Jouissant d’un statut de relative indépendance même s’il est placé sous la tutelle du ministère des finances, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) joue, de très longue date, un office précieux dans la vie publique : c’est en quelque sorte le garde-champêtre du débat économique français. Produisant des statistiques les plus impartiales possible sur tous les volets de l’activité économique et sociale, il est le garant de l’honnêteté des débats en même temps que de la sincérité des politiques économiques suivies.
Il faut donc lire avec beaucoup d’attention le dernier « Point de conjoncture » que l’Insee publie ce jeudi 2 octobre. Car même si les choses sont dites comme à l’accoutumée de manière feutrée, il n’est guère difficile de décrypter le message des statisticiens et prévisionnistes publics : ils viennent confirmer pêle-mêle que la France court à la catastrophe, que les priorités économiques françaises sont stupéfiantes ou encore que le budget présenté par le gouvernement pour 2015 est totalement insincère.
Voici donc ce « Point de conjoncture ». On peut le télécharger ici, ou le consulter ci-dessous.
Un premier constat transparaît d’abord de cette note de l’Insee. Celle-ci fait apparaître clairement que le projet de loi de finances pour 2015, que le gouvernement vient tout juste de dévoiler et qui sera examiné au cours des prochaines semaines par le Parlement, est construit sur des hypothèses économiques totalement irréalistes, ou plus précisément sur des hypothèses qui sont déjà fausses. Pour parler le langage des expert comptables, on pourrait dire de lui que c’est un budget « insincère ». Pour parler cru, on pourrait dire que c’est un budget truqué ou biaisé.
À cela, il y a une explication simple. Dans ses hypothèses économiques, le gouvernement a été contraint d’admettre que la croissance de l’économie française ne dépasserait pas 0,4 % en 2014, mais il fait mine de croire qu’un rebond, même modeste, devrait intervenir en 2015, avec une croissance qui pourrait donc atteindre 1 % l’an prochain. C’est sur cette hypothèse de 1 % de croissance qu’ont été calculées les prévisions de rentrées fiscales, de déficit public, d’endettement public, d’économies budgétaires. Que l’hypothèse de croissance de 1 % soit fausse, et c’est naturellement tout l’édifice budgétaire qui menace de s’écrouler, avec des recettes fiscales qui pourraient être moindres, des déficits plus importants, etc.
Or, dès à présent, c’est ce que suggère ce « Point de conjoncture ». Observons en effet ce qu’est la situation depuis plusieurs années, telle qu’elle ressort du tableau ci-dessous :
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Ce qui transparaît des chiffres, c’est que les moteurs de la croissance française sont tous en panne. Totalement en panne. Depuis plus de trois ans, l’activité oscille autour de la croissance zéro, certains trimestres à peine plus, certains autres sensiblement moins. Et pour la période la plus récente, rien n'indique que l’activité redémarre. Au contraire ! Après une croissance nulle (0 %) au premier trimestre puis de nouveau au deuxième (0 %), la croissance devrait être quasi identique au troisième trimestre (+ 0,1 %) puis au quatrième (+ 0,1 %), soit une croissance de seulement + 0,4 % sur l’ensemble de l’année, exactement comme en en 2012 et comme en 2013.
En clair, c’est un signal d’alerte qu’envoie l’Insee : malgré les rodomontades de François Hollande, qui annonce périodiquement une inversion de la courbe du chômage ou une reprise économique, l’économie française est plus que jamais dans le fond du trou.
À cela, il y a deux raisons principales, l’une qui tient à la situation propre de la France, la seconde à son environnement européen.
Comment croire en effet le gouvernement socialiste quand il pressent un frémissement de l’activité qui pourrait se confirmer en 2015 ? Dans le cas de la conjoncture française, tout atteste que les courroies d’entraînement de la croissance sont à l’arrêt. Il suffit de poursuivre la lecture de cette note de l’Insee pour en trouver la confirmation.
D’abord, malgré les quelque 40 milliards d’euros du « choc de compétitivité » puis du pacte de responsabilité déversés sans la moindre contrepartie sur les entreprises, celles-ci n’ont pas le moins du monde recommencé à investir ou à embaucher. Dans le cas de l’investissement, c’est même plus grave que cela : l’investissement va encore baisser en 2014 de – 0,6 %. Quant à l’emploi, même tendance récessive : « Avec l’atonie de l’activité, l’emploi marchand reculerait de nouveau au second semestre 2014 (– 26 000 par trimestre en moyenne) », écrit l’Insee.
Et puis l’autre courroie d’entraînement de la croissance qu’est la consommation des ménages est, elle aussi, totalement grippée. La consommation des ménages connaîtrait en effet, elle aussi, une croissance quasi nulle (+ 0,1 %) en 2014. Ce qui en vérité est tout sauf une surprise, du fait notamment des avancées ininterrompues du chômage et des évolutions très défavorables du pouvoir d’achat.
Comme le montre le tableau ci-dessous, le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages continuerait d’évoluer de manière très défavorable.
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Sur l’ensemble de l’année 2014, il progresserait certes de + 0,8 %. Mais cette progression recouvrerait une nette décélération dans la seconde partie de l’année, avec une baisse de – 0,1 % au troisième trimestre et de – 0,5 % au quatrième. Et puis surtout, cette notion de pouvoir d’achat du revenu disponible est trompeuse, car elle est biaisée par les évolutions démographiques. Si l'on neutralise ces effets, il est probable que le pouvoir d’achat par ménage ou par unité de consommation restera très proche de 0 % en 2014.
Et le chômage, lui-même, continuerait son ascension à des niveaux historiques : « Au deuxième trimestre 2014, le taux de chômage a légèrement augmenté, à 10,2 % de la population active en France en moyenne (9,7 % en France métropolitaine). Au second semestre, il augmenterait de nouveau légèrement, à 10,3 % en fin d’année (9,9 % en France métropolitaine) », relève l’Insee.
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Mais il n’y a pas que le moteur interne de la croissance qui soit en panne. L’environnement européen est tout autant dépressif. « Au deuxième trimestre 2014, l’activité dans la zone euro a stagné (0,0 %, après + 0,2 %). Cette évolution est plus faible qu’anticipé (+ 0,3 %), du fait d’une moindre demande des entreprises (investissement et variations de stocks). La croissance a déçu dans la plupart des grandes économies de la zone, l’activité se contractant en Allemagne et en Italie (– 0,2 %) et stagnant en France », relève pudiquement l’Insee. De nombreux économistes, en Allemagne même, sont encore plus pessimistes et, pointant la faiblesse des investissements, n’hésitent pas même à parler d’un possible « déclin » de l’économie du pays.
Quoi qu’il en soit, le constat ne fait guère de doute : la France est encalminée depuis longtemps dans une situation proche de la croissance zéro et aucun indicateur – pas le moindre ! – ne suggère que la situation va s’améliorer au cours des prochains mois. CQFD ! Le projet de budget pour 2015 est déjà obsolète avant même d’avoir été soumis à l’approbation. Car pour faire redémarrer la croissance, il faudrait assurément une tout autre politique…
Or, c’est tout l’intérêt de ce « Point de conjoncture » : dans la foulée, il met aussi en relief l’incohérence de la politique économique suivie par le gouvernement socialiste. Car à l’évidence, ce n’est pas d’un problème de compétitivité dont souffre d’abord la France. Et elle aura beau inonder ses entreprises par milliards d’euros, elle ne fera qu’arroser du sable…
Étouffée par une politique d’austérité qui est de plus en plus draconienne (blocage des retraites, blocage des rémunérations publiques, remise en cause de la politique familiale, coupes claires dans de très nombreux crédits sociaux…), enserrée dans une Europe qui ne se porte guère mieux et qui connaît des tensions déflationnistes de plus en plus graves, la France aurait besoin d’un électrochoc pour que son économie redémarre. Or, le gouvernement socialiste fait tout le contraire. Il durcit chaque jour un peu plus la politique d’austérité ; ce qui a pour effet de prolonger encore un peu plus la croissance zéro ; ce qui a pour effet de gonfler encore un peu plus les déficits que le gouvernement prétend vouloir réduire ; ce qui conduira le gouvernement à renforcer encore un peu plus la politique d’austérité ; et ainsi de suite, jusqu’à l’anémie totale de l’économie.
En somme, ce que décrit bien l’Insee, c’est la spirale récessive et déflationniste dans laquelle le gouvernement socialiste entraîne le pays. En somme, ce projet de budget pour 2015 est doublement insincère. Non seulement, il repose sur des hypothèses économiques irréalistes, mais de surcroît, même si des signes de reprise devaient malgré tout s’enclencher, la politique d’austérité aurait aussitôt pour effet de les refreiner.
Voilà la perspective de la politique économique socialiste. Pour néolibérale qu’elle soit, elle pourrait s’apparenter à un slogan punk : « No future ! »
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