La « Grande Muette » va-t-elle devoir s’adapter ? La décision n’est pas encore définitive, mais elle est lourde de sens : la France vient d’être condamnée deux fois, ce jeudi, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en raison de l’interdiction faite aux militaires et gendarmes de se syndiquer. Il s’agit d’une violation de l’article 11 garantissant la liberté de réunion et d’association, a tranché la CEDH.
La première requête examinée avait été déposée par Jean-Hugues Matelly, officier de gendarmerie et chercheur associé dans un laboratoire rattaché au CNRS. Auteur de plusieurs tribunes qui avaient singulièrement agacé sa hiérarchie, le colonel Matelly avait également créé un forum internet intitulé « Gendarmes et citoyens » en 2007, puis une association « Forum gendarmes et citoyens » l’année suivante.
Dès lors, le directeur général de la gendarmerie nationale avait sommé Jean-Hugues Matelly de démissionner de cette association, au motif qu’elle présentait les caractéristiques d’un syndicat. Or l’article L. 4121-4 du Code de la défense, contesté depuis le début des années 1970 et la création des « comités de soldats », interdit toujours aux militaires français de se syndiquer.
Pour la CEDH, l’ordre donné à Matelly « a constitué une ingérence dans l’exercice des droits du requérant garantis par l’article 11 » de la Convention européenne des droits de l’homme, qui garantit la liberté d’association et la liberté syndicale. « L’interdiction pure et simple de constituer un syndicat ou d’y adhérer porte à l’essence même de la liberté d’association une atteinte que ne saurait passer pour proportionnée et n’était donc pas nécessaire dans une société démocratique », estime la CEDH (on peut lire l'essentiel de la décision ici).
Un second arrêt similaire a été rendu ce jeudi, suite à une requête déposée par l‘Association de défense des droits des militaires (Adefromil, créée en 2001). L’Adefromil ayant été déclarée irrecevable à agir pour défendre les militaires par le Conseil d’État, la CEDH juge, là aussi, que la France a commis une violation de l’article 11 « en raison de l’interdiction pure et simple faite aux militaires de constituer un syndicat ou d’y adhérer ».
Les deux décisions rendues ce 2 octobre sont des arrêts dits « de chambre ». La France a encore trois mois pour faire appel devant la Grande chambre de la CEDH.
En mars 2010, Jean-Hugues Matelly avait été radié des cadres par un décret du président de la République, Nicolas Sarkozy. Une décision annulée par le Conseil d’État en janvier 2011, qui a réintégré le colonel dans ses droits.
En avril dernier, le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian avait promis « une armée exemplaire et tolérance zéro », après la remise d’un rapport sur le harcèlement et les violences sexuels dans les armées et l’annonce d’un plan de lutte. Une première pour une institution jusque-là sourde aux alertes des associations, que la publication récente d’un livre a remises en pleine lumière.
C’est cet ouvrage, La Guerre invisible (Les Arènes/Causette, 2014), écrit par les deux journalistes Leïla Minano et Julia Pascual, qui est à l’origine de l’enquête interne au ministère de la défense et confiée à l’inspecteur général des armées, Didier Bolelli, ainsi qu'au contrôleur général des armées Brigitte Debernardy. Le droit d'adhérer à une association ou à un syndicat reste, cependant, oublié.
Dans un communiqué diffusé jeudi, le ministère de la défense « prend acte » de la décision de la CEDH. Le ministère va « prendre le temps d’expertiser avec précision la décision rendue et les motifs développés par la Cour. Ce travail d’analyse permettra d’identifier à brève échéance quelles évolutions du droit français doivent être mises en place, et de déterminer les actions à entreprendre pour assurer la conformité de notre droit national aux engagements conventionnels de la France, dans le respect des valeurs fondamentales du statut militaire et, en particulier, celles de l’unicité du statut et de la neutralité des armées », conclut le communiqué.
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