« Mes excuses les plus plates vont à l'égard des salariés que j'ai pu blesser, que j'ai blessés à travers ces propos, et je ne m'excuserai jamais assez. » Après sa sortie remarquée sur les salariées « illettrées » de l'abattoir breton de Gad, Emmanuel Macron s'est excusé ce mercredi, au cours de la séance de questions au gouvernement à l'Assemblée nationale. « Mon regret, c'est qu'aujourd'hui vous soyez aussi révoltée par les mots, mais pas par les réalités », a lancé le nouveau ministre de l'économie à la députée UMP Laure de La Raudière.
Celle-ci l'interrogeait sur ses propos tenus le matin même. Sur Europe 1, le nouveau ministre de l'économie, ancien banquier d'affaires et tenant d'une ligne libérale assumée, a parlé en ces termes de certains salariés de cet abattoir, fermé l'an dernier :
« Il y a dans cette société une majorité de femmes. Il y en a qui sont, pour beaucoup, illettrées. Pour beaucoup, on leur explique, vous n'avez plus d'avenir à Gad ou aux alentours. Allez travailler à 50 ou 60 kilomètres. Ces gens-là n'ont pas le permis de conduire ! On va leur dire quoi ? Il faut 1 500 euros, il faut attendre un an ? Voilà, ça, ce sont des réformes du quotidien. » ( Vidéo: à partir de 8')
Ces propos ont suscité de nombreuses réactions indignées sur les réseaux sociaux. Dont beaucoup mettent en parallèle les propos d'Emmanuel Macron avec les « sans-dents », cette expression qu'utiliserait, selon Valérie Trierweiler, le chef de l'État pour désigner les pauvres.
Chantal Guittet, députée socialiste du Finistère, a appris les déclarations d'Emmanuel Macron alors qu'elle est en déplacement en Équateur, dans le cadre de ses activités parlementaires. L'abattoir Gad de Lampaul-Guimiliau se situe dans sa circonscription. Elle connaît bien les salariés, dont seuls 10 % ont retrouvé un CDI depuis la fermeture de l'usine :
« Je suis très en colère ! Ça m'énerve, dit-elle à Mediapart. C'est inacceptable ! C'est très violent, comme si on leur disait "vous avez une case de moins". À ce niveau-là, on ne peut pas faire ce genre de maladresse. Un ministre ne peut pas dire ça, qu'il soit de gauche ou de droite. On réfléchit avant de parler ! Que leur apprend-on dans les grandes écoles ? À force d'avoir des gens qui ont toujours été dans des hautes sphères et n'ont jamais côtoyé la majorité des Français, j'ai l'impression qu'ils sont coupés du monde ! On a déjà eu Rebsamen qui a stigmatisé les chômeurs en voulant les sanctionner. J'ai été prof, je vais lui apprendre, moi, à parler aux gens ! »
« Je les connais bien les salariés de Gad, reprend-elle. Ce sont des gens qui veulent travailler. Ils aiment le travail, ils font tout pour se former. Manuel Valls dit au Medef qu'il aime l'entreprise, mais les salariés de Gad, eux, ils trouvent que les entreprises ne les aiment pas ! Qu'on arrête de les blesser, alors qu'ils sont en train de sortir la tête de l'eau difficilement ! Qu'on engueule les chefs d'entreprise qui ne les ont pas assez formés tout au long de leur carrière ! »
« Finalement, ils vont me faire regretter d'avoir voté la confiance ! » poursuit Guittet, proche des "frondeurs" PS, qui a voté "oui" mardi mais après « avoir vraiment hésité longtemps ».
Certes, certains salariés de Gad sont très peu formés. Pas très étonnant d'ailleurs pour des ouvriers cantonnés à des tâches répétitives, qui n'ont connu bien souvent qu'un seul employeur au cours de leur vie, et n'ont reçu aucune formation complémentaire au cours de leur parcours professionnel. Il y a quelques mois, le ministre de l'emploi avait lui-même déploré ces problèmes de formation – en utilisant alors le même terme d'« illettrés », ce qui était passé inaperçu. Mais ils sont loin d'être la majorité. « Ce que dit Emmanuel Macron est faux car c'est une minorité. Et de toute façon, ce n'est pas une tare, ce n'est pas de leur faute », assure Chantal Guittet.
À l'Assemblée, les propos d'Emmanuel Macron passent mal auprès d'une majorité exaspérée, qui a certes voté la confiance mardi mais reste très dubitative sur la nouvelle orientation du gouvernement, très clairement libérale et pro-entreprises. Le ton est même monté à l'entrée de l'hémicycle entre le ministre et le député socialiste de l'Ardèche Olivier Dussopt, proche de Martine Aubry. « Je lui ai dit combien ça m'avait mis en colère, que ses mots plus que maladroits sont une insulte faite à toutes ces femmes », confirme Dussopt. Le ton est si vite monté qu'Henri Emmanuelli, figure de l'aile gauche a même dû séparer les deux hommes...
« Quand Macron parle de "ces gens-là". On dirait la chanson de Brel ... », se désole un autre élu PS :
En Bretagne, berceau de la contestation des Bonnets rouges dont l'abattoir Gad était un des foyers, les propos du ministre suscitent en tout cas des réactions outrées. « [Des salariées illettrées], il y en avait, faut pas le cacher, on était une population où la formation était quand même assez succincte. Mais ils n'étaient pas nombreux. Si on trouve pas de boulot aujourd'hui, c'est certainement pas à cause de l'illettrisme », a expliqué Olivier Le Bras, ancien délégué FO de l'abattoir.
Déléguée CFDT, Annick Le Guével, dit être « restée sans voix ! Je n’accepte pas ces mots. C’est une insulte pour les salariés d’autant plus que les femmes ne représentent que 40 % de nos effectifs ». La syndicaliste réagit également avec humour : « On l’invite à venir voir notre parking pour constater qu’il n’y a pas que des voiturettes ! Il y a beaucoup de voitures. On est prêt à le recevoir. Je peux même lui écrire une lettre pour lui prouver que je peux écrire sans fautes. »
L'abattoir Gad de Lampaul a fermé l'an dernier. Près de 900 personnes ont alors perdu leur travail. Le 11 septembre, l'autre abattoir de l'entreprise agro-alimentaire, qui emploie 950 personnes et pourrait être repris par le groupe Intermarché, a été placé en liquidation judiciaire avec poursuite d'activité par le tribunal de commerce de Rennes. La durée de poursuite d'activité a été fixée à trois mois.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les députés socialistes votent la confiance à Valls