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BNP Paribas: Baudouin Prot, le dernier fusible

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C’est une nouvelle réplique du séisme provoqué par l’amende record de 8,9 milliards de dollars (6,52 milliards d’euros) imposée en juin par la justice américaine à BNP Paribas. Mardi 23 septembre, le président de la banque, Baudouin Prot, a confirmé son intention de démissionner de ses fonctions. Un conseil d’administration a avalisé vendredi la nomination de Jean Lemierre, conseiller du président, pour le remplacer à partir du 1er décembre.

Baudouin Prot et Michel Pébereau en mai 2011Baudouin Prot et Michel Pébereau en mai 2011 © Reuters

Même si la direction de la banque a tenu à prendre un peu de temps afin d’essayer de dissocier cette décision de la sanction américaine, cette révolution de palais était inscrite dès le jugement de la justice américaine. Dès le 30 juin, au moment où le montant de l’amende est tombé, nous écrivions que Baudouin Prot était la victime expiatoire toute désignée de cette immense condamnation. « Pendant des années, Baudouin Prot a été l’exécutant fidèle de Michel Pébereau. Il pensait lui succéder à son départ. Sa patience a été vaine. Au départ de Michel Pébereau, celui-ci a imposé une dyarchie, en imposant Jean-Laurent Bonnafé comme directeur général. Baudouin Prot a compris qu’il ne serait jamais PDG de BNP Paribas, coincé entre Jean-Laurent Bonnafé, héritier désigné, et Michel Pébereau, qui, malgré des distances, garde toujours un œil sur la banque. Aujourd’hui, il apparaît comme la victime désignée, car il ne sert à rien dans le dispositif de la banque », expliquait alors un bon connaisseur de la banque.

Cette analyse est totalement confirmée aujourd’hui. La banque avait commencé d’ailleurs à préparer le terrain. « Incidemment », des rumeurs avaient alors fuité sur l’état dépressif du président de BNP Paribas, ébranlé par la crise financière et l’affaire américaine. Les actionnaires avaient pu le constater lors de l’assemblée générale de la banque. Baudouin Prot, mal à l’aise, accroché à son discours, bafouillant, y peinait à s’expliquer sur la menace judiciaire qui pesait sur l'établissement. Une menace qui n’avait été révélée qu’en février, au moment de la publication des comptes, et largement sous-estimée : la banque avait alors provisionné 1,1 milliard d’euros pour faire face à la sanction américaine.

Le départ de Baudouin Prot, qui a associé son nom au développement de la banque sur tout le pourtour méditerranéen et en Ukraine notamment – deux expansions qui se révèlent plutôt malheureuses pour la banque aujourd’hui –, mais aussi à la prise de contrôle de Banco del Lavoro, deuxième banque commerciale en Italie, aurait dû marquer la fin de la période de transition après l’ère Pébereau chez BNP Paribas. C’est en tout cas l’espoir que semblait caresser le directeur général, Jean-Laurent Bonnafé. Très impliqué dans la défense de la banque face aux juges américains, il espérait qu’après le départ de Baudouin Prot, il pourrait réunir les deux fonctions et devenir PDG de BNP Paribas, comme cela avait été le cas du temps de Michel Pébereau, jusqu’à ce qu'en 2003, celui-ci dédouble la fonction, pour raisons de santé.

La question a agité les centres de pouvoir de la banque cet été, selon nos informations. Mais il a finalement été décidé de perpétuer cette séparation des pouvoirs et de nommer Jean Lemierre en remplacement de Baudouin Prot. Ancien inspecteur des finances, passé par la direction du Trésor avant de prendre la direction de la Banque européenne de reconstruction et de développement (Berd) pour finir par rejoindre en 2008, à la fin de son mandat, BNP Paribas comme directeur et conseiller du président, Jean Lemierre est très proche de Michel Pébereau, son ombre portée. Les salariés de BNP Paribas n’ont pas mis longtemps à comprendre le sous-titre du maintien de la séparation des pouvoirs dans la banque et le choix du plus proche conseiller du président : même s’il a officiellement abandonné toutes ses fonctions en 2011 pour ne garder qu’un poste d’administrateur au conseil d’administration de BNP Paribas, en coulisses, Michel Pébereau continue d'exercer une influence déterminante sur la conduite de la banque.

Le poids de cette figure tutélaire amène certains observateurs à s’interroger sur la tactique de la banque face à la justice américaine : dans quelle mesure n’a-t-elle pas usé d’expédients dans ses poursuites américaines, quitte à payer une amende plus élevée sanctionnant son mauvais vouloir face aux juges, pour protéger son illustre président ? Connu pour sa volonté de tout superviser, de tout connaître, de tout commander, celui-ci pouvait-il ignorer les pratiques des filiales de la banque aux États-Unis et en Suisse ? Les résultats substantiels apportés à la banque par les activités de négoce et de gaz, où BNP Paribas était numéro un mondial, ne pouvaient pas échapper au regard scrutateur de son président. L’importance de la filiale suisse lui était si connue que, dès la prise de contrôle de Paribas en 1999, Michel Pébereau avait siégé à son conseil. Il y est resté administrateur jusqu’en 2013. Pendant tout ce temps, il n’aurait rien vu ? Il n’aurait même pas été alerté par la procédure judiciaire entamée par la justice américaine dès 2007 ? Il n’aurait pas contrôlé l’application des mesures de contrôle, à la suite des avertissements donnés par les États-Unis ?

Un véritable cordon sanitaire a été installé par la banque autour de Michel Pébereau, tout au long de la procédure judiciaire américaine.

Georges Chodron de Courcel et Jean-Laurent Bonnafé en février 2014.Georges Chodron de Courcel et Jean-Laurent Bonnafé en février 2014. © Reuters

Distillant les informations au compte-gouttes, ce n’est qu’avec retard qu’elle a reconnu les risques encourus face à la justice américaine. Ce n’est que début juin, après les révélations du quotidien suisse Le Temps et de Mediapart, qu’elle a fini par reconnaître, du bout des lèvres, le rôle central de sa filiale suisse dans l’affaire. Toutes les accusations ont été détournées vers les responsables suisses et américains. Georges Chodron de Courcel, directeur général délégué de la banque et président de BNP Paribas Suisse, a opportunément découvert qu’à 64 ans, il avait atteint l’âge de la retraite et a accepté de se sacrifier pour préserver l’essentiel. Pendant tout ce temps, Michel Pébereau s’est fait oublier. Il n’a répondu à aucune question. Il n’est sorti de son silence pendant l’été que pour parler science-fiction !

L’ensemble des responsables politiques et de la haute fonction publique a cautionné, sans discuter, la ligne de défense de la banque : Michel Pébereau, un des parrains du capitalisme français, l’homme qui a écrit les mesures de sauvetage du système bancaire dans le bureau de Christine Lagarde pendant les nuits de crise de septembre 2008, est par nature intouchable. Les responsables français ont donc repris les indignations de la banque sur le montant insensé de l’amende record, ses arguments un peu éculés – ils avaient déjà été agités au temps de la faillite d’Alstom en 2003 – sur les risques systémiques posés au système bancaire, sans se poser la moindre question sur la responsabilité de ses dirigeants. Même si ce soutien sans faille risque d’avoir un coût pour les finances publiques : un tiers des 6,5 milliards d’euros d’amende payés à la justice américaine devraient être déduits de l’impôt sur les sociétés de la banque.

À l’intérieur de la banque, les explications de la direction, qui a promis que les sanctions américaines n’affecteraient ni l’emploi ni ses activités commerciales, ont eu un peu de mal à passer. Une quarantaine de salariés ont été désignés comme les responsables de cette affaire, pour avoir enfreint les ordres donnés par la direction, et détourné les contrôles, afin de perpétuer des pratiques illégales. Lorsque les salariés ont découvert dans la presse que c’était la justice américaine qui exigeait des sanctions et le renvoi d’un certain nombre de responsables, des salariés se sont demandé pourquoi la direction n’avait pas pris les devants. La complaisance dont ils font l’objet intrigue encore. « S’ils sont vraiment les seuls fautifs, pourquoi la direction n’a-t-elle pas porté plainte contre eux ? Cette amende a de telles conséquences pour la banque, qu’il semblerait normal de demander des comptes aux responsables », remarque un connaisseur de la banque.

Le départ de Baudouin Prot va-t-il permettre de tourner la page et de passer à autre chose, comme l’espère la direction ? Il a été, en tout cas, récompensé pour sa fidélité, suivant pas à pas Michel Pébereau, y compris dans l’exercice de ses stock-options. Ces dernières années, les deux dirigeants ont réalisé plusieurs millions de plus-values grâce à la vente de stock-options. En 2013, comme l’indique le rapport annuel de la banque, les deux responsables ont encore vendu des actions. Michel Pébereau a vendu 50 000 actions pour 2,4 millions d’euros. Une personne liée à Baudouin Prot a vendu 209 188 actions pour 9,2 millions d’euros.

Ces cessions sont intervenues en août 2013. À l’époque, la procédure judiciaire américaine n’est pas connue. Les premières indiscrétions sur le dossier, publiées par la presse suisse, datent de novembre 2013. La banque n’en a parlé qu’en février 2014. Mais à cette date, les dirigeants de BNP Paribas pouvaient-ils tout ignorer des poursuites intentées par la justice américaine ? On en revient à la question lancinante de ce dossier : qui savait quoi et quand ?

BOITE NOIRECet article a été modifié à la suite du communiqué de BNP Paribas vendredi soir, confirmant le départ de Baudoin Prot au 1 er décembre et son remplacement par Jean Lemierre

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