologie de la Direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de l’Essonne. « Comme je le fais systématiquement, cette plainte n'ayant rien de spécial, explique Béatrice Angelelli, la procureure adjointe qui suit les questions de violences policières. L’Inspection générale de la police nationale (IGPN) ne prend que les dossiers les plus graves, avec des armes, des cas de légitime défense, etc. »

© Jean-Baptiste Pellerin

Dans un rapport daté du 29 septembre 2014 qu'a pu consulter Mediapart, la commissaire, chef de la circonscription de sécurité d’Arpajon, dément toute violence. Se basant sur les témoignages des focntionnaires sous ses ordres, elle affirme que Raymond Gurême, qui s’opposait à l’entrée des policiers dans sa caravane, a été « simplement mis de côté » par un gardien de la paix « qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre ». « Aucune arme de défense n'a été utilisée en l'espèce, en dehors de la gazeuse », affirme-t-elle. Les policiers sont intervenus « en flagrant délit » à la poursuite d’un homme de 49 ans, membre de la famille de M. Gurême, recherché dans le cadre d’une information judiciaire pour vol en bande organisée avec arme, ainsi que d’un gamin de 13 ans, qui les aurait caillassés. « Je ne vois pas comment Raymond Gurême aurait pu être victime d'un mauvais coup qui viendrait expliquer ses hématomes », insiste la fonctionnaire, qui est arrivée sur le terrain juste après la perquisition de la caravane de M. Gurême.

Comment alors expliquer ses blessures ? Raymond Gurême affirme avoir été jeté hors de sa caravane alors qu’il faisait la sieste, puis battu par un policier. « Nous avons l’habitude des interventions policières sur le terrain mais pas de le retrouver dans cet état-là », indique un de ses amis. Selon le certificat délivré le 23 septembre par son médecin de famille, Raymond Gurême présente deux ecchymoses respectivement de 5 et 8 centimètres au thorax et sur l’avant-bras droit, ainsi que des « contusions à l’épaule droite et au crâne ». Le 29 septembre, le médecin a également constaté des « cervalgies avec vertige et perte d’équilibre » qui ont nécessité le port d'une minerve. Mais aucune ITT n’a été délivrée, le vieil homme n’ayant toujours pas eu de rendez-vous à l'unité médicojudiciaire, à la grande surprise de son avocat Me Henri Braun. « Filer un rendez-vous trois semaines après les faits pour constater des coups... », s'étonne-t-il. 

L'histoire de ce résistant, fait chevalier des Arts et lettres par l’ancien ministre de la culture Frédéric Mitterrand, n’est pas étrangère à l’émoi provoqué depuis le 23 septembre sur les réseaux sociaux. À 15 ans, ce petit acrobate et sa famille furent arrêtés par des gendarmes français et internés dans les camps de Darnétal près de Rouen, puis de Linas-Montlhéry dans l’Essonne, en vertu d’une ordonnance allemande d’octobre 1940 décrétant l’internement des Tsiganes en zone occupée. Raymond Gurême s’évadera à plusieurs reprises, avant d’entrer dans la résistance et de participer à la libération de Paris. Ce patriarche a eu 15 enfants et plus de 200 descendants. Il a raconté l'histoire tragique des Tsiganes en France ainsi que les discriminations toujours existantes dans un livre coécrit avec la journaliste Isabelle Ligner, Interdit aux nomades (Calmann-Lévy, 2011).

Le 25 septembre, Raymond Gurême avait encore un important hématome au bras droit. Le 25 septembre, Raymond Gurême avait encore un important hématome au bras droit. © IL

Voici le récit que Raymond Gurême a livré le 29 septembre à la journaliste et qui a été publié sur le site Dépêches Tsiganes : « Il était autour de 15 h 30. Je me reposais dans ma caravane. J’ai entendu crier. Je me lève pour voir ce qui se passe. C’est alors que la porte s’ouvre. Un flic entre chez moi, la matraque en l’air. Il avait la trentaine. Je ne l’avais jamais vu sur mon terrain. Il était baraqué, les cheveux blonds coupés en brosse et avait de grandes oreilles. Je n’étais pas très réveillé, c’était comme un cauchemar. Il me repousse vers le fond de la caravane. Je lui dis "Pourquoi tu viens chez moi ?" Il me répond pas. Je laisse pas tomber et le questionne encore : "T’as un mandat pour perquisitionner ?" Il me dit : "On n’en a pas besoin, on n’est pas en Amérique ici. " Je lui dis : "Moi non plus je suis pas en Amérique et ma caravane non plus alors sors de chez moi." Il a crié "Ferme ta gueule" plusieurs fois et puis c’est comme s’il avait pété les plombs, il a commencé à me taper dessus avec la matraque, une matraque en fer, télescopique.

Ça faisait très mal et puis, comme j’ai que la peau sur les os, ça résonnait comme une grosse caisse. Il y a un policier plus âgé qui lui a crié "Attention, vas-y doucement c’est un vieux !", mais le jeune flic qui s’acharnait sur moi ne l’a pas écouté et l’autre a paru avoir peur et s’est mis en retrait. J’avais très mal partout mais le pire, c’est quand il a tapé sur l’arrière de l’épaule, presque derrière le cou. (…)

Quand je suis arrivé vers la porte, il m’a pris par le cou et la peau des reins et il m’a jeté du haut de la caravane vers le bas. Le flic m’a regardé partir en vrille. Comme il a vu que je retombais sur les pieds, il est revenu il m’a retapé à l’extérieur et après, ils étaient à deux sur moi. J’ai reçu des coups de pied en plus des coups de matraque. C’est là que certains de mes enfants ont cherché à me défendre. Mais un tas de policiers leur sont tombés dessus et ne leur ont laissé aucune chance. Ils étaient déchaînés. » Il ajoute avoir eu « peur qu’il me tue dans ma caravane ».

Mediapart a eu accès au rapport du 29 septembre 2014 de la commissaire en chef de la circonscription d’Arpajon, ainsi qu’aux comptes-rendus d’intervention des policiers, rédigés le 23 septembre. La commissaire s'étonne de la plainte déposée par Raymond Gurême, ainsi que d'un billet de blog publié le 26 septembre sur Mediapart par un de nos abonnés, sous le titre « Raymond Gurême, 89 ans, agressé chez lui par des policiers ». Priée par le directeur départemental de la sécurité publique de l'Essonne de s’expliquer « suite à l'article paru dans Mediapart », la commissaire qualifie ce billet de « totalement mensonger et calomnieux ». « Je n’accepte pas la référence faite par le journaliste (en fait un de nos abonnés, ndlr) à l’État de Vichy pour évoquer la façon dont nous sommes intervenus », s'indigne-t-elle.

Selon la version policière, vers 12 h 50 le mardi 23 septembre 2014, deux agents de la brigade anticriminalité (Bac) d’Arpajon, en patrouille, repèrent un membre de la famille de M. Gurême recherché pour vol en bande organisée avec arme dans le cadre d’une information judiciaire. L’homme âgé de 49 ans prend la fuite sur son scooter « en direction de son domicile ». À leur arrivée chemin Saint-Michel, où sont implantées les caravanes de la famille de Raymond Gurême, un adolescent de treize ans leur lance alors deux vélos, puis une pierre qui brise la vitre arrière de leur voiture. Les policiers battent en retraite « compte tenu de la situation tendue et de leur infériorité numérique ». Un proche de M. Gurême, joint par Mediapart, explique que cette zone très boisée, où la famille dispose de plusieurs terrains, constitue un vrai casse-tête pour les policiers lorsqu’ils recherchent quelqu’un.

« Au vu du profil des individus à interpeller et surtout de la physionomie de ce secteur habité presque exclusivement par des gens du voyage, hostiles à la police et connus défavorablement de nos services », la commissaire décide donc de réunir « un maximum de policiers » de son commissariat d’Arpajon, plus quatre équipages de renfort sollicités auprès de l’état-major et du district de Palaiseau. À 15 h 30, les policiers de diverses unités d'intervention sont de retour en force et investissent les « deux camps », au 14 et au 37, chemin Saint-Michel. Ils fouillent caravanes et chalets. L'accueil est, sans surprise, hostile. « Très rapidement (les habitants) s’opposaient fermement à notre présence, nous indiquant ne rien avoir à faire chez eux, nous intimant l’ordre de dégager, nous reprochant même de tuer leurs enfants, proférant des menaces à notre encontre et (…) des propos de plus en plus injurieux », rapporte la fonctionnaire.

Sur l'autre terrain, au numéro 14, où habite Raymond Gurême, les insultes fusent : « Espèce de PD, fils de pute, résidu de capote d'Hitler », relate un gardien de la paix dans son procès-verbal. Mais « malgré l’état de nervosité des individus, la visite s’opère sans incident jusqu’à la visite de la caravane du "patriarche" », indique son collègue. L'intervention tourne alors au vinaigre. Alertés par les cris, la commissaire et les autres policiers, qui ont fait chou blanc sur le premier terrain, se précipitent. À leur arrivée, la commissaire constate que « les policiers étaient victimes de jets de pierres, d’insultes, et de menaces de mort de la part des habitants au nombre d’une trentaine environ ». Deux des fils, un petit-fils et une petite-fille de Raymond Gurême, âgés de 36 ans à 46 ans, s’interposent. Ils sont interpellés et placés en garde à vue. Les policiers font usage de gaz lacrymogène pour disperser les habitants, avant de déserter les lieux un peu après 16 heures.

Dans leurs procès-verbaux rédigés le jour même, les agents n'évoquent pas le déroulement de la perquisition chez Raymond Gurême. Il faut donc s’en tenir au récit rapporté par la commissaire dans son rapport du 29 septembre : « À aucun moment cette personne n’a été victime de violences de la part des policiers intervenants. Ces derniers indiquent que dès leur arrivée au 14, chemin Saint-Michel, ils se sont fait copieusement insulter (…) mais qu’ils ont préféré dans un premier temps ne pas en tenir compte et procéder aux vérifications. À ce moment-là, Raymond Gurême le patriarche se tenait à l’extérieur de la caravane (et non attablé à l’intérieur comme il le prétend). Le motif de l’intervention lui a été immédiatement donné, comme aux autres personnes présentes. Les policiers s’assuraient que les individus recherchés ne se trouvaient pas dans les différentes caravanes et autres abris de fortune. »

Elle  poursuit : « Alors qu’ils allaient pénétrer dans sa caravane, Raymond Gurême s’interposait et demandait aux policiers de sortir, n’ayant pas de "mandat de perquisition". Il était simplement mis de côté par le gardien de la paix (…) qui le prenait par les épaules, afin de permettre aux vérifications de se poursuivre. Toutefois cette intervention dans la caravane du patriarche était très mal perçue par les autres membres de la famille Gurême et engendrait des tensions de plus en plus importantes.

Quelques minutes plus tard, alors que la situation dégénérait sur le camp et que les policiers procédaient aux quatre interpellations précitées pour "outrage et rébellion", Raymond Gurême se tenait en retrait, vers le fond du camp. » La commissaire dit également avoir vu des « mamans tenant des enfants dans les bras ainsi qu’une jeune femme enceinte, complètement hystérique, venant au contact des policiers qui tentaient de les repousser, nous insultant et nous jetant des pierres ». Elle martèle qu'il n'y a eu aucune faute commise, ni aucun usage d'arme « en dehors de la gazeuse ». Ses fonctionnaires ont donc été, selon la commissaire, « surpris » par la plainte de Raymond Gurême et « a fortiori » par le billet de blog publié sur Mediapart.

Un des policiers, mordu par une femme, s’est vu délivrer une ITT d’un jour. Les quatre personnes interpellées ont été condamnées en comparution immédiate le 24 septembre pour « outrage et rébellion » contre des policiers. Elles ont fait appel. « J’ai déjà trois condamnations pour "outrage et rébellion" et à chaque fois c’est ici sur notre terrain et la plupart du temps avec les mêmes flics », témoigne, sous couvert d'anonymat, l’un des fils de Raymond Gurême sur le site Dépêches Tsiganes. Selon lui, les policiers « ont provoqué pour pas repartir bredouilles ». « Ils savaient qu’en s’attaquant au père, on réagirait, affirme-t-il. J’ai essayé de le défendre mon père. (…) On s’est pris des coups, on a été plaqués au sol et puis traînés jusqu’au camion de police. »

Me Henri Braun, l’avocat et ami de Raymond Gurême qui n'a pas a eu accès au dossier, s’interroge sur une possible « violation de domicile ». En cas de flagrant délit, le consentement de l'occupant et la décision d’un juge ne sont cependant pas nécessaires. « Les autorités auraient dû réagir au plus haut niveau, estime l’avocat. C’est particulièrement grave de s’attaquer à quelqu’un de 89 ans, considéré par la loi comme un personne vulnérable. D’autant plus par rapport à son parcours d’ancien résistant. »

André Sauzer, vice-président de l’Association départementale des gens du voyage de l’Essonne (ADGVE), est tout aussi choqué. Lui qui avait l'habitude de faire avec son ami la tournée des écoles et lycées pour raconter la persécution des gens du voyage durant la Seconde Guerre mondiale, fulmine depuis qu'il l'a vu « marqué, avec une minerve ». « Trop c'est trop, s'exclame-t-il. C'est une histoire qui ne devrait plus exister de nos jours dans le pays des droits de l'Homme. » La procureur adjointe d’Évry attend elle le retour de l'enquête pour prendre une décision.

BOITE NOIREJe n'ai pas pu rencontrer M. Gurême, mais me suis entretenue avec ses proches par téléphone. Cet article a été modifié à 12 h 30 le 3 octobre pour rectifier l'orthographe du nom de M. Sauzer ainsi que de M. Braun, et pour préciser que la commissaire est arrivée sur le terrain juste après la perquisition de la caravane de M. Gurême.

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