En apparence, l’audience de la cour d’appel de Versailles, chargée de statuer, ce 17 septembre, sur la demande d’expertise dans le dossier de Jérôme Kerviel face à la Société générale, a ressemblé à de si nombreuses séances judiciaires engluées dans des débats de procédure. On y parla de retards, de respect du contradictoire, avant de demander le renvoi à une audition ultérieure. La demande a été acceptée par la cour d’appel, qui a fixé l’examen de la demande d’expertise indépendante des pertes de la Société générale, présentée par Jérôme Kerviel, au 13 novembre. « Mais c’est la dernière fois », a prévenu le président de la 9e chambre, Olivier Larmanjat, soulignant qu’il n’accepterait pas d’être pris dans des manœuvres dilatoires pour éviter d’en venir au fond.
Les deux parties demandaient conjointement le renvoi de l’audience, faute de temps et des retards pris. Les avocats de la Société générale n’avaient remis leurs conclusions sur la demande d’expertise que le 8 septembre, alors qu’il avait été prévu lors d’une première audience que celles-ci devaient être présentées fin juillet. « Le mois d’août, la complexité du dossier… » expliqua, en guise d’excuse, Me Jean Reinhart, avocat de la Société générale. La réponse des avocats de Jérôme Kerviel aux conclusions de la défense de la banque n’est arrivée que le 16 septembre. Bref, à écouter les uns et les autres, l’enjeu était trop immense – 4,9 milliards d’euros – et les moyens soulevés étaient trop importants pour plaider le dossier tout de suite. L’avocat de la Société générale laissa entendre qu’il avait besoin de consulter son client et de réorganiser sa défense. L’affaire ne dure que depuis sept ans…
En dépit de ce nouveau renvoi, les pièces du dossier semblent cependant commencer à bouger. Pour la première fois devant la justice, la thèse, largement répandue, d’une Société générale victime malheureuse d’un trader « fou », Jérôme Kerviel, et ne portant aucune responsabilité dans l’affaire, est battue en brèche. C’est l’avocat général, Jean-Marie d’Huy, ancien juge d’instruction au pôle financier de Paris, qui avait tenu à intervenir personnellement, qui l’a ouverte.
« L’arrêt de la Cour de cassation [du 19 mars, qui a cassé toute la partie civile de l’affaire et les dommages et intérêts réclamés à Jérôme Kerviel. (Voir le sursaut de la justice) – Ndlr] constitue un revirement dans la jurisprudence. La Cour de cassation nous indique un chemin, insista-t-il en préambule. La Société générale n’ignore pas qu’il va falloir tenir compte des graves défaillances, des nombreux manquements, des absences de contrôle qui ont été relevés. Si ces fautes ne sont pas de nature pénale, elles devront malgré tout être regardées et examinées pour savoir dans quelle mesure elles ont impacté, diminué le droit à réparation de la Société générale », a-t-il prévenu. Tout un pan de la défense de la banque se retrouve d’ores et déjà à terre. Il va lui être difficile de plaider, comme au cours des deux premiers procès l’irresponsabilité totale dans ce qui est arrivé.
L’enjeu d’une expertise indépendante devient plus crucial que jamais. Rappelant que Jérôme Kerviel a été condamné à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts sans aucune expertise indépendante, son avocat, David Koubbi, a insisté sur son importance : « Il nous faut savoir quelle est la part de responsabilité de la Société générale dans les dommages qu’elle dit avoir subis. Nous devons connaître comment ont été constituées ces pertes et pour cela, savoir comment ont été débouclées les positions prises par Jérôme Kerviel, notamment. Ce sont des questions techniques, difficiles. Mais il y a une nécessité absolue de faire la lumière sur toutes ces questions. »
En face, les avocats de la Société générale campèrent sur leurs positions. Même si leur défense a sérieusement été ébranlée par l’arrêt de la Cour de cassation, ils refusent toute expertise indépendante. « Mais pourquoi devrait-il y avoir de nouvelles expertises ? Il y en a eu dès le début du dossier, par les autorités les plus qualifiées. La commission bancaire a pointé tous les manquements et les défaillances de la banque et l’a d’ailleurs condamnée à une amende. Les commissaires aux comptes ont examiné et validé les pertes de la banque. L’Inspection générale des finances, à la demande de Christine Lagarde, a contrôlé la perte fiscale de la Société générale. Que faut-il de plus ? » expliquait Jean Veil, avocat de la banque, à la sortie de l’audience. Devant la cour, son collègue, Jean Reinhard, avait été jusqu’à invoquer le secret bancaire pour soutenir l’impossibilité de mener une expertise.
Cela ressemble à l’argument de la dernière chance. Tiendra-t-il face à la cour d’appel de Versailles ? Celle-ci ne va-t-elle pas finir par se demander ce que la Société générale redoute pour s'opposer de toutes ses forces à tout examen extérieur ?
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