Le vendredi après-midi pour les écoliers marseillais et leurs parents, c’est manifestation. La promesse de la Ville de mettre en place des garderies dès ce 12 septembre 2014, en attendant de vraies activités périscolaires, a tourné court suite à la grève des agents des écoles et des animateurs, pas disposés à servir de bouche-trous dans n’importe quelles conditions. À l’appel d’une intersyndicale regroupant enseignants, parents d’élèves et personnels territoriaux (à l'exception de FO), environ 500 adultes et 200 enfants ont donc à nouveau manifesté vendredi contre l’« improvisation » et « le grand n’importe quoi » de la gestion de la réforme des rythmes scolaires par la municipalité UMP.
« Gaudin irresponsable, nos enfants ne sont pas jetables », ont crié les parents d’élèves, qui ont gardé en travers de la gorge le « Occupez-vous aussi de vos enfants ! » lancé à la rentrée scolaire par un Jean-Claude Gaudin chahuté. Moins spontané mais tout aussi créatif que vendredi dernier, le rassemblement a vu fleurir de nombreux slogans malicieux. Pendant que leur progéniture barbouillait consciencieusement de craie et de peinture le parvis de l’hôtel de ville, des parents en colère invitaient à remettre « Papi Gaudin au turbin » ou lui assignaient un zéro de conduite.
Aux premières loges, l’opposition de gauche, réduite à la portion congrue en mars 2014, boit du petit lait. « Jean-Claude Gaudin a laissé pourrir la situation en espérant, à tort, que les parents se retourneraient contre le gouvernement », remarque Stéphane Mari, président du groupe PS au conseil municipal. Quant à Patrick Mennucci, candidat malheureux à la mairie, il rappelle ses prises de position pendant la campagne des municipales : « Le système du vendredi après-midi ne peut conduire qu’à de la garderie, car il est impossible de recruter assez d’intervenants qualifiés pour organiser du périscolaire de 13h30 à 16 heures dans les 455 écoles de Marseille en même temps. » « À défaut de respecter le décret Hamon qui dit que les activités doivent avoir une base pédagogique, la Ville risque de ne pas pouvoir les financer par le fonds d’amorçage », pointe également le député PS.
Du côté de la mairie, le bricolage continue. Le 9 septembre 2014, l’adjointe à l’éducation Danielle Casanova a, dans un courrier aux écoles, désigné les agents municipaux des écoles et le monde associatif pour assurer les garderies promises. Le tout sans convention d’occupation des locaux. Mais les cantinières, dites les « tatas », et les animateurs, souvent des contrats précaires, refusent de s’improviser gardes d'enfants. « Ce n’est pas dans notre statut et on ne nous donne aucune garantie », s’insurge Suzanne Markarian, de la FSU des personnels des écoles. Les agents municipaux craignent qu'en cas de problème, la mairie se retourne contre eux. « La municipalité n’a rien préparé et maintenant ils basculent sur des systèmes délirants en terme de sécurité, en faisant appel aux associations de parents d’élèves pour garder les enfants », s’émeut Sébastien Fournier, du Snuipp-FSU. Contrairement à ses engagements, la Ville recrute des animateurs sans le Bafa (brevet d'aptitude aux fonctions d'animateur) pour assurer les activités périscolaires, en se contentant d'une formation express de quatre jours.
Résultat, dans plus de la moitié des écoles vendredi, les tatas et les animateurs se sont mis en grève, obligeant les parents à venir chercher leur enfant dès 11h30. Selon la ville, seules 175 écoles sur 445 ont « pu être ouvertes, avec cantine ou pique-nique et garderie dans l'après-midi, soit 40 % des écoles marseillaises ».
Dans son communiqué, l’intersyndicale s’inquiète de « la remise en cause de fait du travail des femmes parce que, le plus souvent, ce sont elles qui gèrent les temps familiaux ». Dans l’école du 13e arrondissement où sont scolarisés ses enfants, l’élue municipale PS Florence Masse a constaté que les solidarités familiales jouaient, « beaucoup de gens n’ayant pas de travail ». Mais elle a aussi vu des « mamans en pleurs » qui « ont dû demander des 80 % à leur patron ». Djamila, employée à la sécurité sociale, a de son côté puisé dans ses RTT et congés jusqu’aux vacances de la Toussaint. Et après ? « Je ne sais pas si mon employeur va accepter, car je ne suis pas la seule, je devrais me mettre en arrêt-maladie », soupire la jeune femme de 36 ans.
Ses deux fils sont scolarisés dans le 3e arrondissement, un des quartiers les plus pauvres de France où certains écoliers n’ont pu trouver de place à la rentrée, faute de postes d’enseignants et d’écoles en nombre suffisant. Hinda, 45 ans, habite le même quartier. « On parle d’éducation nationale. Pourquoi sous prétexte que mes enfants sont à Marseille, n’ont-ils rien ? demande t-elle. Nous ne voulons pas d’une école au rabais où nos enfants vont faire du coloriage avec des animateurs, pendant que dans d’autres villes ils font du cheval ou du tennis. »
À Marseille, la colère des parents s’ancre dans un malaise bien plus ancien. Le collectif DZ, « Des aides pour les écoles marseillaises », qui regroupe parents d'élèves, enseignants et fonctionnaires territoriaux des écoles, tente d’ailleurs depuis plusieurs mois d’alerter sur l’état catastrophique du système scolaire marseillais. Vétusté des locaux, taux d’encadrement très bas – « un agent municipal pour 50 enfants à la cantine » –, absence d’infrastructures sportives, leurs demandes sont basiques. « Nous savions que nous courrions à la catastrophe avec la réforme des rythmes scolaires, car elle vient s’empiler sur un terrain déjà fragilisé », souligne Lise Massal, mère de deux écoliers et animatrice du collectif DZ.
Dans la bouche des parents et des enseignants, c’est l’exemple du manque criant de piscines qui revient le plus souvent. Alors que tous les écoliers français sont censés bénéficier de cours de natation en CE1, 55 % des petits Marseillais ne connaissent pas les gestes du « savoir nager » à l’entrée en sixième, un chiffre qui monte à 90 % dans certaines cités selon Le Monde. « Il a fallu que nous nous battions pour que nos enfants aient des créneaux à la piscine Saint-Charles », se souvient avec rage Hinda.
Ils sont également plusieurs à mettre en parallèle les 267 millions d'euros de la rénovation du stade Vélodrome. « Le fond de l’affaire est qu’il n’y a aucune politique scolaire sérieuse depuis vingt ans : certaines écoles n'ont même pas de soutien scolaire, tout repose sur le volontariat », analyse Sébastien Fournier. Habitant au Haut-Verduron, un îlot résidentiel plutôt privilégié du 15e arrondissement, Cathy voit elle aussi dans cette déroute « l’aboutissement d’une politique municipale exécrable pour la jeunesse ». Cette professeur de physique, partie à Paris, avait choisi « par conviction » de revenir dans sa ville d’origine enseigner à Saint-Exupéry, le grand lycée des quartiers nord. Mais elle a « de plus en plus envie de repartir » pour élever ses deux enfants ailleurs.
Dans les 6e et 8e arrondissements plus aisés et traditionnellement acquis à Jean-Claude Gaudin, plusieurs écoles ont convergé vendredi midi vers Bagatelle, la mairie de secteur, pour y pique-niquer. Ils ont été reçus par le maire UMP Yves Moraine. « Les écoles les plus mobilisées sont celles pour lesquelles des solutions seront trouvées, en pourvoyant en priorité les secteurs bien fournis en électeurs de Gaudin », prédit Pedro du Mouvement parents d'élèves du 13 de ces quartiers. De quoi creuser encore plus les inégalités face à l’école, dans une ville où 60 % des Marseillais de moins de 25 ans n’ont pas de diplôme (25,9 %) ou un bas niveau de formation (35 %). La part des jeunes non diplômés grimpe même à 40 % dans certains quartiers populaires (3e, 14e et 15e arrondissements).
Plusieurs parents d’élèves soulignent la difficulté de mobiliser dans les quartiers populaires du nord et du centre-ville, où les solidarités familiales ont souvent déjà pris le relais. « Dans le primaire, on voit aussi beaucoup d’enfants qui rentrent à pied chez eux tout seuls et vont rester livrés à eux-mêmes tous les mercredis et vendredis après-midi », souligne Sophie, 40 ans, institutrice dans une école du 14e arrondissement. Dans le 13e arrondissement, rapporte de son côté l’élue PS Florence Masse, certains parents n’ont même pas amené leurs enfants ce vendredi matin en raison de la grève des cantines. « Marseille a laissé passer une chance magnifique pour ses quartiers qui ont le plus besoin de l’école et où les enfants auraient pu découvrir des activités grâce aux nouveaux rythmes scolaires », regrette-t-elle.
La municipalité Gaudin, qui a refusé de recevoir une délégation de parents d’élèves, semble pour sa part parier sur l’essoufflement de la mobilisation. « Les élus ont tout le temps devant eux, les parents non », résume, amer, Pedro.
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