« Je laisserai ouverte l’école ce mercredi mais tous les parents qui me soutiennent et qui ont été très choqués par notre convocation au tribunal vont faire un blocus », prévient le maire de Saint-Hilaire, Stéphane Pradot, l’un des quatorze maires de l’Essonne convoqués ce mardi au tribunal administratif de Versailles parce qu’il refuse de mettre en place la réforme des rythmes scolaires.
Devant la sanction financière encourue – 1 000 euros d’astreinte par jour –, l’élu de cette commune de 400 habitants a néanmoins choisi de plier comme la plupart des autres maires du département. Sur la grille de l’école qui accueille une partie des élèves de l'école élémentaire (l’autre partie ayant classe dans l’école de Chalo-Saint-Mars, la commune voisine), le maire a posé depuis la rentrée une bâche : « Non à la réforme », et a tenu l’école fermée mercredi dernier. Ce jour-là, sur les quelque 150 enfants scolarisés dans ces deux communes, seuls trois s’étaient présentés. « C’est quand même un signe que les parents nous soutiennent ! », veut croire ce maire sans étiquette.
Certains affichent effectivement un soutien sans faille à l’action du maire, élu en mars dernier. « C’est une honte cette réforme. Y a pas de moyens pour l’appliquer, comment on fait ? Et puis moi j’ai un gros défaut, je travaille ! », tempête Pascal, père de deux enfants scolarisés dans l’école. Pour lui, c’est d’ailleurs simple : si sa commune est l’une des dernières en France à ne pas appliquer la semaine de quatre jours et demi, « c’est parce que les autres n'ont rien dans le caleçon ! ».
Pourtant, près d’une semaine après la rentrée scolaire, beaucoup de parents s’inquiètent. « Certains sont quand même en train de se dire “Mince qu’est-ce qu’on a fait ?” », reconnaît un père d’élève élu au conseil d’école, qui préfère ne pas donner son nom parce que le climat autour de cette question s’est sérieusement envenimé. « Et puis, ça va. On n’est pas non plus le village des irréductibles gaulois contre l’Empire romain. »
La visite des gendarmes venus photographier l’école fermée mercredi dernier a marqué les esprits.
L’organisation totalement chaotique de cette rentrée scolaire commence aussi à peser sur les parents, en grande majorité opposés à l’application de la réforme dans leur village. Comme ces deux mairies ont refusé de déposer un projet d’organisation du temps scolaire conforme aux décrets Peillon-Hamon à la date butoir du 6 juin, elles se sont vu imposer par l’inspection académique le schéma départemental avec école le mercredi matin et journée de classe se terminant à 16 heures. Mais puisque aucun dialogue n’a été engagé avec le conseil général, les bus de ramassage scolaire qui assurent la navette entre les deux villages, matin, midi et soir, continuent à passer aux horaires de l’an dernier. Soit, pour le matin, plus d’une heure après le début de la classe et le soir près de trois quarts d’heure après…
« C’est sûr qu’on ne va pas tenir cent sept ans comme ça », reconnaît Albane, une mère d’élève venue bénévolement, comme d’autres parents et certains conseillers municipaux, assurer la jonction entre la fin de l’école et l’arrivée du bus à 16h35 pour emmener les enfants vers la garderie de Châlo. Ce qui rebute le plus les parents, c’est évidemment que leurs enfants ratent les heures de classe du mercredi, les maîtresses s’étant retrouvées mercredi dernier dans des écoles vides.
Dans ces communes mi-péri-urbaines, mi-rurales du sud de l’Essonne, la plupart des enfants font des journées de 12 heures à l’école. Beaucoup de parents travaillent à Paris – à une heure et demie de RER – et déposent leurs enfants à la garderie dès 7 heures pour les récupérer à 19 heures. Les objectifs de la réforme (réduire la journée de l’enfant en étalant mieux les horaires sur la semaine, proposer des heures d’activités sportives ou culturelles) paraissent ici totalement hors de portée. Avec l’explosion démographique des deux communes de ces dernières années, liée à l’augmentation continue des loyers en centre-ville, les trois écoles (une maternelle, deux élémentaires) débordent. Faute de locaux suffisamment grands, la cantine a désormais lieu dans la salle des fêtes de Chalo-Saint-Mars. « Cela fait déjà longtemps qu’on bricole ici, assure la maire de Chalo-Saint-Mars, Christine Bourreau. Jusque-là, on arrivait à assurer une garderie pour 25 enfants dans l’école, mais avec 60, comment je vais faire ? On n’a vraiment pas les locaux. »
Les centres aérés d’Étampes, la ville voisine, sont saturés et peinent déjà à recruter des animateurs dans le cadre de la réforme. « Alors, vous imaginez, nous, pour faire venir des gens dans nos villages ? Et puis, qu’est-ce que j’ai comme équipement… Ah si, un panier de basket ! », raille le maire de Saint-Hilaire.
L’idée que le gouvernement a oublié les communes rurales en lançant cette réforme est ici largement partagée. « L’autre jour, ils montraient à la télé une ville qui avait mis en place des supers activités pour les enfants. J’en aurais pleuré. Nous, jamais on n'aura les moyens de payer ça à nos enfants ! » assure la maire de Chalo, Christine Bourreau.
« Je n’arrive déjà pas à payer un ordinateur à 300 euros pour l’école, alors quand j’entends parler d’un grand plan numérique… », s’énerve le maire de Saint-Hilaire.
« S’ils finissent l’école plus tôt, cela veut dire qu’on va payer davantage en garderie. Donc au final c’est encore pour nous ! » peste un père qui tacle, ce matin-là, comme beaucoup d’autres parents, ce gouvernement qui les « assomme avec les impôts ».
Les enseignants, eux, se sentent en porte-à-faux. Pour préparer la mise en œuvre de la réforme, « on avait préparé un projet d’organisation, construit avec les parents, les deux maires », raconte une enseignante de Chalo, « mais finalement, la mairie a décidé de ne pas suivre et déclaré qu’elle n’appliquerait pas la réforme ». « On était parvenu à des horaires à peu près acceptables. C’est six mois de boulot mis à la poubelle », ajoute de son côté un représentant de parents pour qui il était évident que le décret allait s’appliquer et qui s'est vu débordé par le mécontentement de parents l'accusant d'être trop accommodant. « Dans tous les villages, il y a des petites guéguerres, mais là, ça a été vraiment très loin. On en est presque venu aux mains », regrette-t-il.
Pourquoi ces petites communes de l’Essonne comptent-elles parmi les dernières à refuser la réforme des rythmes scolaires, bien d’autres connaissant les mêmes difficultés ? L’explication est sans doute très politique. « C’est Marlin qui a entrainé les autres », assure ce même parent d’élève.
Frank Marlin, le maire d’Étampes et député UMP de l’Essonne, a été, avec le maire de Yerre, Nicolas Dupont Aignan, un des fers-de-lance de l’opposition à la réforme à l’Assemblée nationale. Jusqu’à la veille de la rentrée, il affichait sa volonté de ne pas appliquer la semaine de quatre jours et demi, avant de céder à la pression de la préfecture. Il est néanmoins venu soutenir les maires des communes des environs qui ont décidé d’aller jusqu’au bout et risquent aujourd’hui très gros.
Pour cet inspecteur de l’éducation nationale, croisé lors de l’inauguration d’un lycée à Étampes, « tout cela relève d’une posture politique des maires. Et comme ils n’ont rien préparé correctement, jouer les victimes les arrange bien. Ce n’est quand même pas le rôle d’un maire que d’empêcher les enfants d’aller à l’école ».
Le maire de Saint-Hilaire, qui fut chef de cabinet de Franck Marlin à la mairie d'Étampes, s’offusque de ce procès d’intention : « Bien-sûr, certains maires veulent profiter de cette occasion pour se faire mousser, mais ce n’est pas du tout notre intention. Nous, cette réforme, on n'a juste aucun moyen de l’appliquer. C’est ce qu’on a rappelé au tribunal. » L’association des maires ruraux de France s’est quant à elle désolidarisée de leur démarche jugée jusqu’auboutiste, leur directeur, Cédric Czabo, indiquant néanmoins « que ces maires soulèvent de vrais problèmes à ce jour non résolus ».
Le jugement du tribunal administratif est attendu ce jeudi.
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