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Après six mois de gestion, le FN est toujours en manque de cadres

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« C'est plus crédible de mettre en tête de liste un élu dans un exécutif qu'un simple militant. (...) Nous en sommes aux prémisses du développement du Front. La prochaine fois, nous aurons la possibilité d'avoir de nouveaux cadres. C'est un gros chantier en interne, c'est la priorité : le recrutement de cadres. » Lundi, Steeve Briois, le secrétaire général du parti, justifiait ainsi l’envoi de deux cumulards FN au Sénat, alors que son parti est opposé au cumul des mandats.

Cette contradiction dit la difficulté pour le Front national de recruter et former suffisamment de cadres. Si Marine Le Pen affirme être « prête à gouverner » et juge les « premiers pas des villes FN remarquables », en interne, des responsables frontistes s’inquiètent, eux, d’une « crise de croissance » du parti et du manque de cadres compétents, comme l’a rapporté l’AFP. Certains frontistes ont déjà pris leurs distances avec des maires FN dont la gestion est calamiteuse, comme Fabien Engelmann à Hayange. D’autres s'interrogent sur le choix des 23 eurodéputés, estimant qu’une partie ne se distingue pas par son travail. Décryptage de la difficile professionnalisation du FN, six mois après la conquête de onze villes.

« Le FN a été embarrassé de gagner autant de villes. Il en espérait, mais pas autant. Et maintenant il faut les gérer, sachant que c’est un enjeu important pour la présidentielle de 2017. S’ils se plantent, 2017 peut s’éloigner, explique à Mediapart l’historienne Valérie Igounet, qui vient de publier une histoire très documentée du Front national. Donc le siège (du FN) est très directif dans leurs villes. »

Il l’est d’autant plus que les maires frontistes manquent de compétences. « On le voit, les bêtises commencent déjà dans les villes FN, elles sont le fait de maires jeunes et inexpérimentés pour la plupart et non de cadres », poursuit la chercheuse, pour qui la situation est différente de celle des quatre mairies frontistes des années 1990 : « En 1995, les maires étaient des cadres, eux-même entourés de cadres et d’un large réseau. »

Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et le maire de Fréjus David Rachline, le 7 septembre, lors de l'université d'été du FNJ.Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et le maire de Fréjus David Rachline, le 7 septembre, lors de l'université d'été du FNJ. © Reuters

L’enjeu majeur pour le FN est donc de réussir à trouver des cadres territoriaux compétents. Dans un grand entretien à la revue socialiste Regard sur la droite, le politologue Jean-Yves Camus, spécialiste de l’extrême droite, explique que même si Marine Le Pen affirme « que “les experts, c’est le peuple”, élaborer un PLU ou un budget, diriger un CAS, cela ne s’improvise pas ». « Si les postes de cabinets d’élus sont par nature destinés à des gens combinant militantisme et compétence, le FN va devoir se construire un vivier de fonctionnaires sympathisants, et ce n’est pas gagné », juge le directeur de l’Observatoire des radicalités politiques (ORAP).

« Il n’y a pas de culture de gouvernement au FN, ils le reconnaissent et tentent de recruter, explique à Mediapart le sociologue Sylvain Crépon, auteur de plusieurs enquêtes sur les militants et cadres du FN. Ils espéraient un afflux de cadres après les victoires et profiter de ce levier d'opportunités. » Bruno Bilde, adjoint de Steeve Briois à Hénin-Beaumont et cadre national, affirme que des cadres territoriaux auraient rejoint le FN dans le Nord-Pas-de-Calais. Mais impossible de mesurer l’état de ces recrutements, sur lequel le Front national laisse planer un large doute. Bien consciente du problème, la présidente du FN a promis d’améliorer le fonctionnement de son parti à l’occasion du congrès, fin novembre. 

Le FN pâtit aussi de sa quasi-absence de sélection. « Il ne recrute pas, il laisse venir. Parmi les 74 000 adhérents revendiqués, beaucoup sont jeunes et inexpérimentés. Et le FN manque de passerelles au sein de la société civile », analyse Valérie Igounet.

Le parti lepéniste tente d’y remédier de deux façons. D’abord en créant des collectifs et think tanks destinés à percer dans des strates de la société civile où il est peu représenté et à attirer de nouveaux électeurs: le collectif Racine (enseignants) et son antenne dédiée aux lycéens, le collectif Marianne (étudiants), le tout récent collectif Audace (jeunes actifs), et le futur collectif « écologie ». Mais ces collectifs, dont il n’est pas possible de vérifier les chiffres d'adhésion, sont pour l’instant des coquilles vides dont l’objectif est essentiellement médiatique.

Lors de l'université d'été du FNJ, à Fréjus, le 6 septembre.Lors de l'université d'été du FNJ, à Fréjus, le 6 septembre. © Mediapart

Autre chantier pour le FN : la formation des cadres et militants, « un enjeu fondamental étant donné la jeunesse du parti et le manque de cadres », estime l'historienne, qui a pu suivre plusieurs sessions de formations. Le FN ne s’y est pas trompé en investissant beaucoup dans ce secteur.

Pour Jean-Yves Camus, le FN a réalisé « un véritable progrès dans la professionnalisation des cadres » à l’occasion des municipales, « même s’il y a encore eu nécessité, pour le siège, de surveiller de très près les sites internet et autres réseaux sociaux où certains ont démontré qu'ils n’ont pas tout à fait assimilé la leçon de la “dédiabolisation” ». « Ces formations étaient davantage destinées à répondre aux journalistes en cas de questions sur le budget municipal, les prérogatives, qu'à apprendre à gérer une ville », souligne Sylvain Crépon.

Le parti a également marqué des points en faisant le choix de l’enracinement local à long terme (la plupart des maires sont issus des villes où ils ont été élus) et de la jeunesse (plusieurs de ses têtes d’affiche ont la trentaine). « Il y a de la part de la direction une volonté de favoriser l’ascension par le bas de militants locaux, là où Jean-Marie Le Pen ne la concevait que par le haut », note Jean-Yves Camus. Cette possibilité d'ascension éclair au FN pose problème à la gauche comme à la droite.

Mais pour Valérie Igounet, si le FN est « le seul parti à permettre une forte ascension », c’est d’abord « parce qu’il n’a pas eu le choix : après la scission avec Bruno Mégret (qui a causé le départ de nombreux cadres et militants - ndlr), il a dû repartir de zéro »Par ailleurs, ces jeunes trentenaires « ont une colonne vertébrale doctrinale qui leur permet de ne pas faire exploser tous les codes du “politiquement correct” sans que cela signifie, pour autant, qu’ils sont moins radicaux que leurs aînés », rappelle Jean-Yves Camus. Pour le politologue, « ils appliquent à la lettre les principes édictés par Marine Le Pen, depuis qu’elle a hérité de la présidence du FN, en janvier 2011 : transgresser le “politiquement correct”, tout en éliminant les aspérités qui ont fait de ce mouvement un parti-paria ».

D’où la nécessité des formations pour le FN. Dans ces sessions, organisées durant un week-end, par groupe de trente, on trouve à la fois des militants, des candidats, des responsables de fédérations du FNJ. « Elles comportent une partie théorique et une partie pratique. Les stagiaires apprennent notamment à parler à la presse, ils se filment (interviews, débats) puis se corrigent. Le parti se déplace également pour des formations “à domicile” comme dans les années 1990 », raconte Valérie Igounet.

Ces sessions sont « les versions actualisées de celles mises en place par Bruno Mégret et Carl Lang dans les années 1990, avec leur “guide du militant”, explique Valérie Igounet. Depuis les années 2010 et l’arrivée de Marine Le Pen à la présidence, elles sont redevenues une priorité, dont s’occupe Louis Aliot. C’est très formaté, il s'agit d'apprendre à penser et à parler Front national ».

Mais la formation ne fait pas tout. Être maire ne s’improvise pas en deux jours. Fabien Engelmann, le premier magistrat d’Hayange (Moselle, 16 000 habitants), en sait quelque chose. Lui aussi a suivi la formation d’un week-end au FN. Six mois après son élection, il est pourtant devenu le boulet que traîne le FN. Il est visé par une enquête préliminaire dans l'affaire du financement de sa campagne, après la plainte pour abus de confiance, abus de bien social et harcèlement de sa première adjointe.

Son équipe a déjà implosé et plusieurs adjoints ont été démis de leurs fonctions (lire notre reportage). Sa gestion et ses premières décisions ont été décriées. Comme son choix de repeindre en tricolore des wagonnets de mines – où ont travaillé des immigrés de seize nationalités différentes –, et de colorer une œuvre d’art dans le centre-ville. « Repeindre une fontaine qui a été commandée à un artiste dont le droit de regard sur son œuvre est bafoué, c’est une faute juridique et une preuve d’amateurisme », estime Jean-Yves Camus dans Regards sur la droite.

Fabien Engelmann a aussi choqué par son livre, véritable réquisitoire contre l'islam et apologie du colonialisme, puis sa « fête du cochon », qui a attiré, outre des familles, le collectif anti-islam Riposte laïque et des militants de l’Œuvre française (groupuscule pétainiste et antisémite dissous par le gouvernement en 2013). Pour ne pas perdre en crédibilité, le FN pourrait le lâcher. « Étant donné son itinéraire politique (de l’extrême gauche à Riposte laïque - ndlr), il sera facile pour le FN de s’en désolidariser, comme il l’avait fait avec Jean-Marie Le Chevallier (maire FN de Toulon entre 1995 et 2001, condamné dans plusieurs affaires - ndlr) à la fin des années 1990. »

« Aujourd’hui, la consigne de la direction du FN est que les maires s’en tiennent aux prérogatives municipales, en évitant tout effet négatif en termes d’image, les contentieux administratifs, les décisions cassées et tout ce qui a causé la chute de la "maison" Mégret, à Vitrolles, ou de Jean-Marie Le Chevallier, à Toulon. Mais ce n’est pas parce que le FN le veut que cela se fait sans problèmes », note Jean-Yves Camus.

Stéphane Ravier et David Rachline, sénateurs et maires FN.Stéphane Ravier et David Rachline, sénateurs et maires FN. © Reuters

Si les maires frontistes ne dérogent pas à la loi comme l’ont fait ceux des villes conquises dans les années 1990, leurs six premiers mois de gestion révèlent un grand amateurisme. Certes, ils appliquent les points clés du programme général du FN, copié-collé pendant les élections municipales (baisse des impôts locaux, suppression des subventions aux associations dites « communautaristes », augmentation des effectifs de la police municipale et des caméras de vidéosurveillance). Mais plusieurs édiles sont déjà sortis des clous.

Dans plusieurs villes, les maires ont augmenté leur indemnité : de 44 % au Pontet (Vaucluse) – où elle a été retoquée par la préfecture ; de 15 % à Villers-Cotterêts (Aisne), au Luc (Var) et à Cogolin (Var), où le maire s’est aussi octroyé une indemnité de frais de représentation de 1 250 euros par mois (à l’inverse Robert Ménard a, lui, diminué de 30 % celles des élus). Dans plusieurs villes, ce sont les plus démunis qui trinquent : au Pontet, la gratuité de la cantine pour les plus pauvres a été supprimée, à Villers-Cotterêts le tarif a été augmenté, le maire jugeant qu’« il faut différencier la solidarité de l’assistanat ». À Fréjus, David Rachline a considérablement diminué les subventions des trois centres sociaux de la ville (écouter le reportage de France Culture).

À Béziers (Hérault), Robert Ménard, élu avec le soutien du FN, a réservé la garderie municipale du matin aux enfants dont les deux parents travaillent. Alors que la ville est classée parmi les dix communes les plus pauvres de France, le centre communal d’action sociale (CCAS) a subi une baisse de subventions de 365 000 euros, d'après Libération. L’épicerie sociale qui dépend du CCAS et propose des services de banque alimentaire exige dorénavant « un an de séjour minimum à Béziers ». La mairie s'est aussi retirée d’un partenariat avec le conseil général destiné à accompagner les décrocheurs et les adolescents fugueurs, grâce au travail d’éducateurs de rue.

Si des responsables frontistes avaient, comme Bruno Bilde, juré qu'ils ne feraient « pas comme à Vitrolles, où les Mégret avaient débaptisé des rues ou proposé la prime à la naissance », certaines mesures sont explicitement politiques. Y compris à Hénin-Beaumont, ville « laboratoire » dont la vitrine devait pourtant être soignée.

Steeve Briois a ainsi fermé le local de la Ligue des droits de l’homme, au motif qu’elle n’avait « eu de cesse pendant la campagne électorale de dire tout le mal qu'elle pensait de nous ». Lui qui cumule plusieurs mandats et fonctions s’est aussi scandalisé de ne pas avoir obtenu une vice-présidence de la communauté d’agglomération, ni la présidence du conseil de surveillance de l’hôpital d’Hénin-Beaumont.

Les maires de Beaucaire et Hénin-Beaumont, Julien Sanchez et Steeve Briois, posent devant des journalistes à Fréjus.Les maires de Beaucaire et Hénin-Beaumont, Julien Sanchez et Steeve Briois, posent devant des journalistes à Fréjus. © Alain Robert

À Fréjus, le maire a fermé un centre social en reprochant à sa directrice « des positions à caractère politique contre l'actuelle équipe municipale ». Il a aussi retiré le drapeau européen du fronton de l'hôtel de ville. À Villers-Cotterêts, ville où est mort le général Dumas, né esclave à Saint-Domingue et père de l'écrivain Alexandre Dumas, le maire a refusé de commémorer l'abolition de l'esclavage, « une autoculpabilisation à la mode », estime-t-il.

Au Pontet, le nouveau règlement intérieur du conseil municipal a réduit l'intervention des élus d'opposition à trois minutes et la municipalité a retiré sa subvention au Téléthon. À Cogolin, le maire a dû, face à la polémique, renoncer à son idée de baptiser un parking Maurice-Barrès. Des ateliers ou spectacles de danse orientale ont été supprimés à Hayange et à Cogolin (« parce qu’ici on est en Provence, pas en Orient »selon le maire). À Beaucaire, Julien Sanchez a suscité des réactions d'indignation après avoir dénoncé le « coût » supposé « pour les contribuables » de l'accueil des enfants non-francophones dans les écoles de sa ville et évoqué une « répercussion sur le niveau des enseignements ».

Alors que Marine Le Pen dénonce régulièrement le « copinage » et le clientélisme de ses adversaires, plusieurs maires ont fait appel à des sociétés proches du FN pour des marchés publics. David Rachline a choisi, pour les prestations d’événementiel, une société dirigée par un ancien du groupuscule néonazi la Fane (lire notre enquête). À Fréjus et Beaucaire, deux contrats ont été octroyés à une société d’audit dont le dirigeant officie sous pseudonyme au FN.

Dans plusieurs villes, des cadres ont déjà claqué la porte. Une quinzaine (sur une vingtaine) à Mantes-la-Ville (Yvelines), d’après Le Point. La municipalité frontiste a engagé un bras de fer avec la communauté musulmane en rompant le contrat passé avec la municipalité précédente sur la construction d'une nouvelle salle de prière. À Cogolin, le maire a, lui, renouvelé sa confiance à son premier adjoint FN, qui a été révoqué de la police de Cannes à la suite de son comportement et de nombreux incidents. Au Pontet, c’est un élu UDI qui a déposé une plainte pour insultes et menaces contre un adjoint FN.

Mais c'est sans doute Robert Ménard qui a le plus fait parler de lui ces six derniers mois. Ce, en plaçant deux ultras à la tête de son cabinet, avant de devoir se séparer de son chef de cabinet, dont l'appartenance à la direction du Bloc identitaire a suscité une polémique. En organisant une messe pour l'ouverture de la feria. En commémorant les « massacres d'Oran » du 5 juillet 1962 devant une stèle en l'honneur de quatre fusillés de l'OAS. En lançant un cycle de conférences pour « libérer la parole » à Béziers, avec pour premiers invités Éric Zemmour et Philippe de Villiers.

Et en prenant toute une série de mesures sécuritaires : arrêté « anti-crachat dans l'espace public », interdiction d'étendre le linge aux balcons, fenêtres et façades des immeubles visibles des voies publiques ; instauration d’un couvre-feu pour les mineurs de moins de 13 ans dans certains secteurs de la ville.

Son bilan municipal peut-il plomber le Front national ? Pour Jean-Yves Camus, ses « erreurs de gestion » ne se traduiront pas forcément par un échec au scrutin suivant. « D’abord parce qu’au jeu de qui gère mal, le FN peut pointer du doigt la mauvaise gestion des maires de droite comme de gauche. Ensuite parce que l’indignation morale qui servait de moteur à la mobilisation anti-FN des années 90 s’est fracassée à cause de la désespérance économique et sociale. »

Le Front national, parce qu'il est désormais « confronté au réel et à ses limites de gestionnaire », s'est fixé « des objectifs très modestes », analyse Sylvain Crépon. « Certains cadres disent "si on arrive à remettre les clés en n'ayant pas augmenté les impôts, voire en les ayant diminué un peu, ce sera bien". Leur stratégie, c'est la conquête du pouvoir par une "normalisation" locale : ne pas faire de vagues dans les villes, s'insérer dans la population, tisser des relais, puis appliquer ses idées une fois au sommet. » 

BOITE NOIRERetrouvez notre dossier sur les villes FN en cliquant ici.

Valérie Igounet est historienne, chercheuse associée à l’institut d’histoire du temps présent (CNRS), spécialiste de l’extrême droite et du négationnisme. Elle a publié en juin aux Éditions du Seuil une histoire du Front national depuis sa création en 1972 jusqu’à l’arrivée à sa tête de Marine Le Pen, en 2011 (lire notre entretien).

Sylvain Crépon est sociologue. Il a suivi la génération « Le Pen-Maréchal » à ses débuts, entre 1995 et 2002, avant de devenir chercheur à l'université Paris-Ouest-Nanterre, puis à l'université de Tours. Il est notamment l’auteur d’une Enquête au cœur du nouveau Front national (éd. Nouveau Monde, mars 2012) et de La Nouvelle Extrême Droite : enquête sur les jeunes militants du Front national (L'Harmattan, 2006).

Jean-Yves Camus est politologue, spécialiste des extrêmes droites, chercheur associé à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), et directeur de l'Observatoire des radicalités politiques, lancé en février.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La vidéoconférence par WebRTC est elle sécurisée?


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