C’est sa grande rentrée médiatique. Après ses confidences mal maîtrisées au Point, où il parlait de « Tcheka hollandaise » et même de « purification ethnique », comparant sans rougir son sort à celui des Tutsis au Rwanda, Aquilino Morelle, conseiller « démissionné » de l’Élysée, a répondu aux questions du Nouvel Obs et du Monde daté de mercredi. Tout y passe : la rancune, la rancœur, la vexation, les accusations à tout-va, les mensonges. La violence de ses propos dit beaucoup de la faiblesse d’un pouvoir attaqué de toutes parts, au point qu’un ancien conseiller de François Hollande s’estime autorisé à s’en prendre directement au président de la République. Elle témoigne aussi d’un petit monde en vase clos, et profère beaucoup de contrevérités. Revue de détail.
« Parler de conflit d'intérêts n'a aucun sens. »
C’est ce qu’Aquilino Morelle explique au Monde. En réalité, l’ancien conseiller de François Hollande profite de la méconnaissance de la notion de conflit d’intérêts en France pour se dédouaner. La loi, à travers le statut général des fonctionnaires, interdit pourtant de travailler dans le privé sans autorisation. En l’espèce, Aquilino Morelle n’avait pas le droit d’effectuer une mission rémunérée pour un laboratoire privé, Lundbeck, sans demander l’autorisation préalable de son administration, l’Igas (inspection générale des affaires sociales). Il le sait pertinemment puisque, quand Mediapart l’avait interrogé avant la publication de l’enquête, Morelle avait d’abord raconté ne plus retrouver cette autorisation dans ses archives personnelles.
Dans son cas, le cumul d’activités non déclaré est d’autant plus problématique qu’il s’agit d’une société privée évoluant dans le secteur qu’est censé contrôler son corps d'inspection. Car si Morelle n'avait pas pour tâche de contrôler Lundbeck en tant que tel, il a lui-même écrit, au nom de l'intérêt général, des rapports sur l'industrie pharmaceutique, qui pouvaient avoir des conséquences sur Lundbeck. C’est la définition même du conflit d’intérêts. Admettrait-on qu'un fonctionnaire fasse des recommandations sur la grande distribution tout en se faisant rémunérer par Leclerc ou Carrefour ? Et comment Aquilino Morelle peut-il prétendre que son travail à l’Igas ne concernait pas les laboratoires pharmaceutiques alors que son rapport phare portait sur le Mediator et donc Servier ?
Au moment du rapport, il multipliait les déclarations sans ambiguïté sur la nécessité de déclarer d’éventuelles activités annexes, auprès des laboratoires, des responsables du médicament…
S’il n’a pas déclaré ces activités, c'est bien parce qu'il savait que c'était inadmissible. Et s'il n'a pas demandé d'autorisation, c'est bien parce qu'il savait qu'il ne l'obtiendrait pas.
« Le dossier est vide, je n’ai rien à me reprocher. »
Aquilino Morelle veut réduire son rapport à l’industrie pharmaceutique à un seul et unique contrat, avec le laboratoire Lundbeck. Il omet de rappeler que l’enquête de Mediapart, publiée en avril, avait dévoilé ses nombreux travaux et offres de services auprès de l’industrie pharmaceutique. Quand il était salarié d’EuroRSCG, il s’occupait notamment de ce secteur. Puis comme consultant, il a travaillé pour le laboratoire Lilly. Il a créé une entreprise de conseil, EURL Morelle, tout en demandant ensuite à son frère d’en être le gérant afin que lui-même ne soit pas trop visible sur les documents officiels. Il a postulé chez Servier, chez Sanofi, alors même qu’il était à l’Igas.
À l’Élysée, il tente aussi, tant bien que mal, de circonscrire les faits à la venue d’un cireur de chaussures. « Une seule fois », assure-t-il alors que le cireur dit être venu à de nombreuses reprises, et par deux fois, avoir travaillé dans le salon Marigny privatisé. Mais le reste ? Réquisitionner les chauffeurs de la présidence pour les trajets de sa famille ? Demander à ses secrétaires de s’occuper de ses locataires privés ? S’approprier les discours écrits par d’autres ? Aquilino Morelle ne voit visiblement pas le problème.
C’est un complot ourdi par François Hollande
C’est l’arme fatale dégainée par Aquilino Morelle. Du moins, le croit-il. Rien ne vaut l’hypothèse d’un complot fomenté à l’Élysée et ourdi par le président de la République en personne pour donner du sens à ses failles personnelles. Et puis c’est pratique : pas de preuves, pas d’éléments matériels, mais des confidences distillées de-ci de-là dans la presse qui a l’air de s’en réjouir.
Car cela devient malheureusement un rituel, mais Aquilino Morelle est manifestement accompagné par la presse dans sa recherche des sources de Mediapart – de sa part, on peut le comprendre. De la part de confrères et de consœurs, c’est plus étonnant. « Qui l’a balancé ? » écrit par exemple Le Nouvel Obs.
Pour Morelle, pas de doute : « J’ai été victime d’une élimination politique planifiée », dit-il dans l’Obs. « Pour beaucoup “d'amis du président”, j'étais un gêneur », dit-il dans Le Monde. Cinq mois après sa démission forcée, l’anachronisme est confondant : quand Mediapart publie son enquête sur le conseiller du président, Aquilino Morelle est au sommet de son pouvoir. Avec le remaniement, début avril, ses deux amis sont promus : Manuel Valls devient premier ministre et Montebourg ministre de l’économie. Morelle est alors politiquement parfaitement dans la ligne : convaincu sur la politique de l’offre, même s’il défend aussi les ajustements demandés par Arnaud Montebourg, et convaincu sur la demande d’ordre et de sécurité incarnée par Manuel Valls.
À en croire Le Nouvel Obs, Aquilino Morelle est même convaincu que François Hollande a « donné sa bénédiction à Mediapart ». Et l’hebdomadaire de citer « un proche du président, qui souhaite rester anonyme : “Hollande savait, évidemment, que l’article était dans les tuyaux. Il a laissé faire, il cherchait depuis longtemps un moyen d’exfiltrer Aquilino qu’il trouvait ingérable et qui formait avec Montebourg un duo incontrôlable” ». Rien que ça.
Hollande savait-il que Mediapart enquêtait sur un de ses plus proches conseillers ? Évidemment. Nous avons même interrogé officiellement l'Élysée quelques jours avant la parution de l’article. Et Hollande n'a rien fait ? Quelle drôle de question. Comme s’il n’avait qu’à nous dire « arrêtez tout » pour que nous cessions immédiatement notre enquête ! Les révélations de Mediapart sur Jérôme Cahuzac, Jean-Marie Le Guen ou même Faouzi Lamdaoui, autre conseiller de François Hollande à l’Élysée, en sont d’ailleurs la preuve…
Cité par Le Nouvel Obs, Jean-Pierre Mignard, avocat de Mediapart, aurait dit : « Il est probable qu’Edwy ait averti le chef de l’État. Cela ne change rien à ses positions, mais il prend généralement le temps d’informer, de dire. Il a toujours une attitude de tact vis-à-vis de François Hollande. » Soit notre avocat a parlé trop vite, soit ses propos ont été déformés. Quand nous lui demandons s'il a prononcé une telle phrase, il explique : « Je ne me souviens pas avoir dit ça, mais si je l’ai dit, je me suis aventuré à parler d’une affaire sur laquelle je n’ai et n’avais aucune information. » En effet. Les journalistes de Mediapart n’ont pas pour habitude de tenir informé leur avocat de la teneur des sources ni de l’avancée de leurs enquêtes... Sauf bien entendu, dans les dernières heures précédant la publication d'un article sensible, ce qui n'a pas été le cas ici.
C’est un complot ourdi par Servier.
C’est l’autre hypothèse échafaudée par Aquilino Morelle. Probablement parce que si c’est le diable qui lui veut du mal, lui ne peut être qu’un ange. Trois ans après le rapport de l’Igas sur le Mediator, Servier aurait donc soudainement eu l’idée de mener une enquête sur lui, puis aurait transmis des éléments à ses amis de Mediapart (nos articles toujours complaisants, ici, là ou encore là, avec le laboratoire Servier en témoignent !) – des éléments que nous nous serions empressés de publier. Limpide…
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