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Notaires : une manifestation organisée de main de maître

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La droite prend ses aises dans la rue. Une droite décomplexée – au point de sembler ivre de l'être. Rien à voir avec les ligues de 1934, le béret vissé sur le crâne. Une droite enjouée, rouée, faisant flèche de tout bois, exhibant sa modernité pour défendre ses intérêts, dans le sillage de la manif pour tous opposée au mariage homosexuel. Place de la République à Paris, mercredi 17 septembre, les notaires et leurs employés s'étaient transportés en masse, rompant avec leur discrétion légendaire et professionnelle, au point de s'exciter sans mesure d'une telle transgression : « Y'a de l'extasy partout ! Putain, on se défonce la tronche ! » braille un quadragénaire, dont les seules références, en matière de rassemblement public, semblent les boîtes de nuit.

Les vêtements, les mines, les coiffures, les lunettes et les sacs ou sacoches désignent, sans la moindre ambiguïté, deux mondes : les patrons et les petites mains, ensemble réunis pour défendre leur intérêt, sinon commun, du moins corporatiste.

Mediapart a reçu quelque témoignage de clercs sommés de faire acte de présence dans les cortèges, à Paris ou en province ; menacés, même, de licenciement par des notaires qui ne badinent pas avec l'obligation de battre le pavé : « Même si le droit du travail n'est pas leur partie, comment peuvent-ils à ce point bafouer le droit au travail ? » s'interroge au téléphone une abonnée de Mediapart, qui n'a pas cédé à la pression : « Sans approuver entièrement le projet concocté par Montebourg, je suis pour la libre installation. Les charges se vendent à des prix exorbitants, du coup de jeunes diplômés, sans moyens, deviennent salariés aux côtés de nantis qui jouent aujourd'hui les martyrs ! » ajoute-t-elle.

Bien entendu, les bureaucrates interrogé(e)s sur place affirment en chœur, au côté de leur employeur, qu'ils sont là de leur plein gré : « On est une équipe, tous dans le même bateau à faire avancer », dit l'une. Un notaire nantais, en écho : « Mes équipes sont ici. Elles ont vite compris le message. Si nous avons des soucis, les collaborateurs, par ricochet, en ont aussi. »

Des militants de la CGT confirment de telles pressions et justifient en partie leur présence par la nécessité de protéger symboliquement un personnel qui se sentirait sinon entièrement sous la coupe du patronat. L'union contre le legs d'Arnaud Montebourg, cette menace de réformer trente-sept professions réglementés, dont le notariat, qui revendique 49 000 salariés et fait planer, par la voix de Jean Tarrade, président du CSN (Conseil supérieur du notariat), des licenciements qui réduiraient Florange à un épiphénomène si un tel projet de loi voyait le jour. Une syndicaliste de la CGT sent bien l'étrangeté de la situation (« vous auriez vu lundi avec les huissiers, c'était du même acabit, sauf qu'en plus ils étaient en robe ! ») : pour la première fois elle assiste à une manifestation sans que la gauche ne soit maître de la situation, mais simple puissance invitée d'une droite tenant le haut du pavé...

Le grand art des organisateurs consiste à jouer sur tous les tableaux. Les notaires, à les entendre, seraient à la fois issus d'une France archaïque, rassurante, gardant les secrets de famille, et facteur de modernité : signature électronique, modèle performant s'exportant jusqu'en Chine. Les notaires s'inscriraient dans une lutte de civilisation, celle du droit romain contre la common law anglo-américaine. Ils garantiraient, de par leur haut savoir, la « sécurité juridique », dans la mesure où leurs actes, touchant à la perfection, ne sont jamais contestés en justice. Contrairement aux États-Unis d'Amérique, où le moindre avocat pense pouvoir faire l'affaire, d'où la contestation d'un acte sur trois, selon les statistiques excipées par le Conseil supérieur du notariat bien français.

Jean Tarrade, son président, devant une foule qui boit du petit lait (20 000 manifestants sont revendiqués, occupant une bonne moitié de la place), se veut incarnation de la République. À l'image de Marianne ornant les sceaux sur chaque acte. Mais sans la gabegie propre aux fonctionnaires (huée générale en plein air)... M. Tarrade, dans son discours, semble acter la disparition de François Hollande. Il ne s'adresse qu'au premier ministre : « Puisque vous prétendez aimer l'entreprise, élargissez votre soutien auprès des entreprises notariales... »

Les notaires parviennent à faire de Montebourg un suppôt de la dérégulation sauvage américaine, contre laquelle leur corporation se poserait en digue. À la tribune, un ponte, grisé, expectore des slogans excessivement touchants : « Après le hamburger, le lawyer ? Après la malbouffe, le maldroit ? »

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les députés socialistes votent la confiance à Valls


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