Créé au lendemain de l’affaire Cahuzac, le 6 décembre 2013, et accueilli pour cette raison même avec un certain scepticisme, le procureur national financier (PNF) s’installe progressivement dans le paysage judiciaire. Et la titulaire du poste, Éliane Houlette, peut aujourd’hui constater (si jamais elle en doutait) que sa volonté de traiter “vite et bien” la fraude fiscale, la corruption et la grande délinquance économique et financière est partagée par une part non négligeable de l’institution.
Massé dans une salle d’audience surchauffée de l’antique Palais de justice de Paris, mardi en fin de journée, pour l'installation officielle du nouveau président du tribunal de grande instance, le petit monde judiciaire a ainsi pu entendre un discours volontaire et très direct de l'intéressé, Jean-Michel Hayat, loin des prêches soporifiques régulièrement infligés aux fidèles lors de ces grand-messes.
Première annonce de taille du nouveau président du tribunal de Paris : les affaires du parquet national financier devraient, à l’horizon 2015, être jugées par une chambre correctionnelle dédiée. C’était justement l’une des demandes d’Éliane Houlette, soucieuse de donner une traduction visible, rapide et pédagogique au travail de son équipe, alors que l’audiencement des 31 chambres correctionnelles du tribunal de Paris est notoirement engorgé, provoquant autant de retard que de frustration chez les justiciables et les citoyens.
Parmi ses « pistes de travail », Jean-Michel Hayat a donc dévoilé « l’éventuelle création de ce qui pourrait être la 32e chambre correctionnelle, entièrement dédiée au jugement des procédures émanant du parquet national financier », et dotée « d’un audiencement distinct et non commun, permettant ainsi d’éviter la concurrence des urgences. Une telle création permettrait, d‘une part, au parquet de Paris de bénéficier d’un désencombrement salutaire, d‘autre part au parquet national financier de disposer de plages d’audiencement immédiates, dès que les premières procédures arriveront, au début 2015, en phase de jugement », a-t-il annoncé.
Pour donner une indication de l’importance de ce qui se prépare, le nouveau président du tribunal a notamment déclaré ceci : cette future chambre correctionnelle dédiée au jugement des affaires du PNF « va être conduite à siéger, sans discontinuer, chaque semaine ». L’époque où les dossiers politico-financiers mijotaient dix ans à petit feu avant d'être jugés mollement serait donc en passe d’être révolue. Si les moyens suivent.
Éliane Houlette est actuellement à la tête d’une équipe de dix magistrats du parquet, qui travaillent tous en binômes. À terme, ils devraient être 25, pour travailler en collaboration étroite avec une dizaine de juges d’instruction spécialisés. La montée en charge du procureur national financier est régulière.
Malgré quelques petits accrocs avec le parquet de Paris, qui s’est vu déposséder de plusieurs grosses affaires, le PNF compte aujourd’hui 226 dossiers, dont 167 en cours. Les dossiers les plus sensibles du moment, au nombre de 69, sont confiés à des juges d’instruction indépendants. 58 autres font l’objet d‘enquêtes préliminaires, sous l’autorité directe du PNF. 8 autres dossiers sont en cours de règlement, et 7 en cours d’audiencement.
Parmi ces dossiers, quelques scandales de taille, comme les affaires Cahuzac, Balkany, Dassault, Guéant, le possible financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, et encore l'affaire Wildenstein, l’affaire Herzog-Sarkozy-Azibert, ou encore les dépenses de communication du gouvernement Fillon. Le procureur de Paris, François Molins, a toutefois gardé quelques gros dossiers presque achevés, comme celui de Karachi.
Jean-Michel Hayat est un homme décidé. Avant d’être nommé par le CSM à la tête du plus grand tribunal de France, il avait présidé avec succès les tribunaux de Nice et de Nanterre. Deux juridictions qui avaient souffert de scandales retentissants (l’affaire du juge Renard à Nice, l’affaire Bettencourt à Nanterre). Jean-Michel Hayat a également été conseiller technique au cabinet de Ségolène Royal (ministre déléguée à l’enseignement scolaire), de 1997 à 2000.
À ses débuts, le juge Hayat était membre du Syndicat de la magistrature (SM, classé à gauche). Alors juge d’instruction à Nanterre, il s'était fait connaître en traitant l’affaire Jobic : en 1988, il avait placé en détention ce commissaire de police, inculpé de proxénétisme aggravé et de corruption. Pour finir, Yves Jobic bénéficiera d’une relaxe, puis d’une indemnisation de la justice pour son séjour en prison. La carrière du juge Hayat n'en a pas pâti.
Éliane Houlette a, quant à elle, effectué presque toute sa carrière au parquet, en dehors de son premier poste de juge des enfants (à Blois, en 1978) et de trois années passées dans les services centraux du ministère de la justice (de 1984 à 1987).
Elle a été en poste au parquet de Versailles, puis à la section financière du parquet de Paris, et enfin à la tête de la section commerciale (de 1993 à 2001), avant de devenir substitut général puis avocat général à la Cour d’appel de Paris. Par ailleurs, de 2012 à 2014, Éliane Houlette a siégé au Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques (CVV), en tant que commissaire du gouvernement. On ne lui connaît ni préférence politique, ni appartenance syndicale.
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