La parenthèse de gauche du Sénat n’aura duré que trois ans. Et elle n’aura pas marqué les esprits. Dimanche 28 septembre, la Haute Assemblée, dont la majorité était à gauche depuis 2011, une quasi-exception sous la Cinquième République, est repassée à droite. Notamment grâce aux très bonnes performances de l’UDI centriste, qui aura un poids accru dans la future majorité sénatoriale.
Le résultat ne trouble pas spécialement l’exécutif. François Hollande et Manuel Valls savaient le Sénat perdu. Ils disposent toujours d’une majorité absolue à l’Assemblée nationale, qui détient le dernier mot pour le vote des lois. Après huit élections législatives partielles perdues, la défaite des municipales et des européennes, la perte du Sénat signe toutefois un nouveau revers pour un gouvernement impopulaire. Revers qui en annonce peut-être d’autres, alors que se profilent déjà les cantonales puis les régionales, respectivement en mars et en décembre 2015.
L’autre information importante de la soirée est l’entrée inédite du Front national au Sénat. « Une victoire historique », selon Marine Le Pen. Alors que les sénatoriales ne lui sont en général guère favorables à cause du mode de scrutin, le FN, aidé par la dose supplémentaire de proportionnelle introduite cette année, réussit à faire élire deux sénateurs : Stéphane Ravier et David Rachline, respectivement maires depuis mars dernier du septième secteur de Marseille et de Fréjus (Var). À 26 ans, David Rachline va même devenir le benjamin du Sénat. De toute évidence, le maire de Fréjus a bénéficié du soutien de nombreux grands électeurs de droite dans son département, un indice supplémentaire de la très grande porosité dans le sud-est de la France entre l’électorat de droite et celui du FN.
La défaite de la gauche, nouvel épisode d’une série de revers électoraux depuis 2012, n’est pas une surprise : aux sénatoriales, le scrutin, indirect, reflète le résultat des municipales. Or celles de mars ont été calamiteuses pour le PS. Pour les experts socialistes des scrutins, la défaite serait même honorable au vu des prévisions. Le PS va jusqu'à se féliciter de certains « petits miracles » qui contiennent l’ampleur de la défaite, comme les réélections à quelques voix près des sortants Yves Daudigny (Aisne), Alain Anziani (Gironde) ou de la Marseillaise Samia Ghali. « La gauche résiste mieux que l'effet mécanique des résultats des municipales », affirme Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS, qui conteste toute « vague bleue ».
Depuis 2011, la gauche était majoritaire au Sénat de six petites voix. Dimanche, au vu de l’estimation disponible en milieu de soirée et dans l’attente d’une poignée de résultats plus tardifs en outre-mer, socialistes, communistes et radicaux de gauche ont perdu 21 sièges. La droite (UMP + centristes de l’UDI), elle, en a gagné 23 (14 pour l'UMP et 9 pour les centristes, ce qui est une performance). Elle dispose désormais d'une quinzaine de sièges au-dessus de la majorité absolue.
Sur 65 sénateurs sortants renouvelables ce dimanche, le Parti socialiste en abandonne 10. Les radicaux de gauche sont un des grands perdants du scrutin, avec 7 sièges perdus sur 12 à renouveler. Les communistes perdent 3 sièges sur 5. La faute, selon eux, à la réduction des dotations aux collectivités locales (11 milliards d’économies prévues d’ici 2017) et à la réforme territoriale. « De nombreux "grands électeurs", élus locaux pour la plupart, ont exprimé leur refus d’une réforme territoriale qui poursuit la logique de démembrement de la République et du service public des textes de Nicolas Sarkozy », écrit dimanche soir le groupe communiste (CRC) du Sénat dans un communiqué.
- Les résultats détaillés sur le site du Sénat.
- Le Sénat est renouvelé à moitié tous les trois ans. 178 sièges (la moitié) étaient renouvelables cette année :
« Trois facteurs expliquent cette défaite, décrypte un proche de François Hollande : le résultat des municipales, une réforme territoriale qui n’a pas été bien comprise et la fragmentation de la gauche. » Pour ces sénatoriales, le PS, le Front de gauche et les radicaux étaient partis en ordre dispersé, faute d’accord électoral. « La gauche aurait pu sauver des sièges s’il y avait eu un accord », soutient Emmanuelle Cosse, la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts. Les écologistes n’étaient pas directement concernés par le scrutin, n’ayant pas de sénateurs renouvelables cette année.
Malgré le satisfecit officiel du PS, le parti et ses alliés radicaux de gauche du gouvernement enregistrent des défaites hautement symboliques. Dans les Bouches-du-Rhône, la sanction est particulièrement rude. Alors que le PS avait quatre sortants, seule Samia Ghali, candidate malheureuse à la primaire socialiste lors des dernières municipales, est réélue, et de justesse. Dans l’après-midi, elle a même cru sa défaite certaine, l'annonçant par SMS à Solférino, le siège parisien du PS.
Le PS local est humilié par Jean-Noël Guérini, le président du conseil général trois fois mis en examen. À la tête d’une liste dissidente, Guérini, qui a quitté le PS en avril dernier avant même que le parti ne prononce son exclusion, réunit trois fois plus de voix que les socialistes. Et fait élire, outre lui-même, deux de ses colistiers. Guérini a centré sa campagne sur de grands électeurs contre la future métropole marseillaise. Et il n'a pas manqué de faire miroiter aux élus locaux les subventions du conseil général. Dimanche, Samia Ghali a dénoncé « de l’argent public distribué » par Guérini pour « achet[er]» des voix. Elle sait de quoi elle parle, pour avoir été élue sur sa liste en 2008… Où siégeront les élus guérinistes ? A priori dans le groupe socialiste, avec les apparentés PS. « Guérini reste socialiste... socialiste marseillais... », dit ce responsable socialiste, loin d'ostraciser le puissant Guérini.
Le PS enregistre d’autres défaites symboliques. La Corrèze, le département que François Hollande a dirigé, et qui comptait deux sénateurs socialistes, repasse à droite. Conseiller de François Hollande, le maire de Tulle, Bernard Combes, à qui le chef de l’État avait suggéré de se présenter, ne réussit pas à se faire élire. En Savoie, un autre "hollandais", l’ex-ministre des affaires européennes Thierry Repentin, est nettement battu. Quant à Jean-Pierre Michel, ancien député socialiste qui fut dans les années 1990 le père du Pacte civil de solidarité (Pacs), il est battu en Haute-Saône, où les deux sièges de sénateurs passent à la droite. En Côte d'Or, la suppléante du ministre de l'emploi François Rebsamen, ancien président du groupe socialiste, n'est pas réélue.
Dans l’Hérault, le socialiste dissident Robert Navarro est réélu. Au grand dam de nombreux militants socialistes du cru, ses proches avaient blindé la liste de grands électeurs favorables à Navarro, ancien partisan de Georges Frêche, mis en examen pour abus de confiance à la suite d'une plainte du PS dans l’affaire des frais de fonctionnement de la fédération PS de l'Hérault. « Cela fait trois semaines qu’il invite des grands électeurs à tous les matchs possibles, en profitant des invitations de la région », soupirait un socialiste héraultais interrogé il y a quelques jours par Mediapart. Visiblement, ce lobbying acharné a payé.
Les radicaux de gauche, qui ont un ministre et deux secrétaires d’État dans le gouvernement Valls, enregistrent des revers notables. Dans le territoire de Belfort, le siège de Jean-Pierre Chevènement passe à l’UMP, et ce dès le premier tour. L’ancien ministre de Lionel Jospin siégeait au groupe radical de gauche (RDSE). Ancienne ministre de Jean-Marc Ayrault, Anne-Marie Escoffier est battue.
Mais la défaite la plus notable est celle de Jean-Michel Baylet. Le président du Parti radical de gauche (PRG), par ailleurs président multi-cumulard du conseil général du Tarn-et-Garonne et patron du groupe de presse La Dépêche du Midi, perd le siège qu’il détenait depuis 1995, sur fond de profondes rivalités au sein du PRG local. « C’est la preuve de l’essoufflement de son dispositif local », estime un dirigeant du PS. « Les grands électeurs de son département se sont révoltés », dit un autre.
Jean-Michel Baylet, qui aurait pu être nommé ministre en 2012 s’il n’avait pas des ennuis judiciaires, reste inquiété par la justice dans une affaire concernant des frais de bouche du conseil général. Mis en examen, il a bénéficié d'un non-lieu mais le parquet a fait appel. Ces derniers mois, tirant avantage du départ des écologistes du gouvernement, Baylet avait fait monter les enchères, brandissant la menace d'une démission des ministres radicaux si les conseils généraux ruraux étaient supprimés. Il avait obtenu gain de cause.
Dimanche soir, l’UMP a fêté sa victoire. Parmi les arrivées notables à droite : François Baroin. Le député de l’Aube, qui sera sans doute le futur président de l’influente Association des maires de France (AMF), a récemment affiché son soutien à Nicolas Sarkozy. Il pourrait briguer la présidence du Sénat lors du prochain renouvellement sénatorial de 2017, juste après la présidentielle. Ce renouvellement, qui sera lui aussi fondé sur le résultat des municipales de 2014, devrait être encore plus favorable à la droite.
Dans les rangs de la droite, beaucoup de nouvelles têtes mais aussi un come-back : Alain Joyandet, ancien ministre de Nicolas Sarkozy qui avait démissionné en 2010. Mediapart avait alors révélé qu’il avait utilisé un jet privé facturé par l’État (coût 116 500 euros) pour se rendre en Martinique. Le ministre était aussi mis en cause dans une affaire de permis de construire contesté.
Dès dimanche soir, la bataille pour la présidence du Sénat a commencé. Mardi, une primaire interne à l’UMP désignera le vainqueur des trois candidats en lice : l’outsider Philippe Marini, mais surtout l’ancien premier ministre Jean-Pierre Raffarin ou Gérard Larcher, qui fut président du Sénat de 2008 à 2011. Dès dimanche soir, Larcher, encouragé par le bon score des centristes, a lancé des clins d’œil appuyés à ces derniers. « Celui qui sera désigné devra avoir la confiance de nos amis centristes », a-t-il martelé. Jean-Pierre Raffarin, qui soutient ouvertement le retour de Nicolas Sarkozy, risque d'avoir la tâche plus difficile. Les centristes décideront mardi s’ils présentent ou non un candidat. L’élection du président du Sénat aura lieu mercredi 1er octobre.
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