Trente mille euros par tête… « Ça fait cher pour un berceau », disent les uns, « c’est un gouffre », ajoutent les autres, tandis que l’Institut Montaigne propose dans Le Figaro un compteur angoissant qui ne cesse de monter, comme un téléthon à l’envers, dont chaque tour nous rapprocherait de l’explosion finale.
Dans ce concert de métaphores le bon François Lenglet, qui n’est pourtant pas le plus caricatural, se démène sur France 2. Après un reportage qui chiffre à l’euro près la dette de chaque bébé (30 745 euros exactement), il multiplie les métaphores: « Si l’euro était un centimètre, la dette représenterait 26 fois la distance de la Terre à la Lune. »
L’auditeur, le lecteur, le téléspectateur, l’internaute ainsi prévenu, pour ne pas dire rincé par cet orage de statistiques, sera saisi par un vertige cosmique, et prêt à prendre au pied de la lettre la conclusion de ceux qui savent et répètent leurs certitudes, comme un mantra, dans leurs chroniques mécaniques. Entendu sur BFM : « Ces 2000 milliards sont le prix de la lâcheté politique. » Quel type de lâcheté ? Réponse sur le site Atlantico : « Cet argent a servi à faire la fête ! À payer les fonctionnaires ! »
Revoilà donc le credo libéral. Les enseignants, les policiers, les militaires, les magistrats, les agents hospitaliers sont les confettis d’un gaspillage d’État qui nous conduit dans le précipice.
Pourtant ces chiffres, dégustés comme des bonbons par ceux qui les énoncent, mais brandis comme des matraques en direction de ceux qui les reçoivent, n’ont aucun sens absolu. 30 000 euros par bébé ? Ah bon ? Payables quand ? À la sortie de la maternité, en une seule fois ou à la fin de la vie ? Sur quelle durée ? Avec quel intérêt ? Payables à qui ?
Et puis il y a ce message étrange dans une société de marché. Pour les défenseurs du libéralisme pur et dur, qui avaient pourtant adoré les subprimes, la dette serait une calamité en soi. L’équivalent d’un contrat placé sur la tête des nouveau-nés.
Si on suit ce raisonnement, une famille de quatre personnes aux revenus de 60 000 euros annuels, qui emprunterait 250 000 euros pour acheter une maison, se retrouverait frappée par un endettement de 400 % ! Et chacun des membres de la famille devrait donc vivre avec une charge de 62 500 euros, soit l’équivalent de 12 500 biberons. Acheter son logement serait une folie furieuse, emprunter pour sa voiture un acte de démence, et payer son lave-linge en trois fois un signe d’immaturité.
Ainsi les chroniqueurs officiels paraissent-ils éprouver un effroi collectif devant l’usage du crédit, ce qui est nouveau sous le soleil. Et ce n’est pas la seule surprise. Ce qui frappe davantage, c’est de voir les partisans de l’économie ouverte s’alarmer comme des Gaulois d’antan, enfermés dans leurs frontières, en oubliant que des dizaines de pays, au premier rang desquels les États-Unis, vivent avec un endettement supérieur au nôtre et relancent leur croissance. Et si les mondialistes ardents étaient des protectionnistes honteux ?
Enfin, la perspective des 30 745 euros par fontanelle recèle une dernière curiosité, encore plus incroyable. En affichant ce chiffre menaçant pour les prochaines générations, les commentateurs décrivent en fait une société révolutionnaire, strictement redistributive et strictement égalitaire, dans laquelle le PDG du CAC 40 de demain et le futur smicard (si le Smic existe encore) porteront exactement le même fardeau.
Nous en sommes loin. En 2014, la dette par habitant représente trente fois le Smic, mais le trentième du salaire de Carlos Ghosn.
Vivement demain !
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La vidéoconférence par WebRTC est elle sécurisée?