L'heure n'est plus à la critique systématique de la majorité. En invitant des personnalités de la “société civile”, magistrats, acteurs, responsables associatifs, et même un psychanalyste, une partie de la gauche s'est lancée dans une de ces grandes collectes d'idées dont elle est friande. La rencontre, baptisée « Échanger pour changer », s'est déroulée samedi 27 septembre à Paris, dans un bar du XXe arrondissement. Parmi les personnalités politiques invitées (voir notre boîte noire), plusieurs députés socialistes frondeurs (Jérôme Guedj, Laurent Baumel, Christian Paul...), les chefs de parti Pierre Laurent (PCF), Emmanuelle Cosse (EELV) et Pierre Larrouturou (Nouvelle Donne), l'ancienne ministre Cécile Duflot ou encore Clémentine Autain (Front de gauche), ont fait le déplacement. L'originalité de la démarche tenait à ce que, pour une fois, les politiques ne s'expriment pas, à l'exception du député Pouria Amirshahi (PS) lors d'un court discours introductif (8 minutes montre en main), en tant qu'organisateur de l'événement.
« Quand on fait des compromis avec les mots, on fait des compromis avec les principes. » À travers un discours sur la sémantique politique, le psychanalyste Gérard Miller a fait la démonstration de l'uniformisation du langage dans les partis politiques. « Les socialistes ont fait capitalisme première langue », tonne-t-il avant d'énumérer quelques exemples de cette dérive : les cotisations sociales sont devenues des charges sociales, les exploités sont devenus des gens en colère, les travailleurs sont assimilés à un coût du travail. Pour le psychanalyste, « la gauche ne parle plus comme la gauche et à force de parler comme la droite, elle agit comme la droite. Pour agir, reprend-il, il faut d'abord parler. »
Le poids des mots, le représentant du collectif « Cité en mouvement », Bocar Niane, en sait quelque chose. Dans le triptyque « rassembler, former, dénoncer » qu'il défend, les ateliers de prises de parole en public jouent un rôle phare. « Si ces formations existent déjà à Harvard, HEC, Sciences-Po, aujourd'hui on ne forme pas les acteurs des quartiers à la prise de parole en public », constate-t-il. C'est pourquoi le collectif fondé en 2012, présent à Fontenay-sous-Bois, Saint-Ouen et Noisy-le-Sec, a fait de la formation un de ses fers de lance pour réorienter le débat public.
À en juger par les applaudissements, l'audience semble partager le constat que font les orateurs invités. Que ce soit lorsque le magistrat Serge Portelli parle des « réformes qui intéressent l'homme dans la justice » qui n'ont pas été entreprises, lorsque le président du collectif AC le feu et co-fondateur du tout nouveau syndicat des banlieues Pas sans nous (voir notre article ici), Mohamed Mechmache, évoque la défiance grandissante envers les politiques dans les banlieues ou quand la féministe Anne-Cécile Mailfert (Osez le féminisme) mentionne le recul du gouvernement sur les ABCD de l'égalité, le succès est retentissant. Tous critiquent l'action du gouvernement, mais pas sans évoquer de possibles champs d'expérimentation.
Pour Serge Portelli, il s'agit de développer les prisons ouvertes. « Nous n'en avons qu'une seule en France quand ailleurs en Europe, pour certains pays c'est un quart voire un tiers des établissements carcéraux », affirme-t-il. Mohamed Mechmache présente, lui, le concept de « démocratie d'interpellation par le bas » : « D'un côté, on récupère 10 % de la réserve parlementaire qu'on met dans un fonds commun, de l'autre 1 % du financement des partis politiques. » Le but, sponsoriser des projets urbains émanant des citoyens afin de les proposer aux élus locaux. Anne-Cécile Mailfert invite plutôt à « repenser les rapports au travail ». « Il n'y a qu'une bataille, souligne-t-elle, celle de l'égalité qui doit irriguer tous les champs de la société. »
Le dernier mot est revenu à Pouria Amirshahi : « Je ne vais évidemment donner aucune conclusion ni organisationnelle ni programmatique à la suite de ce qui s'est dit. Je voudrais simplement inviter toutes celles et tous ceux qui le veulent, dans leurs collectifs, à reproduire ce genre de rencontres, riches, génératrices de beaux lendemains partout en France. »
À la fin des discours, le syndicaliste Olivier Leberquier, ancien de Fralib, plie ses affaires, prêt à repartir dans le sud un peu plus optimiste qu'à son arrivée. « On ne fait pas partie de ceux qui disent “non, il ne s'est rien passé”, même si évidemment ce qui nous intéresse, c'est ce qui se passe derrière. » Lui va retourner à sa charrue, galvanisé par la rencontre. La Société coopérative ouvrière de production de thés et infusions (Scop TI) qui est née de la fin du conflit avec Unilever n'en est qu'à ses débuts mais les idées ne manquent pas. « On s'est rendu compte que la récolte de tilleul en France était de 400 tonnes à la fin des années 90, elle oscille entre 10 et 15 tonnes aujourd'hui, alors on va travailler avec des producteurs locaux pour faire nos infusions », affirme-t-il avant de lancer aux personnalités politiques qui l'entourent : « Si vous avez besoin d'idées pour faire du développement durable, vous nous demandez. » Il faut cultiver notre jardin, aurait peut-être conclu Voltaire.
BOITE NOIREL'initiative organisée par Pouria Amirshahi le 27 septembre a réuni les personnalités de la société civile suivantes : Mohamed Mechmache du collectif AC le feu, co-fondateur de la coordination nationale des « Pas sans nous », Philippe Torreton, acteur, Bocar Niane du collectif « Cité en mouvement », Serge Portelli, magistrat, Edwy Plenel, co-fondateur du site Mediapart, Anne-Cécile Mailfert, porte-parole d'Osez le féminisme !, Aurélie Trouvé d'Attac, Nadia Nguyen Quang du collectif Réseau éducation sans frontières et Olivier Leberquier des ex-Fralib.
Parmi les personnalités politiques présentes, figuraient Jean-Marc Germain, Barbara Romagnan, Daniel Goldberg, Fanélie Carrey-Conte, Pascal Cherki, Nathalie Chabanne, Christian Paul, Gérard Sébaoun, Jérôme Guedj, Guillaume Ballas, Emmanuel Maurel, Pierre Laurent, Emmanuelle Cosse, Cécile Duflot, Clémentine Autain et Pierre Larrouturou.
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