Cette fois, les députés UMP ont voté en faveur de la transparence. Pour l'occasion, ils ont ravalé leurs diatribes contre « le voyeurisme » et « Big brother ». Mercredi 17 septembre, l'Assemblée nationale a pu adopter à l'unanimité une réforme qui oblige tous les groupes politiques du Palais-Bourbon (PS, UMP, UDI, etc.) à faire la transparence sur leurs comptes et l'usage qu'ils font de l'argent public (10 millions d'euros de subventions de fonctionnement distribuées chaque année par l'Assemblée). Un progrès indéniable.
Il faut dire que les députés UMP ont réalisé cet été qu'ils ignoraient tout de leur propre comptabilité. Ils ont découvert en lisant Mediapart que leur président, Christian Jacob, ponctionnait les réserves du groupe dans leur dos pour renflouer le siège du parti et d'anciens élus « en difficulté » (voir nos révélations sur le prêt caché de 3 millions d'euros). Ils ont appris, en feuilletant Le Canard enchaîné, que leur groupe avait acheté des prestations en pagaille à la société Bygmalion. En fait, les élus se sont tout bonnement aperçus que leur trésorerie avait fondu de six millions d'euros entre 2007 et 2014, sans qu'ils n'aient jamais désigné de trésorier.
C'est en réaction à ces dérives que Claude Bartolone, président de l'Assemblée nationale, a déposé la résolution votée mercredi, co-signée par les présidents des six groupes existants, pour modifier le règlement du Palais-Bourbon. En réaction aussi au scandale qui ébranle le groupe UMP du Sénat, sous le coup d'une information judiciaire pour « détournements de fonds publics », « abus de confiance » et « blanchiment » (voir nos révélations).
« Moraliser le fonctionnement de notre démocratie est une tâche qu’il faut sans cesse remettre sur le métier », a lancé Pascal Popelin (PS), un an après l'adoption des « lois Cahuzac » et une semaine après l'affaire Thévenoud, déplorant « une interminable chronique » et un « climat irrespirable ». « Aujourd'hui la défiance est générale, on ne peut plus s'en abstraire. »
Pour l'UMP, Christian Jacob ne s'est même pas déplacé, laissant son collègue Jean-Frédéric Poisson défendre le texte, mollement. « Il est sain de rappeler à l’occasion de ce débat que les élus font aussi des efforts, a-t-il estimé. Que de plus en plus fréquemment, nous faisons en sorte que ceux qui voudraient mal se comporter soient contenus. » Dans le style, difficile d'en faire moins.
En coulisse, certains élus espèrent encore que le texte sera censuré par le Conseil constitutionnel au nom de l'article 4 de la loi fondamentale, qui prévoit que les groupes « exercent librement leurs activités ».
Jusqu'ici dépourvus de réel statut, bien qu'ils salarient des dizaines de collaborateurs, produisent des amendements et achètent des prestations de communication, les groupes devront désormais se muer en véritables associations – comme c'est déjà le cas pour le PS depuis 1988 et les écologistes depuis 2012.
Le texte adopté, qui tient en une demi-phrase, a été complété par une décision du bureau de l'Assemblée qui précise les nouvelles obligations à respecter : les fonds alloués par l'Assemblée ne devront plus servir qu'au travail parlementaire et à la rémunération de collaborateurs ; les comptes devront être certifiés par un commissaire aux comptes, présentés en assemblée générale à l'ensemble du groupe, puis publiés dans une version synthétique sur le site de l'Assemblée (ce que ni le PS ni EELV n'ont encore fait).
Pour le centriste Charles de Courson, il était temps. « J'ai été trésorier de mon groupe, a-t-il confié sur France Culture. Vous recevez une dotation mensuelle – qui est l'argent des Français – et vous en faites ce que vous voulez. J'aurais pu détourner une partie de l'argent du groupe et personne n'y aurait rien vu. C'est très simple. Personne ne contrôle quoi que ce soit. »
À la tribune, l'écologiste Éric Alauzet, satisfait, a salué les révélations de la presse dont « le travail d'investigation permet d'améliorer nos règles », mais regretté « que nous soyons réactifs bien plus que proactifs. En adoptant cette attitude défensive sur les questions de transparence, nous agissons – ou plutôt nous réagissons – lorsque le mal est déjà fait. Le mal éthique qui permet aux populismes de prospérer sur le thème du "tous pourris"». Dans une référence à l'affaire Bygmalion et à l'UMP, l'élu a rappelé que « la certification des comptes n'était pas la panacée » : « On a vu des comptes de partis politiques certifiés (par ses commissaires aux comptes) alors qu'ils étaient insincères... »
En pointe sur le sujet, le centriste Charles de Courson souhaiterait que les budgets des groupes soient non seulement publiés mais soumis à un pointilleux contrôle extérieur, « celui de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique ou de la Cour des comptes ». À défaut, aux vérifications plus superficielles de la Commission nationale des financements politiques (CNCCFP), déjà en charge des comptes des partis.
Lors de l'examen de la réforme en commission, Nathalie Kosciusko-Morizet avait d'ailleurs joué les ingénues, soufflant à ses collègues : « Je me demande, par curiosité, si le statut de parti politique, soumis à des règles plus strictes que celui d’association, a été envisagé (pour les groupes) et, dans l’affirmative, pourquoi il a été écarté... » En guise de réponse, le rapporteur du texte, le socialiste Bernard Roman, a rappelé mercredi le « principe constitutionnel de liberté des groupes politiques ». Mais « le plus beau contrôle externe qui puisse exister, c'est celui (des citoyens) », a-t-il voulu rassurer.
Pour souligner l'ampleur de la révolution à l'œuvre, Bernard Roman ne s'est pas privé de relever que le Sénat, de son côté, venait certes d'imposer à ses groupes de faire certifier leurs comptes, mais sans publication à la clef ! Au palais du Luxembourg, la transparence s'arrêtera ainsi à la porte des dignitaires : les comptes des groupes seront transmis au président du Sénat et aux trois questeurs (ces élus désignés par leurs pairs pour gérer les finances de la maison), puis consultables uniquement par les autres présidents de groupe. Un bon moyen de se tenir les uns les autres. « C'est une différence notable qui montre que le souci de transparence est plus exigeant à l’Assemblée nationale », a glissé Bernard Roman.
Même au Palais-Bourbon, quelques détails restent en suspens. La question des réserves, en particulier, n'est pas tranchée : à la fin d'une législature, qu'adviendra-t-il des fonds non utilisés ? Au-delà d'une certaine limite (un petit matelas nécessaire pour gérer une débâcle électorale et les licenciements de collaborateurs qui s'ensuivent), les groupes devront-ils reverser leur "cagnotte" dans les caisses de l'Assemblée ? Ce serait une petit révolution. Mais « peut-on pénaliser les bons gestionnaires ? » a lancé dès mercredi Jean-Frédéric Poisson.
En commission, Jean-Luc Warsmann (UMP) a lancé cet avertissement : « Si nous ne traitons pas ce problème, on ne tardera pas à voir surgir une polémique sur la présence de millions d’euros sur les comptes de certains groupes parlementaires... »
Combien y a-t-il aujourd'hui dans les caisses du groupe PS, d'ailleurs ? Sollicité, celui-ci nous a conseillé d'attendre la publication.
Par ailleurs, enfin dotés d'une personnalité morale, les groupes auront non seulement le droit de se pourvoir en justice (Christian Jacob y réfléchit dans le différend qui l'oppose à Bastien Millot, l'un des fondateurs de Bygmalion), mais aussi de recevoir des dons. Une nouveauté qui pourrait aiguiser certains appétits.
Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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