A quelques jours de la présentation du projet de loi de finances pour 2015, qui interviendra le 1er octobre, le gouvernement s’est livré à un exercice inédit. Il a admis, même si c’est à demi-mot, que sa politique économique conduisait tout droit à l’échec. Donnant implicitement raison à tous ceux qui depuis de longs mois dénoncent les effets récessifs induits par l’austérité et les effets d’aubaine des cadeaux aux entreprises, il a été dans l’obligation de reconnaître que toutes les prévisions économiques de Bercy, sur la croissance, les déficits ou l’inflation, devaient être revues. Toutes dans le mauvais sens.
A l’occasion d’une conférence de presse, mercredi matin, c’est le ministre des finances, Michel Sapin, flanqué de son secrétaire d'Etat chargé du budget, Christian Eckert, qui s’est livré à cet exercice périlleux : admettre, sans l’admettre vraiment, que le gouvernement avait tout faux ; reconnaître que les priorités économiques du gouvernement conduisaient vers une impasse, mais sans les changer d'un iota.
En bref, le ministre des finances a admis que les prévisions économiques du gouvernement les plus récentes, celles qui avaient été rendues publiques en juin dernier lors de la présentation du projet de loi de finances rectificative, étaient toutes déjà obsolètes. Beaucoup moins de croissance ! Beaucoup plus de déficits ! Plus de déflation ! Comme dans un mouvement de panique, Bercy a enfin reconnu que, bien loin de la reprise prophétisée au printemps par François Hollande, tous les indicateurs économiques étaient mal orientés.
« On est entré dans la deuxième phase du quinquennat, le redressement n'est pas terminé, mais le retournement économique arrive », fanfaronnait le chef de l’Etat le 4 mai dernier (lire Croissance et chômage : Hollande, l’extralucide !). Las ! Quatre mois plus tard, le gouvernement doit avouer que tout cela n’était que fariboles.
Concrètement, le gouvernement a d’abord révisé à la baisse sa prévision de croissance. Pour 2014, elle ne devrait pas dépasser 0,4%, et pour 2015 Bercy table désormais sur une croissance de seulement 1% au lieu du 1,7% qui était attendu en juin dernier. En clair, François Hollande s’est totalement trompé – à moins qu’il n’ait abusé l’opinion ?- en annonçant ces derniers mois une reprise, confortée selon lui par les retombées de la politique économique du gouvernement. C’est exactement l’inverse qui est à l’œuvre. Même si le gouvernement n’a pas évoqué dans la foulée l’évolution du chômage, la révision à la baisse de la prévision de croissance fonctionne, là encore, comme un aveu : le chômage va malheureusement continuer à grimper tout au longs des mois prochains.
Tout aussi grave, les déficits publics vont du même coup déraper beaucoup plus que prévu. De l’aveu même de Michel Sapin, ils devraient atteindre 4,4% du produit intérieur brut (PIB) en 2014, alors que l’objectif affiché en loi de finances initiale était de 3,6%, et de 3,8% en loi de finances rectificatives. Ces déficits publics, qui ont atteint 4,3% en 2013 ne sont donc pas en baisse, mais… en hausse ! En clair, la réduction des déficits publics qui était présenté comme l’objectif central de la politique économique – et qui est la justification de la politique d’austérité – est en train d’échouer.
Cet échec sur les déficits publics est un camouflet pour François Hollande, car initialement il voulait réduire les déficits publics sous la barre des 3% dès 2013, or Bercy envisage maintenant que l’objectif pourrait être atteint au plus tôt en… 2017.
Enfin, Michel Sapin est venu implicitement confirmer que la France, comme le reste de l’Europe, était confrontée à un grave danger, celui de la déflation. Le ministre a donc révisé la prévision d’inflation pour 2014 à seulement 0,5 % et 0,9 % en 2015.
Il y a quelque chose de confondant dans ces révisions des prévisions économiques. Car, de longue date, le gouvernement avait été prévenu que sa politique économique n’était pas la bonne et qu’elle conduirait nécessairement à moins de croissance et plus de déficits. Or, c’est très exactement ce scénario qui est à l’œuvre.
Il n’est d’ailleurs pas difficile d’établir avec précision que de nombreuses alertes ont été adressées au gouvernement depuis 2012, et que ce dernier, prisonnier de la doxa libérale à laquelle il s’est ralliée sitôt passée l’élection présidentielle, n’a jamais voulu y prêter attention. Avec entêtement, il a même aggravé ces erreurs qui, très tôt, sont devenues patentes.
Le gouvernement a en effet adossé sa politique économique sur deux priorités majeures, toutes les deux d’inspiration libérale. En premier lieu, il a fait de la lutte pour la réduction des déficits sa première priorité, avec à la clef le plan de 50 milliards d’euros d’économies que l’on connaît. En il a fait de son plan de plus de 40 milliards d’euros d’allègements fiscaux et sociaux sa seconde priorité. Et mariant les deux priorités, il a argué qu’il avait mis au point la bonne recette pour renouer avec la croissance. On connaît les arguments avancés, mille fois ressassés : il n’y a pas de croissance durable sans rétablissement des comptes publics ; et il n’y a pas plus de croissance dynamique si la compétitivité des entreprises est grevée par des impôts trop lourds ou des cotisations sociales trop fortes.
Mais ces arguments, puisés dans la boite à outil intellectuelle du patronat et des milieux d’affaires, sinon même de l’UMP, ont été très tôt réfutés par de nombreux experts – avant de l’être dans les rangs même du Parti socialiste par les députés frondeurs – et pas seulement eux.
Dans le cas de l’austérité, un seul exemple : dès le 6 juillet 2012, l’économiste de l’OFCE Xavier Timbeau tirette la sonnette d’alarme dans un entretien prémonitoire avec Mediapart (Lire Xavier Timbeau (OFCE) : « C’est l’escalade vers la catastrophe »). Avec le recul, ce que dit cet expert prend une forte résonance. Car nous sommes à l’époque, quand il prend la parole, le 6 juillet 2012. La gauche socialiste n’est donc au pouvoir que depuis quelques semaines. Et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault n’a fait que prendre des premières mesures budgétaires d’économie. A l’époque, on est encore très loin du plan d’austérité de 50 milliards.
Avec le recul, il est utile de relire ce que disait cet expert dès les premiers jours du quinquennat : il expliquait que dans une période de stagnation ou même de récession, il était aberrant de conduire une politique restrictive car cela conduirait à casser toute possibilité de reprise. Il était même plus précis : il expliquait qu’une politique qui chercherait en priorité à réduire les déficits publics à marche forcée dans cette période de conjoncture dépressive serait radicalement contre-productive car, cassant la croissance, elle conduirait à tarir les rentrées de recettes fiscales et sociales. En clair, prévenait-il, c’est une politique qui « s’auto-annule ». « On est dans un processus à plusieurs étapes : dans un premier temps, on annonce un peu plus d'austérité ; et puis on dit : “Ah! c'est pas de chance ! Il y aura moins de croissance que prévu ; il faut donc que l'on soit un peu plus dur " ; et ainsi de suite…On est dans un processus où l'objectif s'éloigne au fur et à mesure que l'on cherche à s'en rapprocher. C'est la logique à l'œuvre au niveau français, comme elle l'est au niveau européen », expliquait Xavier Timbeau.
Cette critique, il n’était pas le seul à l’exprimer. Dès le printemps 2011, c’est même cela qui avait conduit le Parti socialiste a adopter une plate-forme pour la présidentielle, ratifiée par les militants, qui critiquait la décision de Nicolas Sarkozy de vouloir atteindre les 3% de déficits publics dès 2013. Pour ne pas étouffer l’activité, le projet socialiste préconisait de réduire les déficits de manière beaucoup plus prudente, en repoussant l’objectif des 3% à 2014 sinon même 2015. Mais on sait ce qu’il en est advenu : foulant au pied le projet de son propre parti, François Hollande a décidé de retenir l’objectif de Nicolas Sarkozy, avec une réduction à 3% des déficits dès 2013.
Le résultat, on le voit aujourd’hui. Comme l’avait prédit Xavier Timbeau, c’est une politique qui « s’auto-annule » que les socialistes ont mis en place. Fixant le cap sur l’austérité au nom de la réduction des déficits, il ont cassé la croissance et… creusé les déficits. Et en bout de course, on en arrive à ce bilan paradoxal : les fameux 3% de déficits que François Hollande voulait atteindre dès 2013 sont maintenant repoussés à… 2017 !
Le plus stupéfiant de l’histoire, c’est que ces mises en garde se sont ensuite multipliées, en provenance d’un peu tous les horizons. Et dans les rangs mêmes du PS, ils ont pris de plus en plus d’ampleur, ce qui a renforcé un peu plus chaque mois les rangs des frondeurs. Car au fil des ans, le gouvernement, faisant toujours la sourde oreille, a durci progressivement son action, jusqu’à adopter le plan d’austérité de 50 milliards d’euros, dont 21 milliards d’euros d’économies.
Que l’on se souvienne par exemple de la mise en garde qu’avait formulée pas plus tard qu’au printemps dernier la rapporteure générale du budget (PS) à l’Assemblée. Dans un rapport publié le 23 juin dernier (on peut le télécharger ici), à la veille du débat budgétaire qui devait tout à la fois examiner le plan d’austérité de 50 milliards d’euros et les cadeaux offerts aux entreprises (lire La politique d’austérité conduit tout droit à la catastrophe), Valérie Rabault faisait ces mises en garde – qui n’ont pas plus été entendues que les précédentes : « Selon les prévisions établies par le ministère des finances et des comptes publics dont dispose la Rapporteure générale, le plan d’économies de 50 milliards d’euros proposé par le gouvernement pour la période 2015 à 2017, soit une réduction des dépenses de plus de 2 points de PIB, aurait ainsi un impact négatif sur la croissance de 0,7 % par an en moyenne entre 2015 et 2017, et pourrait entraîner la suppression de 250 000 emplois à horizon 2017. » (Lire L’échec économique, le désastre social)
Mais à l’époque, cette prévision de simple bon sens avait été accueillie par des moqueries par Michel Sapin. Et pourtant, nous y sommes : si le gouvernement est contraint de revoir ses prévisions à la baisse, c’est Valérie Rabault qui avait raison.
On sait d’ailleurs pourquoi François Hollande s’est enfermé dans cette erreur : voulant apporter plus de 40 milliards d’allègements fiscaux et sociaux aux entreprises, il fallait bien que le gouvernement trouve les moyens de les financer. Impossible donc d’amender le plan d’austérité, car du même coup, cela aurait menacé encore plus gravement l’équilibre des finances publiques au moment où elles étaient par ailleurs sollicitées pour mettre en place le système de crédit d’impôt en faveur des entreprises, puis d’allègements des cotisations sociales.
La première erreur du gouvernement sur la réduction des déficits publics s’est donc doublée d’une seconde sur son plan de 40 milliards d’euros d’allègements en faveur des entreprises. Comme dans une folle fuite en avant, les dignitaires socialistes ont joué avec ce plan leur va-tout : ils ont répété à l’envi que de lui viendrait le salut. On connaît la ritournelle : les 40 milliards apportés aux entreprises vont stimuler leurs projets d’investissement et d’embauche ; la croissance va donc repartir et le chômage baisser.
Et comme il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, le gouvernement a cherché à tourné en dérision tous ceux qui lui faisaient observer que cette somme exorbitante en faveur des entreprises, déboursées sans la moindre contrepartie de la part des entreprises, ne produirait guère que des effets d’aubaine. C’est ce qu’ont répété en particulier de nombreux députés frondeurs tout au long des derniers mois.
Or, avec la révision de ses prévisions, le gouvernement vient là encore de convenir – sans le dire vraiment – que les frondeurs avaient raison : les allègements risquent de conduire à des effets d’aubaine massifs pour les entreprises ou leurs actionnaires, mais sans dynamiser l’investissement ou la croissance.
Tout invite à cette conclusion ravageuse : aussi bien ces révisions de prévisions que les dernières données dont on dispose sur les résultats des entreprises. Car si l’investissement est en chute et l’emploi en berne, les actionnaires, eux, se portent au mieux – merci pour eux ! On a même appris le mois dernier grâce à une étude d’un organisme financier, Henderson Global Investors, que la France avait décroché le trophée (assez peu glorieux pour le gouvernement socialiste!) de championne d’Europe des dividendes versés aux actionnaires. Les rémunérations versées en 2014 aux actionnaires ont en effet augmenté de 30,3 % en France pour atteindre 40,7 milliards de dollars.
Comme on pouvait le craindre, les cadeaux aux entreprises ont donc bel et bien généré des effets d’aubaine, mais pas d’effet économique véritable. Ce n’est d’ailleurs qu’un hasard, mais on ne peut s'emêcher d'y voir une valeur symbolique : ces 40 milliards de dividendes correspondent très exactement aux 40 milliards d’allègements fiscaux et sociaux.
Mais au-delà de l’échec économique, qui est assurément celui de François Hollande, c’est aussi le grand désordre régnant dans les sommets du pouvoir qui transparaît au travers de ces modifications de prévision. Le grand désordre et aussi la panique, l’amateurisme, l’improvisation permanente qui président à l’élaboration de la politique économique. Car il ne se passe plus un jour sans que l’on assiste à un changement de pied, à un ordre suivi tout aussitôt d’un contrordre…
La semaine passée, Michel Sapin avait ainsi semblé prendre la mesure des effets récessifs du plan d’austérité et avait annoncé, prétextant la faible inflation, que le plan de 21 milliards d’euros d’économies serait revu à la baisse. Mais ce mercredi, craignant sans doute les réactions de Bruxelles après l’annonce du dérapage des déficits publics, il a annoncé qu’il n’en serait rien et que les 21 milliards seraient bel et bien appliqués. Comprenne qui pourra... Sur le front de la TVA, même confusion généralisée : agissant en sous-main pour Manuel Valls pour sonder l'opinion, le député socialiste Christophe Caresche a ainsi avancé la semaine passée la suggestion – passablement réactionnaire et inégalitaire – d’une nouvelle hausse de deux points de la TVA, mais dans les sommets du pouvoir on craint fort que ce projet, s’il voyait le jour, ne soit perçu comme la provocation de trop par des députés socialistes qui sont à cran.
De cette exaspération, il existe d’ailleurs des signes innombrables. Pour en prendre la mesure, il suffit par exemple de se reporter à la réaction très révélatrice du député socialiste Pierre-Alain Muet. Ancien conseiller économique de Lionel Jospin, homme mesuré s’il en est et économiste chevronné, le député a accueilli l’annonce de Bercy par un communiqué mi-vengeur mi-moqueur qui, quand on connaît le tempérament de son auteur, en dit long sur l’état d’esprit des troupes socialistes : « La poursuite de la récession européenne conduit à un déficit public qui ne se réduit pas en France en 2014. Dans cette situation, le gouvernement a raison de reporter à 2017 la réalisation de l'objectif de 3% pour ne pas ajouter de nouvelles mesures d'austérité à une stagnation, due, comme l'a rappelé le président François Hollande le 20 août, à "un problème de demande dans toute l'Europe ....résultant des politiques d'austérité menées depuis plusieurs années». Je salue notamment le fait que la hausse de la TVA, parfois envisagée, ait été écartée. En revanche, faut-il continuer à programmer 41 milliards d'allègements sur les entreprises dont les effets n'apparaîtront qu'à long terme, en maintenant en contrepartie l'objectif de réduction de dépenses dont l'effet dépressif est immédiat ? Cela ne semble guère réaliste au regard des réductions de dépenses réalisées antérieurement et encore moins optimal pour retrouver rapidement la croissance. Dans cette conjoncture, il serait plus efficace d'augmenter plus fortement les emplois d'avenir et l'apprentissage et de soutenir l'investissement des collectivités locales qui est en train de s'effondrer. »
Que pense même le secrétaire d'Etat chargé du budget, Christian Eckert, de la politique budgétaire et fiscale qu’il est chargé de mettre en œuvre ? Loyal, il n’en laisse rien transparaître. Mais il n’est guère besoin d’être grand clerc pour deviner qu’il doit, lui aussi, avoir des états d’âme, même s’il ne les met pas sur la place publique. Il suffit de se reporter à l’entretien très critique qu’il avait donné à Mediapart le 24 janvier 2014 (Lire Christian Eckert (PS) : « Le chef de l’Etat n’est pas le seul maître à bord).
En bref, la politique économique prend eau de toute part : c’est celle du bateau ivre.
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