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Julian Mischi : «L’objectif premier du PCF est sa survie électorale»

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Malgré l'effondrement de François Hollande au pouvoir, le Front de gauche peine toujours à incarner une alternative possible à gauche. Il continue pourtant d'en rêver – ce sera un des messages de la fête de L'Humanité, qui s'est ouverte vendredi pour trois jours à La Courneuve. Mais un constat inquiète ses militants : la montée du Front national, y compris dans l'électorat populaire. Dans son dernier livre, Le Communisme désarmé – Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970 (Agone, 2014), le chercheur Julian Mischi décortique les causes de la rupture du parti communiste avec les ouvriers.

Dans votre livre, vous rappelez les chiffres, impressionnants, de la désertion des ouvriers des rangs du PCF. En 2008, ils ne forment plus que 9 % des délégués au congrès du parti, contre encore 13 % en 2001 ou 45 % dans les années 1970. Pourquoi ?

Ces chiffres sont impressionnants car, dans le même temps, la population ouvrière est loin d’avoir diminué dans les mêmes proportions : les ouvriers forment encore 23 % de la population active française. Ces chiffres sont aussi impressionnants car le PCF revendiquait, il y a quelques années, d’être le « parti de la classe ouvrière ». Or, les ouvriers, et plus généralement les classes populaires, sont de moins en moins représentés à la tête de ce parti. Même si le PCF conserve une base militante plus populaire que les autres partis, les logiques d’exclusion politique des classes sociales défavorisées s’y retrouvent. Elles en font aujourd’hui un parti dominé par des enseignants et des cadres de la fonction publique territoriale. 

La promotion des militants d’origine populaire n’est plus la priorité du PCF. Celle-ci avait été rendue possible dans le passé, par un volontarisme de l’organisation, par la sélection et la formation de dirigeants qui devaient être à l’image des « travailleurs » au nom desquels la lutte politique était menée. Depuis, l’objectif premier est la survie électorale de l’organisation. Résultat : les inégalités sociales dans la prise de parole politique resurgissent tout naturellement. Les plus diplômés occupent les premières places. Ceux qui s’estiment ou sont vus comme les plus compétents dans le métier politique sont valorisés. Les collaborateurs d’élus, directeurs de cabinet, cadres technico-administratifs, chargés de mission sont particulièrement nombreux dans les instances dirigeantes.

Dans votre livre, vous expliquez que cette rupture avec les classes populaires n’est pas seulement due à des évolutions structurelles du monde du travail et de l’habitat... En quoi est-elle aussi due à la ligne politique et aux pratiques politiques du PCF ?

Les transformations des conditions de vie et de travail des classes populaires dans la dernière période sont défavorables à leur entrée dans l’action militante. Mais, effectivement, il y a également des obstacles du côté de l’organisation. Sur le plan du discours d’abord : le PCF ne vise plus prioritairement à donner le pouvoir aux classes populaires. Il entend désormais s’adresser à tous et à représenter la société française dans sa « diversité ». Le discours de classe tend à s’effacer derrière une rhétorique humaniste, consensuelle, autour de la démocratie participative ou de la citoyenneté. Ce discours n’est pas suffisant pour inciter les dominés à s’engager au PCF.

Mais c’est surtout au niveau de l’organisation que l’on peut identifier des obstacles à l’engagement des classes populaires au sein du PCF. Celui-ci n’a pas tant abandonné les classes populaires qu’elles-mêmes l’ont déserté car elles n’y trouvent plus leur place. Tout un système de formation et de valorisation des militants d’origine populaire s’est délité en même temps que le groupe dirigeant a rompu avec les pratiques autoritaires du centralisme démocratique. Le rejet du passé stalinien s’est accompagné d’une suspicion sur les structures militantes, perçues comme des formes d’embrigadement. Or la force du collectif et de l’organisation est essentielle pour donner des outils aux classes populaires et pour contrer leur domination politique.

Pourtant, dans votre ouvrage, vous expliquez que la ligne soi-disant ouvriériste de Marchais a aussi été vivement contestée dans les cellules ouvrières du PCF. Sur la morale, l’immigration ou le modèle soviétique.

Oui, une ligne ouvriériste a été activée par le groupe dirigeant à la fin des années 1970, juste après une période d’ouverture vers les classes moyennes et d’alliance avec le PS. Il s’agissait en réalité d’un instrument de lutte interne contre les intellectuels et les contestataires, qui refusaient un tournant sectaire. L’appel à se réorienter prioritairement vers la classe ouvrière légitimait, en réalité, un repli de l’organisation sur elle-même, autour de Georges Marchais et des permanents d’origine ouvrière.

Les archives internes que j’ai pu consulter montrent bien que ce discours provoque un rejet, non seulement chez les enseignants et d’autres professions intellectuelles, mais aussi dans certains milieux ouvriers et syndicalistes qui ne se reconnaissaient pas dans l’image caricaturale qui était faite des travailleurs. On trouve des traces d’une contestation des orientations ouvriéristes et misérabilistes du PCF dans les régions ouvrières de Longwy et Saint-Nazaire, par exemple.

Ces attitudes critiques au sein des milieux populaires sont peu connues, car elles sont restées internes. L’importance de la contestation à partir de 1978 et tout au long des années 1980 a été dissimulée par une forte autocensure publique de la part des militants ouvriers. Ils ne souhaitaient pas que leur parole contestataire soit portée hors du parti et puisse faire le jeu de ses adversaires.

L’insertion dans le jeu électoral institutionnalisé est-elle, selon vous, en elle-même contradictoire avec la construction d’un parti ouvrier ou des classes populaires ?

La puissance électorale du PCF et son ancrage municipal ont été déterminants dans la force passée de cette organisation et dans son implantation dans les milieux populaires. Les municipalités dites « ouvrières » ont longtemps constitué une vitrine du communisme français, où les élus agissaient en faveur des milieux populaires, notamment dans les domaines du logement, de la santé et de la culture. Les mairies communistes étaient et demeurent établies dans des territoires profondément populaires. Le problème aujourd’hui, c’est que le PCF tend à se réduire à ses seuls élus.

Avec le déclin de la base militante et la diminution des ressources financières, les élus et les enjeux électoraux occupent une place centrale dans l’organisation. Je montre ainsi dans le livre comment les dirigeants départementaux du PCF sont devenus élus dans leurs régions au cours des années 1990 et 2000. Or les élus, qui gèrent des collectivités locales généralement avec le PS, ont leurs propres préoccupations. Ils s’entourent de cadres de la gestion publique locale, d’experts de la communication politique, et peuvent avoir tendance à se méfier des militants. Ce qui prime à leurs yeux, c’est leur lien avec les « habitants » et les électeurs et non le développement d’une organisation militante structurée dans les milieux populaires, un objectif qui était celui des permanents d’origine ouvrière des générations précédentes.

Le PCF est-il resté prisonnier d’une vision de la classe ouvrière blanche, masculine, des grands bastions industriels ? Sa déconnexion actuelle d'avec les classes populaires n’est-elle pas aussi le fruit de son incapacité, voire sa résistance, à s’adresser aux immigrés ?

Le PCF a constitué historiquement un outil important de mobilisation et de défense des travailleurs immigrés et des enfants d’immigrés, issus d’Europe méridionale en particulier. Mais il a eu effectivement des difficultés à maintenir son influence dans les nouvelles générations ouvrières, formées, en partie, de travailleurs originaires du Maghreb. Cette distance est importante dès les années 1960 et 1970, elle exprime surtout une rétractation des réseaux du PCF et de la CGT auprès des ouvriers qualifiés et des techniciens, alors que les nouveaux travailleurs immigrés occupent souvent des postes peu qualifiés. Ils appartiennent aux fractions inférieures des classes populaires, alors que le PCF, dans son combat contre la bourgeoisie, valorise les éléments d’une classe ouvrière vue comme « respectable » : des hommes, très qualifiés, de nationalité française certes, mais issus souvent d’anciennes immigrations (Polonais, Portugais, Italiens, Espagnols, etc.).

L’entrée des enfants des immigrés algériens ou marocains au sein du PCF est d’autant plus difficile depuis les années 1980 qu’ils arrivent sur un marché du travail déstabilisé, connaissent le chômage et la précarité. Le syndicat est souvent absent de leur univers de travail alors que l’engagement syndical à la CGT constituait traditionnellement une matrice à l’adhésion des classes populaires au PCF. À cela s’ajoute la frilosité des communistes à l’égard de ces nouvelles figures populaires, notamment dans les municipalités communistes de banlieue : les discours de solidarité entre ouvriers nationaux et étrangers ont eu tendance, au tournant des années 1980, à s’effacer au profit de la lutte contre la « constitution de ghettos ». 

Julian MischiJulian Mischi © DR

Vous dites qu’aujourd’hui, dans les textes de congrès ou les débats de la direction nationale, la représentation des classes populaires a totalement disparu des discussions. L’enjeu du vote ouvrier revient pourtant systématiquement dans les commentaires des échéances électorales, du PS à l’extrême gauche, où tous s’inquiètent du vote Front national. Comment expliquez-vous cette contradiction flagrante ?

Il y a deux choses différentes dans votre question. La représentation électorale des classes populaires demeure bien sûr une question centrale pour les dirigeants communistes, comme pour les autres dirigeants des partis politiques. En revanche, la représentation militante des classes populaires, elle, n’est plus un sujet majeur de préoccupation au sein du groupe dirigeant. Il est rarement fait mention de la nécessité de donner le pouvoir aux militants d’origine ouvrière dans l’organisation et dans les mairies, d’avoir des porte-parole des classes populaires issus de ces milieux. C’est essentiellement sous le seul angle des enjeux électoraux qu’est abordée la question des classes populaires. Les ouvriers et employés sont surtout sollicités comme électeurs, aux côtés des autres catégories sociales.

L’émergence du Front de gauche depuis 2008 a-t-elle changé quoi que ce soit ?

Ce Front de gauche a initié une indéniable dynamique de mobilisation militante dans les rangs communistes, tout particulièrement lors de la campagne présidentielle. On peut déjà noter un changement à cette occasion : une certaine radicalisation du discours alors que les campagnes précédentes menées par les dirigeants du PCF étaient marquées par une euphémisation des référents communistes et anticapitalistes.

Après une longue période de léthargie et de vieillissement du parti, on a pu observer un certain rajeunissement et un renouvellement des réseaux militants, qui avaient déjà commencé à se réactiver quelques années plus tôt, lors de la campagne contre le Traité constitutionnel européen de 2005. Pour la première fois depuis la fin des années 1970, les effectifs militants annoncés par la direction se sont stabilisés et la part des moins de 30 ans dans l’organisation a augmenté.

La stratégie du Front de gauche a freiné le déclin électoral du PCF aux élections présidentielles et européennes, mais la décrue s’est poursuivie lors des élections législatives et municipales, c’est-à-dire lors de scrutins où le PCF, plus que le Front de gauche, était en première ligne. Les élections municipales de 2014 ont ainsi donné lieu à des tensions très fortes entre le PCF et le Parti de gauche (PG), mais aussi à des tensions au sein du PCF : à la base, le rôle des élus et de leur entourage est sujet à des contestations où de jeunes et nouveaux adhérents s’opposent dans de nombreuses villes aux élus qui entendent reconduire l’alliance avec le PS. Mais, pour les élus et pour une part significative de la direction du PCF, conserver les municipalités à direction communiste et les postes d’adjoints dans les autres mairies d’union de la gauche est une priorité.

Un autre changement induit par cette stratégie du Front de gauche mérite d’être mentionné : les communistes militent avec des militants d’autres cultures politiques, notamment avec d’anciens membres de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) ou du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), avec d’anciens socialistes passés par l’extrême gauche, qui ont également rejoint le Front de gauche. La traditionnelle opposition entre les communistes, qualifiés de « staliniens », et les trotskystes, perçus comme « gauchistes », semble de moins en moins opérante. Une véritable recomposition semble être à l’œuvre, même si le poids des appareils et des notables locaux la freine.

  • Julian Mischi : Le Communisme désarmé – Le PCF et les classes populaires depuis les années 1970. Agone, 2014

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu mercredi et jeudi, par écrit.

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