En 1984, les journalistes ne peuvent espérer parler à Roger Martelli. Il est alors un jeune membre du comité central, intellectuel agile, historien admis dans les arcanes et coulisses du parti. Et, discipline de parti oblige, il ne viendrait pas à l'idée de Martelli de parler en liberté à des journalistes, de faire état de ses doutes grandissants sur la stratégie suivie par la direction d'alors et son secrétaire général, Georges Marchais.
Il faudra attendre plusieurs années pour que des voix venues du cœur de Colonel-Fabien (le siège du PCF) se libèrent et s'expriment sur la place publique. Et un moment clé de l'histoire de ce parti restera longtemps secret, évoqué seulement dans des conversations privées et de manière très incomplète. Il s'agit de l'été 1984, de ces semaines qui suivent le calamiteux résultat électoral du PCF aux élections européennes : 11 % des suffrages exprimés, le score le plus faible du parti depuis 1936 ; 6 % des électeurs inscrits, le score le plus bas de toute l'histoire du parti.
Trente ans plus tard, Roger Martelli publie aux éditions Arcane17 L’Occasion manquée – Été 1984, quand le PCF se referme. Il s'agit d'abord d'un document historique. Martelli a eu accès aux archives du parti, en particulier à ces relevés de discussion du bureau politique du parti qui montrent à la fois le désarroi de la direction et les tensions grandissantes avec quelques opposants tétanisés à l'idée de parler, voire de rompre. La puissance dramatique de ce moment, dans un parti encore nourri au bolchevisme et au centralisme démocratique, transparaît clairement de ces documents, quand le basculement critique – et l'excommunication qui s'ensuivra – peut se jouer sur une phrase, sur un mot parfois.
Claude Poperen, alors membre du bureau politique et chargé de rédiger le rapport d'analyse du scrutin européen, le paiera très cher. Contraint de réécrire encore et encore son rapport qui sera présenté au comité central, il vit ce moment comme un drame annonciateur d'une rupture. Plusieurs années plus tard, l'homme racontait encore le déchirement que fut cet épisode. Car pour Georges Marchais, Roland Leroy, Gaston Plissonnier et quelques autres, il n'est pas question d'ouvrir, après cet échec, le grand débat, la vaste introspection que demandent timidement et avec moult précautions ceux qui, plus tard, quitteront le parti par vagues successives (de Charles Fiterman à Patrick Braouezec vingt-cinq ans plus tard !).
Mais en plus d'un récit historique solidement documenté, Roger Martelli dissèque les conséquences de cette fermeture organisée en 1984. Le PCF le paie encore au prix fort aujourd'hui, comme il l'a payé en 2007 avec la catastrophique candidature à la présidentielle de Marie-George Buffet : l'OPA du parti sur les comités antilibéraux issus du non au référendum de 2005 s'acheva par le score terrible de moins de 2 %. « La forme bolchevique » du parti est toujours là, constate Roger Martelli. 1956, 1976, 1984, 1995, 2006 : chaque fois, le PCF avait l’opportunité d’évoluer, chaque fois il a fait le choix du repli sectaire. Cette incapacité chronique à s'ouvrir, à s'enrichir d'autres luttes, d'autres sensibilités, d'autres cultures, cette impossibilité de se mettre en phase avec la société : la petite chapelle PCF résiste, certes. Mais au prix d'une marginalité qui porte le risque de la disparition.
Roger Martelli
L’Occasion manquée – Été 1984, quand le PCF se referme
Éditions Arcane 17. 124 pages, 12 euros.
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