Embraser la sphère médiatique à partir d’un avis non publié d’une mission dissoute au sein d’un organisme lui-même en sursis et dont le contenu est d’ores et déjà enterré … Voilà qui tient du tour de force. Ou du coup de chaud estival. C’est pourtant ce que vient de réussir le Haut conseil à l’intégration au sujet du port du voile à l’université, dont un avis recommande l'interdiction et qui a fait lundi la une du Monde.
L’institution qui vivote depuis plusieurs années – ces avis et rapports étant souvent accueillis dans l’indifférence – est aujourd’hui proche de la dissolution pure et simple. Créé par Michel Rocard en 1989, le Haut conseil s’est rapidement transformé en l’un de ces nombreux “comités Théodule” dont l’apport au débat public est quasi nul mais qui permet – toujours utile – de recaser tel ou tel, ou d’enjoliver un CV. Aujourd’hui, le HCI est dans le collimateur de la MAP (modernisation de l’action publique), nouveau nom de la RGPP (révision générale des politiques publiques), qui entend faire le ménage dans ces structures.
« Le HCI est aujourd’hui une coquille vide », reconnaît un ancien collaborateur. Depuis plus d’un an son collège d’une vingtaine de membres n’a pas été renouvelé. Son président, le très sarkozyste Patrick Gaubert, ex-président de la LICRA, n’a pas été reconduit dans ses fonctions et c’est le secrétaire général du HCI, Benoît Normand, qui assure depuis l’intérim. Pour beaucoup, la politisation très marquée de ces dernières années a précipité la chute de l’institution en la décrédibilisant. Le dernier collège, nommé en 2009, compte par exemple parmi ses membres influents des personnalités telles que l’essayiste Malika Sorel, qui multiplie les déclarations chocs sur le thème de l’impossible intégration de certains immigrés ou sur l’islam souvent confondu avec l’islamisme.
« Les personnes issues de l’immigration renvoient une image épouvantable au reste de la population. Les Français ont une mémoire. Ils ont accueilli de nombreux flux migratoires. Ils n’ont jamais assisté à un tel déchaînement de violence, une telle haine… », assenait-elle par exemple, en 2009, au micro de France Culture dans l'émission Répliques d'Alain Finkielkraut. Dans un débat avec Éric Besson, elle laissait tout simplement entendre qu'on ne pouvait pas « réfléchir et douter » dans la langue arabe aussi bien qu'en français (voir ici).
Le collège du HCI compte aussi une figure montante de l’UMP, Nora Preziosi, candidate malheureuse aux législatives à Marseille que Serge Moati a suivie pendant la campagne lorsqu’elle faisait « une petite descente chez les Roms » avec ses collaborateurs, et que Jean-François Copé a tôt fait de qualifier de « révélation ». On peut ainsi voir celle qui siégeait donc au HCI depuis trois ans expliquer, sous l’œil des caméras, à une famille du campement que la population locale ne veut plus d’eux : « Vous les cambriolez, vous faites beaucoup de choses dans ces quartiers... » Une certaine idée de l’intégration.
La grande idée sarkozienne consistait à faire porter cette parole par des personnes elles-mêmes issues de l'immigration maghrébine.
Il y a deux ans, lorsque Claude Guéant affirmait doctement que « deux tiers de l’échec scolaire » étaient le fait des enfants issus de l’immigration, il le fait en se basant sur un rapport du HCI qui a suscité l’ire des chercheurs réellement spécialistes de ces questions (voir notre article) en raison de ses approximations et de son prisme idéologique. Faisant l’économie de la dimension sociale, le rapport omettait ainsi de rappeler qu’à milieu social équivalent les enfants issus de l’immigration n’échouaient pas plus que les autres. Simple détail que cette institution de plus en plus sarkozyste avait remisé sous le tapis.
Au sein de l’institution, la présidence de Patrick Gaubert n’a pas non plus laissé que des bons souvenirs. L’homme à la réputation sulfureuse – ses liens avec Sassou Nguesso, le président du Congo, lui valent les foudres d'associations comme Survie depuis des années – était, selon un ancien collaborateur, « le premier président à demander une rémunération », soulignant que ces postes sont la plupart du temps non rémunérés.
L'ex-député européen estampillé UMP, très proche, comme son frère Thierry, de Nicolas Sarkozy avait obtenu un traitement de plus de 7 000 euros mensuels « alors qu’il ne venait pas plus de deux jours par semaine », se souvient une collaboratrice qui poursuit : « François Fillon qui le détestait a tenu à ce que cela se sache et a fait figurer le montant au Journal officiel. » L’homme s’est entouré de ses proches comme son ancien collaborateur à la Licra, Richard Séréro, lui aussi rondement rémunéré, lequel a fait venir sa fille qui figure toujours dans la poignée de permanents de la structure. « Gaubert a vécu sur la bête. Seuls les sujets qui pouvaient faire du buzz l’intéressaient », rapporte une chercheuse. « Il jugeait par exemple les questions de l’intégration dans les familles monoparentales ou celles liées à la prison soit inintéressantes soit trop sensibles politiquement. » Même les plus investis s'étaient découragés.
Nommée par une lettre de mission de Nicolas Sarkozy, la mission laïcité a donc été ces derniers mois la seule à continuer à travailler, notamment en rendant cet avis sur l’enseignement supérieur, avec le succès médiatique que l'on sait. Elle est désormais supplantée par un Observatoire de la laïcité qui s’est empressé de rejeter ces propositions… Le chant du cygne d'une institution que peu regretteront.
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