Chargée d’un audit par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve après la découverte le 31 juillet 2014 de la disparition de 52,6 kilogrammes de cocaïne au siège de la police judiciaire (PJ) parisienne, la police des polices a dédouané la brigade des stupéfiants. Marie-France Monéger, la patronne de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), a présenté jeudi 11 septembre les conclusions de cet audit, sans toutefois le rendre public.
Le 6 août, un brigadier, âgé de 33 ans, a été mis en examen et écroué pour soustraction de biens par une personne dépositaire de l'autorité publique, trafic de stupéfiants, ainsi que blanchiment de trafic de stupéfiants en bande organisée. Il est suspecté d’avoir volé dans la salle des scellés les 52,6 kilos de cocaïne, saisis par son service le 4 juillet dans un appartement parisien dans le cadre d’une information judiciaire. Un gardien de la paix d'une trentaine d'années a quant à lui été placé sous statut de témoin assisté.
Le choc passé, plus question de démanteler ce prestigieux service d’une centaine de policiers, comme cela avait été un temps envisagé. Marie-France Monéger pointe une simple « défaillance individuelle », et met hors de cause la brigade des stupéfiants elle-même ainsi que ses agents, « meurtris » et « sous le choc » d’un événement « qu’ils vivent comme une trahison ». L’audit, qui n’a pas été rendu public, démontrerait que le dispositif de gestion des scellés à la brigade des stups, fermé par des « clefs sécurisées » détenues par « moins d’une demi-douzaine de personnes », était « de niveau très satisfaisant ». Le commissaire Thierry Huguet avait mis en place, depuis son arrivée à la tête de la brigade en février 2011, « une procédure claire avec un formalisme » et fait un « rappel à ses collaborateurs ».
La patronne de l’IGPN a rappelé la vétusté des « lieux mythiques du 36 » qui les rend difficilement sécurisables. En attendant le déménagement de la police judiciaire parisienne sur le futur site des Batignolles (XVIIe arrondissement de Paris) en 2017, des travaux ont été engagés : nouvelles caméras haute définition à l'intérieur des locaux et mise en place de badges. Le 31 juillet 2014, la disparition de la cocaïne entreposée avait été découverte par hasard par un policier qui souhaitait la montrer à un stagiaire. Selon une source policière, sans cette visite fortuite, la disparition aurait fort bien pu n’être découverte qu’après l’écrasement des bandes des caméras de vidéosurveillance aux entrées de la PJ, bandes qui ne sont conservées qu’un mois. Ce qui aurait rendu l’identification d'un suspect encore plus aléatoire.
À en croire Marie-France Monéger, l'augmentation des saisies de drogue depuis les années 1990 pose un vrai casse-tête aux autorités. En 2013, les forces de l’ordre ont saisi 75,7 tonnes de cannabis, 5,6 tonnes de cocaïne et 575 kilos d’héroïne. Ces scellés sont conservés au sein des services jusqu’à la fin de l’enquête policière. Ils rejoignent alors les greffes des tribunaux de grande instance, eux aussi « saturés ». En cours d’enquête, seul un magistrat peut ordonner leur destruction après prélèvement d’un échantillon. Selon une source policière, la cargaison de stupéfiants ne monte parfois même pas dans les bureaux de la PJ parisienne, le juge d’instruction « ayant la présence d’esprit de l’envoyer directement à l’incinération (sous la supervision d'un officier de police judiciaire, ndlr) ». Mais en raison du « formalisme », « les saisies s’accumulent, ce qui constitue une forme de vulnérabilité pour nous », a regretté Marie-France Monéger. La question se pose également pour les saisies quotidiennes, de barrettes de shit, par exemple, généralement jetées par les policiers dans les toilettes. Efficace, mais hors de tout cadre juridique.
Cette « recrudescence » des saisies sensibles est à relativiser : si les saisies de cocaïne ont triplé entre 1996 et 2013, celles de cannabis n’ont augmenté que de 13 % sur la même période, passant de 66,8 tonnes à 75,7 tonnes. Le problème du stockage des scellés est donc loin d’être une découverte. Le commissaire Thierry Huguet avait d’ailleurs, selon l’IGPN, obtenu l’installation d’une porte blindée. En revanche, celle d’une caméra dans la salle des scellés, également réclamée comme l’avait révélé Le Point, avait été reportée à septembre 2014… La faute à des « délais de mise en œuvre plus longs que prévu », a pudiquement expliqué la patronne de l’IGPN.
Un groupe de travail police-justice a été mis en place pour plancher sur la réduction des délais de conservation des scellés. Il est question de mutualiser leur gardiennage, voire de l’externaliser vers des sociétés privées. Car le 11 avril 2014, une décision du Conseil constitutionnel a ajouté une contrainte supplémentaire. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité à propos d'un justiciable dont le couteau avait été détruit par les policiers avant son procès, le Conseil a jugé contraire à la déclaration des droits de l'Homme de 1789 l'article de loi qui permet aux procureurs d’ordonner la destruction d’objets saisis dangereux ou illicites (armes, stupéfiants), sans même en aviser leur propriétaire. Les procureurs doivent donc désormais accorder un délai de recours d'un mois avant d'ordonner toute destruction.
De façon « inédite », les agents de la brigade des stupéfiants ont, selon la patronne de l’IGPN, participé à cet audit via des retours d’expérience. Ce qui aurait permis de soulever des soucis dépassant la question de la gestion des scellés. La hiérarchie est ainsi priée d’être plus attentive aux « signaux faibles », ainsi qu’à la déontologie et à la vulnérabilité lors des recrutements aujourd’hui focalisés sur les « compétences techniques et judiciaires » des candidats.
L’IGPN s’est également intéressée à l’esprit de corps qui règne dans ce prestigieux service. « Il s’est construit une culture de solidarité, car on passe beaucoup de temps ensemble, il faut pouvoir compter sur son collègue ; certains considèrent qu’elle s’oppose à la culture de sécurité », a signalé Marie-France Monéger. Un ancien d’une brigade de stupéfiants en région parisienne estime qu’il s’agit « du service le plus hermétique ».
Au point que, dans l’ascenseur, quand entrait un policier des stups d'un autre groupe, la conversation s’arrêtait net ; ou encore que certaines réunions avaient lieu après minuit avec seulement la moitié des policiers, ceux « de confiance, qui savaient ». Planques, infiltrations des réseaux, gestion des informateurs, la brigade des stupéfiants est très exposée. « C’est une culture spéciale, explique ce policier de PJ. Il y a la ligne entre ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. En stup, jusqu’à ce que tu interpelles et passes en procédure, tu es souvent de l’autre côté de la ligne. »
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