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La BCE avertit la France

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Les réactions n’ont pas tardé. Au lendemain de la présentation du budget par le gouvernement français, au cours de laquelle il annonçait officiellement que la France ne respecterait pas ses engagements de ramener le déficit budgétaire sous le seuil des 3 % en 2015, mais en 2017, les responsables européens ont commencé à commenter la décision de la France de ne pas souscrire aux règles. Dès jeudi 2 octobre, le président du Conseil italien, Matteo Renzi s’empressait certes d’apporter son soutien au gouvernement français. « L’Italie respectera les 3 % mais Paris a raison », a-t-il insisté. Mais il n'en est pas allé de même du côté de la BCE.

Profitant d’un sommet exceptionnel de la Banque centrale européenne à Naples, ses responsables ont tenu à répondre dès l’après-midi à Paris. Les pays de la zone euro doivent s’en tenir aux traités, rien qu’aux traités, ont-ils rappelé d’emblée dans l’avis rendant compte de leur discussion.  

« La politique monétaire est centrée sur le maintien de la stabilité des prix sur le moyen terme et ses positions accommodantes aident à soutenir l’activité économique. Néanmoins, pour renforcer l’investissement, l’emploi et la croissance, d’autres interventions politiques sont nécessaires. En particulier, la mise en œuvre de réformes structurelles dans plusieurs pays a clairement besoin d’être accélérée, et cela aussi bien pour la production et le marché du travail que pour améliorer le cadre économique pour les entreprises. Concernant les politiques budgétaires, les pays de la zone euro ne doivent pas défaire les progrès accomplis et doivent rester en ligne avec les règles du pacte de stabilité et de croissance. Cela devrait se voir dans les projets de budget pour 2015 que les pays vont bientôt soumettre, dans lesquels ils répondront aux recommandations spécifiques à leurs pays. Le pacte doit rester le socle de confiance dans des finances publiques solides et les souplesses existantes au sein des règles doivent permettre aux gouvernements de faire face aux coûts budgétaires des réformes structurelles pour soutenir la demande et mettre en œuvre des politiques fiscales plus favorables à la croissance. »

À plusieurs reprises, le président de la BCE a insisté sur la responsabilité des États dans la gestion de la crise de la zone euro. « La BCE ne peut pas tout », a-t-il dit. Mais cette fois-ci, il se sentait dans l’obligation d’aller plus loin. D’abord, il lui fallait atténuer l’échec d’une de ses principales missions : la stabilité des prix. En dépit des différentes mesures monétaires adoptées, des milliards apportés au système financier, la zone euro est entraînée dans une spirale déflationniste chaque mois un peu plus profonde : l’inflation était encore à 0,7 % en mai, elle est tombée à 0,3 % en août. Réponse de Mario Draghi face à cet échec : « C’est le chômage qui nourrit la déflation. » En d’autres termes, les gouvernements n’ont pas fait assez de « réformes structurelles » pour soutenir la croissance.

Mais le président de la BCE voulait aussi rappeler la France à l’ordre et tenter d’éviter que son mouvement de rébellion ne fasse école, surtout auprès de l’Italie. Il est d’autant plus enclin à se faire le porte-parole du respect strict des traités qu’il doit dans le même temps, ménager Berlin, alors que la BCE veut continuer à emprunter des chemins monétaires bien éloignés de la doxa allemande. L’avertissement s'est d'abord fait par allusions. « Les pays qui n’ont pas de marge de manœuvre budgétaire ont malgré tout des moyens de mener des réformes. La consolidation budgétaire, en passant par des réduction d’impôt, par la réduction des investissements publics, permet de faire face à des mesures pour soutenir la croissance », a-t-il expliqué.

Poussé dans ses retranchements par une journaliste italienne qui lui demandait ce qu’il pensait du ralliement de l’Italie à la position française, Mario Draghi est sorti complètement de sa réserve de banquier central. « Nous sommes tous pour que la France retrouve la croissance et l’emploi (…). Mais la France a pris des engagements budgétaires en juillet. Elle doit les respecter », a-t-il insisté. Peu importe que depuis l’activité dans la zone euro s’effondre, que la récession menace à nouveau, que le chômage atteigne des sommets, il faut s’en tenir aux engagements pris, mener les réformes promises, imposer l’austérité s’il le faut pour tenir les 3 % de déficit.

Ce rappel ne peut que satisfaire un certain nombre de responsables européens, excédés par le statut à part dont bénéficie la France. Il suffisait d’entendre l’interrogatoire serré auquel fut soumis Pierre Moscovici par les parlementaires européens ce jeudi 2 octobre pour mesurer leur énervement (lire l’article de Ludovic Lamant).

Les uns s’indignent de l’étrange complaisance dont elle a profité ces dernières années, alors qu’elle n’était jamais dans les clous. Les autres, et particulièrement les pays de l’Europe du Sud, qui se sont vu imposer des programmes d’austérité drastique, avec ou sans la Troïka, ne comprennent pas pourquoi la France mais aussi l’Italie seraient épargnées. Tous ceux-là souhaitent que la France n’ait plus cette fois-ci le droit à un sort spécial et soit contrainte comme l’Italie à respecter ses engagements, quel qu’en soit le coût politique et social. Au nom des traités et de la cohésion européenne, naturellement.

En face, certains continuent, malgré tout, à prôner un certain accommodement. L’heure n’est plus, selon eux, aux politiques d’austérité, qui ont entraîné l’ensemble de la zone euro dans la régression depuis 2008. L’activité est inférieure de 15 % à son niveau d'avant la crise financière, selon l’économiste Joseph Stiglitz, qui pointe un désastre que l’Europe ne veut pas reconnaître. La sous-activité économique, le chômage de masse et la pauvreté nourrissent les tensions sociales et politiques, plaident-ils. À Naples, des milliers de manifestants protestaient en dehors de l’immeuble accueillant la BCE contre la politique d’austérité européenne et étaient dispersés avec des lances à eau par la police italienne.

Manifestation à Naples au moment de la réunion de la BCEManifestation à Naples au moment de la réunion de la BCE © #blockbce #na2ott

Sans en parler publiquement, certains s’inquiètent aussi de la fragilité de porcelaine du pouvoir politique en France, craignant que toute décision brutale ne provoque des réactions imprévisibles. Cette considération ne semble pas entrer en ligne de compte chez Mario Draghi. « Nous verrons le projet de budget que soumettra la France dans les prochaines semaines », a prévenu le président de la BCE. « Nous avons une réunion à la mi-octobre. » 

Le décor est planté. Comme dans les westerns, chacun est en train d’astiquer ses armes avant d’aller à l’affrontement final. Le gouvernement français n’attendait sans doute pas un tel durcissement. Jusqu’à présent, Manuel Valls, surtout après avoir rencontré Angela Merkel à Berlin, semblait croire que la France pourrait obtenir un nouveau répit, en contrepartie d’un paquet de réformes structurelles. La position de Mario Draghi vient dissiper ces illusions. La France paraît n’avoir d’autre choix que de se soumettre ou d’engager l’épreuve de force.

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