Attendu avec fébrilité par un corps manifestement très chatouilleux, le rapport sur l’École polytechnique que vient de rendre le député François Cornut-Gentille (UMP) est, comme prévu, dévastateur. Signe de la nervosité ambiante, il l'a présenté mardi 30 septembre devant une salle subitement désertée par les membres de la commission des finances de l'Assemblée nationale. Le député UMP Hervé Mariton – ancien polytechnicien – a même manifesté bruyamment sa désapprobation à l'égard du rapporteur (voir ici la vidéo).
Intitulé Polytechnique: l’X dans l’inconnu (le rapport est à lire ici en intégralité), cette étude dresse sur une quarantaine de pages le réquisitoire sans appel d’une école évoluant depuis des décennies sans véritable cap et totalement hors de contrôle de la puissance publique. École pluridisciplinaire technique et scientifique placée sous la tutelle du ministère de la défense, Polytechnique représente pour beaucoup un « fleuron républicain » ou la quintessence de l’élitisme à la française. Créée à l’origine pour former les ingénieurs des grands corps techniques de l’État et servir les « grands projets industriels et structurants de la France », écrit le député, elle jouit d’une confortable dotation de l’État : 73 millions d’euros. Ses élèves triés sur le volet perçoivent pendant leurs années d’étude une rémunération d'environ 800 euros par mois.
Auréolée de cette glorieuse image, l'école qui forme une bonne partie des élites françaises semble fonctionner en vase clos, persuadée qu'elle ne doit de comptes à personne, explique tout d'abord ce rapport. Ainsi les « rapports accablants » de la Cour des comptes, en 2003 puis en 2012, mais aussi de l’inspection générale de l’éducation nationale sur la gestion de l’école, sont restés sans suite. « Après le premier contrôle de la Cour des comptes de 2003, il faudra presque dix années pour que les choses commencent à évoluer positivement. On ne sait si le plus stupéfiant est l’inertie de l’école ou la désinvolture de la tutelle », note amèrement François Cornut-Gentille.
À cet égard, « la crise de la pantoufle » est selon lui un « révélateur » de l’incurie des pouvoirs publics. Depuis 2000, dans le cadre d’une réforme de l’école qui a porté à quatre ans la durée de la scolarité, un arrêté exonère de fait du remboursement des indemnités perçues par les élèves pendant leur cursus ceux qui partent directement dans le privé : c'est la « pantoufle » due normalement par ceux qui n'exercent pas dix ans au service de l'État.
« Ceci signifie qu’un polytechnicien menant carrière dans des institutions bancaires américaines est exonéré de remboursement, à la différence d’un ingénieur des Ponts travaillant dans une direction régionale de l’État », s’offusque le député. Depuis cette période, alors que les polytechniciens étaient de plus en plus nombreux à embrasser une carrière dans le privé dès leur sortie de l’école, les demandes de remboursements de la « pantoufle » sont pratiquement tombées à zéro.
Certes, l’école a finalement décidé en 2010, dix ans après cette réforme, de revenir sur ses aberrantes conséquences. Elle mettra deux ans pour se fixer comme objectif la publication d’un décret en ce sens qui, à ce jour, n’a toujours pas été publié… Dans l'hypothèse d'une publication rapide, les premiers remboursements n'interviendraient pas avant 2021. « Tout au long de ce processus de refonte de la pantoufle, la tutelle est demeurée totalement passive. Elle n’a ni initié, ni accéléré une réforme indispensable », note-t-il. Si, à aucun moment, François Cornut-Gentille n’utilise le terme de lobby, c’est bien du poids des réseaux de l’X au sein de l’appareil d’État qu’il est évidemment question pour expliquer le traitement de faveur réservé à Polytechnique.
Pour le député UMP, mener à bien cette réforme est urgent pour ne pas alimenter « le procès en élitisme des X ». La composition sociale des élèves de l’X est sans appel : 63,7 % sont issus d’une famille de cadre et profession intellectuelle supérieure, 1,3 % d’une famille d’ouvriers. Il est difficile de justifier auprès de l’opinion publique que l’État finance une scolarité ultra-privilégiée, en versant un traitement à ses élèves qui, de surcroît, rejoignent ensuite massivement le secteur privé.
Pas opposé sur le principe à une conception élitiste de cette formation, le député UMP de la Haute-Marne souligne néanmoins qu’« une élite est socialement acceptée lorsque sa contribution à l’intérêt général est avérée et reconnue de tous ».
Or, et c’est l’autre point important de ce rapport, la « contribution à l’intérêt général » de Polytechnique mérite là aussi d’être examinée de près. Aujourd’hui, « le lien entre l’école et le service de l’État est de plus en plus ténu », constate François Cornut-Gentille, principalement parce que l’État s’est désengagé « de la sphère scientifique et technique », après avoir « délégué à des opérateurs privés la mission de construire des routes, bâtir des navires, développer les ressources énergétiques ». Seuls 17,5 % des élèves intègrent un grand corps de l’État aujourd’hui. L'École revendique désormais de former « les officiers français de la guerre économique », en plaçant ses élèves à la tête de grandes sociétés privées françaises.
Une justification à laquelle croirait, peut-être, ce gaulliste nostalgique si son rapport ne faisait, en creux, le procès d’un État qui de « bâtisseur » est « devenu gestionnaire sans pour autant acquérir la qualité de stratège ». Polytechnique est donc devenu une école de l’élite, au service de ses intérêts propres, qui ne fait même plus semblant de servir un État sans projet ni vision.
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