Sur les côtés, dans les allées, il y avait des chaises vides. Pour la quatrième conférence de presse de son quinquennat, François Hollande n’a pas fait le plein. À Mediapart, nous étions deux pour couvrir l’événement : sans doute trop pour une conférence de presse sans grand intérêt. François Hollande a certes profité de la présence de nombreux journalistes pour confirmer l’imminence de frappes aériennes françaises en Irak contre l’État islamique (EI) et insister sur la menace terroriste. Mais, sur le plan intérieur, il a donné l’impression d’un président qui a abattu toutes ses cartes et à qui il ne reste plus d’autre choix que d’attendre hypothétiques « résultats ».
C’est un paradoxe pour un président de la République qui se faisait fort au moment de son élection de maîtriser l’agenda et de construire son action dans la durée. « Deux ans et demi pour le redressement, deux ans et demi pour redistribuer », tel était le projet initial de la campagne, rappelé jeudi par François Hollande et qui semble bien loin aujourd’hui. À plusieurs reprises, lors de sa conférence de presse, le président de la République a admis qu’il n’avait plus franchement le contrôle sur ces « résultats qui, j’espère, arriveront avant 2017 ». « Quelquefois, on sert l’avenir plutôt que le présent », veut-il encore croire.
Promettant d’effectuer son mandat jusqu’au bout, François Hollande a également exclu tout référendum. Dans un livre d’entretiens avec Edwy Plenel, Devoirs de vérité (Stock), il expliquait pourtant : « Je ne crois plus à la possibilité de venir au pouvoir sur un programme pour cinq ans dont il n'y aurait rien à changer au cours de la mandature. Je pense qu'il y a forcément un exercice de vérification démocratique au milieu de la législature. (...) Le devoir de vérité, c'est d'être capable de dire : "Nous revenons devant la majorité, peut-être même devant le corps électoral afin de retrouver un rapport de confiance". »
Jeudi, interrogé sur ces propos tenus en 2006, le président a soutenu avoir fait cet exercice de « clarification » avec le remaniement surprise de fin août et le vote de confiance sur le discours de politique générale prononcé par Manuel Valls à l’Assemblée. « J’ai voulu qu’il y ait cette clarification. Elle a été faite. S’il n’y avait pas eu la confiance, alors le peuple aurait été appelé à renouveler l’Assemblée nationale », a-t-il dit.
De temps en temps, le chef de l’État évoque le souvenir du candidat socialiste qu’il fut. Alors qu’il a toujours répugné à le faire depuis son élection, interdisant même à son ancien premier ministre Jean-Marc Ayrault d’en parler, François Hollande a rappelé la situation du pays à son arrivée à l’Élysée — « un État en faillite », a-t-il dit, reprenant l’expression de François Fillon en 2008. Le retour imminent de Nicolas Sarkozy (que François Hollande n’a pas souhaité commenter) y est sans doute pour quelque chose. À deux reprises, le locataire de l’Élysée a également évoqué ce fameux discours du Bourget, dont nombre de ses électeurs lui reprochent de s’être détourné. « Un très bon discours », dit-il, amusé, comme pour jurer qu'il n'a pas trahi ses engagements de campagne.
Mais ses phrases sont parfois alambiquées, voire difficilement compréhensibles. Comme s’il se perdait lui-même dans ses explications. À plusieurs reprises, il a aussi frôlé le lapsus – manquant d’évoquer Saddam Hussein pour parler de Bachar el-Assad, parlant d’Iran au lieu de l’Irak et de Guinée équatoriale à la place de la Guinée-Conakry – même quand il a revêtu les habits de chef de guerre.
Jeudi, il a annoncé qu’à la suite d’un conseil de défense à l’Élysée, il avait donné son accord pour des frappes aériennes françaises en Irak. Après des premiers vols de reconnaissance lundi et jeudi, elles devraient survenir dans « un délai court », a-t-il promis.
En revanche, pas question d’envoyer des troupes au sol et de frapper la Syrie voisine où prospèrent et se réfugient les terroristes de l’État islamique (EI). « Nous sommes très attentifs à des aspects de légalité internationale », a justifié Hollande, avant de rappeler que si les autorités irakiennes avaient sollicité l’aide de la communauté internationale, ce n’était pas le cas de Bachar el-Assad. Le président français a également rejeté l’hypothèse, un temps soulevée par les milieux de la défense, d’une intervention menée par la France en Libye : « C’est à la communauté internationale de régler cette question. »
Avec ce nouvel engagement militaire français, François Hollande confirme son statut de président le plus interventionniste de la Ve République en si peu de temps, quitte à agiter la menace terroriste, extérieure et intérieure, avec des accents qui rappellent ceux de George W. Bush en son temps (lire notre analyse sur ce président qui aime faire la guerre).
Toute la première partie du propos liminaire du président de la République a d’ailleurs consisté à décrire un monde, et donc la France, assailli de menaces diverses : les terroristes de l’EI, liés systématiquement au projet de loi sur le terrorisme, Ebola, Gaza, la Libye, le Nigeria, l’Ukraine… « Mon premier devoir est d’assurer la sécurité », a-t-il dit en préambule, rappelant les accents de son premier ministre Manuel Valls.
Pour le reste, le chef de l’État a rappelé son cap, fondé sur une politique de l’offre et la « compétitivité » des entreprises. À l’écouter, c’est d’ailleurs ce qu’il avait promis à ses électeurs : « J’ai fait des choix, je les ai revendiqués et ils sont cohérents avec ce que j’ai dit pendant la campagne. »
« Le soutien aux entreprises est un choix irrévocable », a-t-il affirmé en direction de sa majorité, dont une partie réclame des contreparties. Lui préfère parler d’« engagements mutuels », renvoyés à la négociation en cours dans les branches professionnelles. Les 50 milliards d’économie d’ici 2017 ne sont pas remis en cause. Mais il n’y en aura pas davantage car « ce serait casser la croissance ».
Il n’est toujours pas question de faire bouger le cadre européen. Tout au plus François Hollande, dont l’objectif premier est de faire accepter par Bruxelles un report du retour à 3 % de déficits en 2017, entend-il « utiliser toutes les flexibilités prévues par les traités pour les adapter aux objectifs de croissance et d’emploi ». Le chef de l’État l’admet : « Les alternatives? Il y en a toujours. » Mais c’est pour mieux réaffirmer la pertinence de ses choix, lui qui ne veut ni « sortir de la zone euro » (il cible le programme du FN), ni « casser le modèle social » (celui de l’UMP), ni « fuir dans les déficits et la dette » (la gauche du PS, EELV, le Front de gauche, selon lui). « Être rattrapé par les marchés financiers, très peu pour moi ! », a-t-il lancé.
Hollande a également défendu l’élargissement du service civique (« je demande un grand engagement pour l’engagement »), et l’accélération promise du plan numérique dans les établissements scolaires.
Interrogé sur l’affaire Thévenoud par plusieurs journalistes, François Hollande s’est félicité du travail de la Haute Autorité pour la transparence (HAT), créée après l’affaire Cahuzac. Il s'est dit prêt à lui donner plus de moyens. Et a affirmé, comme Manuel Valls, que le député qui ne déclarait pas ses impôts n’est « pas digne de rester député ».
« Mon devoir est d’agir pour que les réformes soient menées », a surtout répété François Hollande, comme un mantra. Le discours, de ton et d’apparence optimistes, est toutefois ponctué d’images sinistres, comme le « tocsin » du résultat des européennes ou le risque d’un « enlisement de l’économie européenne dans la stagnation ». « Nous ne répondons pas assez aux angoisses, aux inquiétudes de ceux qui vivent dans les quartiers populaires », a aussi dit François Hollande. Comme un aveu.
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