Les gros cabinets d’avocats pénalistes parisiens sont sur le pied de guerre. Selon des informations obtenues par Mediapart, certains d’entre eux parmi les plus influents ont appris récemment que les juges d’instruction Patricia Simon et Claire Thépaut, en charge de l’affaire Sarkozy-Herzog-Azibert, avaient demandé les « fadettes » (factures détaillées où apparaissent les appels et SMS reçus et passés) de leur bâtonnier en exercice, Pierre-Olivier Sur.
La chose semble à première vue légale, les juges ayant légitimement cherché à savoir qui, au barreau de Paris, avait pu prévenir discrètement (et, pour le coup, de façon tout à fait illégale) Thierry Herzog et Nicolas Sarkozy, en janvier dernier, que leurs lignes téléphoniques étaient écoutées à la demande du juge Serge Tournaire dans l’affaire Kadhafi.
La loi fait, en effet, obligation aux juges de prévenir le bâtonnier de l’Ordre des avocats quand un de ses membres est placé sur écoutes. Les investigations poussées des juges n’ont rien donné jusqu’ici sur ce point précis, même si leurs soupçons se sont clairement portés sur l’Ordre des avocats parisiens. Selon l’enquête, quatre personnes étaient au courant des écoutes : le bâtonnier Sur, son directeur de cabinet, un cadre administratif, et enfin le secrétaire-général de l’Ordre.
Afin de « fermer les portes », les juges Simon et Thépaut avaient également fait vérifier les appels entrants et sortants du tribunal de grande instance de Paris et de son pôle financier, ce qui n’avait rien donné non plus.
En guerre ouverte avec les juges Simon et Thépaut, qui sont soutenues par le parquet national financier (PNF), certains cabinets d’avocats pénalistes de Paris comptent bien instruire le procès public des « deux dames » qui ont mis Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog et Gilbert Azibert en examen pour « corruption », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel ». Leur instruction vient d’ailleurs d’être gelée par la présidente de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris, Édith Boizette, quelques heures à peine après l’annonce officielle du retour en politique de Nicolas Sarkozy.
Le 16 juillet dernier, très agacé par certains articles de presse sur cette même affaire, Pierre-Olivier Sur avait déposé plainte contre X... pour « recel de violation du secret de l’enquête et de l’instruction ».
Sollicité samedi matin par Mediapart, le bâtonnier des avocats de Paris, Pierre-Olivier Sur, dit n’avoir été informé de cette affaire de fadettes que vendredi, et par des journalistes. Aucun de ses confrères ne l’aurait donc averti ? À voir. Me Sur estime, en tout cas, déplacés les soupçons qui pèsent sur sa personne au vu de ces actes d'instruction.
En mars dernier, Pierre-Olivier Sur s'était fortement indigné des écoutes et des perquisitions effectuées par les juges au cabinet et au domicile de son confrère Thierry Herzog. Le bâtonnier avait également menacé d'appeler les avocats parisiens à s'opposer physiquement à une éventuelle perquisition à la Maison du barreau de Paris, place Dauphine. Cette opération baptisée “Ecureuil”, diversement appréciée par ses confrères, n'a pas eu de suite.
Les conflits entre magistrats et avocats ne datent pas d'hier, Eva Joly et Éric Halphen s'en souviennent. La mise en examen d'un avocat en vue comme Thierry Herzog ne pouvait donc que créer de nouvelles tensions.
Mais dans cette affaire Bismuth, les poursuites qui visent également l'ancien haut magistrat Gilbert Azibert, à la carrière très politique, peuvent faire craindre des interférences au sein même de la magistrature. Quant à la mise en examen inédite d'un ancien chef de l'État pour « corruption », elle provoque la fureur d'un Nicolas Sarkozy ivre de vengeance, et qui bénéficie encore de soutiens puissants et de nombreux relais.
Les « deux dames » savent à quoi s'en tenir. Mais les magistrats sont soumis au secret professionnel et à l'obligation de réserve, et ne peuvent donc répliquer aux attaques dont ils sont l'objet.
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