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Le FN a toujours autant de mal avec la liberté d'informer

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Le Front national a du mal à cohabiter avec la démocratie, malgré la « normalisation » revendiquée par Marine Le Pen depuis sa conquête de la présidence du parti. Samedi, à Fréjus (Var), où est réunie ce week-end l’université d’été du FNJ, le mouvement jeune du FN, notre journaliste a été proprement éjectée du rassemblement, à la mi-journée, après avoir pourtant assisté à la session matinale, et malgré une accréditation en bonne et due forme donnée le matin-même.

« Vous ne pouvez pas re-rentrer, nous avons reçu des consignes de la direction en début d’après-midi. Nous devons également reprendre votre badge (un autocollant “presse” donné aux journalistes à l’entrée – ndlr) », a expliqué le service de presse, après avoir fait raccompagner notre journaliste à l’extérieur par trois membres du service d’ordre tentant de lui arracher l’autocollant. Quelques minutes plus tôt, le photographe Alain Robert, pris pour un journaliste de Mediapart, a été poussé violemment par un membre du service de sécurité, qui lui a lancé : « Mediapart, tu te casses ! »

Les confrères de la presse écrite et du web (AFP, Le Monde, L’Opinion, L’Humanité, Le Ravi, Le Canard enchaîné), ainsi que certaines radios (RFI) ont décidé en conséquence de boycotter l’université d’été. « Il n’appartient pas au FN, ni au FNJ, de décider quels journalistes peuvent, et quels journalistes ne peuvent pas couvrir les évènements qu’ils organisent, a de son côté déclaré Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières, dans un communiqué. Qu’un parti politique s’avise de sélectionner les journalistes autorisés à traiter de son actualité est une dérive évidemment très dangereuse. » Qui ajoute : « Le Front national dispose d’une couverture médiatique nationale. Les principes démocratiques voudraient que le parti accepte la pluralité de cette couverture. L’éviction pure et simple d’une journaliste et plus généralement, l’interdiction d’un média sont des méthodes indignes d’un parti républicain, qui se doit de respecter le droit à l’information. »

Quelques heures plus tôt, devant les jeunes frontistes, le secrétaire général du parti, Steeve Briois, vantait pourtant les investigations de Mediapart. Évoquant les affaires du PS dans le Pas-de-Calais, dénoncées par le FN depuis plusieurs années, il a expliqué : « Tout ça, nous l’avons découvert parce que nous avons fouiné, nous avons fait un travail d’investigation bien plus important que Mediapart. (…) Dénoncer, c’est bien. N’hésitez pas à faire ce travail d’investigation », a-t-il conseillé aux futurs candidats du FN. Un conseil qui n’était visiblement pas valable pour les journalistes qui travaillent sur le Front national.

Interrogé sur cette exclusion par notre consœur de L’Opinion, Philippe Martel, le chef de cabinet de Marine LePen a répondu : « Ça fait deux ans qu'ils sont interdits de séjour, ils devraient le savoir », tout en reconnaissant qu’au niveau de l’image donnée par le parti, ce n’était « pas malin ». Rappelons que dans un entretien donné à l’hebdomadaire Le Point du 29 mai 2014, Philippe Martel affichait la couleur, affirmant que le parti avait mis en place un « plan média » pour « attaquer à mort les journalistes ».

De son côté, la direction du FN assume totalement cette décision. Interrogés samedi par nos confrères, Florian Philippot, vice-président du FN, comme Julien Rochedy, le président du FNJ, ont justifié l’accréditation puis l’éjection de notre journaliste par un « petit problème de coordination et d'organisation », comme l’a résumé Rochedy à l’AFP, alors que « Mediapart ne rentre pas dans les manifs du Front depuis très longtemps, depuis que Mediapart a boycotté le FN à la présidentielle ». Le même Rochedy, pourtant croisé la veille par notre journaliste, n'avait pas réagi.

Depuis la campagne présidentielle de 2012, le Front national refuse à Mediapart l’entrée de ses événements. Une décision formulée en février 21012 par plusieurs de ses responsables (lire notre billet « Le Front national censure la presse »), et qui intervenait après le refus de Mediapart d’inviter Marine Le Pen à notre émission live 2012, mais aussi après notre décryptage détaillé de son projet présidentiel (comme pour tous les partis).

À l’époque, nous avions choisi d’inviter les candidats de l’alternance (ou de l’alternative) progressiste et démocratique : François Bayrou, Eva Joly, Jean-Luc Mélenchon et François Hollande. Nous avions explicité notre choix de ne pas inviter Marine Le Pen.

« Nous ne sommes pas un service public et nous ne sommes pas plus soumis aux critères du CSA. Ce sont nos choix éditoriaux qui, jour après jour, construisent l’identité éditoriale, l’offre rédactionnelle qui vous est proposée. C’est ainsi que plutôt qu’une interview de Marine Le Pen, nous avons préféré depuis 2008 une autre démarche journalistique : le reportage, l’enquête et l’expertise. À ce titre, le Front national a été méthodiquement couvert. Et le Front national a d'ailleurs parfois reconnu la qualité de cette couverture ! » avait expliqué François Bonnet, le directeur éditorial de Mediapart (vous retrouverez une large sélection de ces enquêtes et reportages en page 3).

Marine Le Pen avait ainsi cité, un mois plus tôt, sur France Inter (voir les images à 4’30), notre enquête sur les pressions subies par les maires qui avaient parrainé le FN en 2007 (« Parrainer le FN : des maires disent “plus jamais” »). L’un de nos reportages (« En Moselle, “la peur du FN n'existe plus”») a également été cité à la tribune du meeting de Metz, le 11 décembre 2012. Depuis, son parti a également souvent relayé et cité nos enquêtes sur le PS ou l’UMP.

Depuis la campagne de 2012, nos journalistes sont donc systématiquement refoulés des événements du Front national, une date qui correspond également à une accélération du travail d'enquête de Mediapart sur le sujet (lire page 3). À la Convention du FN à Lille, en février 2012 (lire notre article), au Zénith, en mars 2012, ou plus récemment, en avril, lors d’une réunion militante d’Aymeric Chauprade, puis lors d’une conférence de presse de Marine Le Pen sur les européennes, malgré l’invitation de notre journaliste par le directeur de communication du candidat Chauprade (lire l’article du figaro.fr).

Mais Mediapart n’est pas le seul média boycotté par le Front national. Ces derniers mois, malgré la stratégie de « dédiabolisation » affichée par le parti, plusieurs journalistes ont été refoulés d’événements officiels du FN : un journaliste de L’Express dont les enquêtes sur le passé sulfureux de David Rachline ont déplu au nouveau maire, Canal Plus (le « Petit Journal », régulièrement, et la « Nouvelle édition »). Lors de la campagne municipale par exemple, les équipes de Yann Barthès, qui ont cassé plusieurs plans com’ de Marine Le Pen, n'ont pu accéder à une conférence de presse du candidat FN aux municipales d'Avignon, entraînant un boycott général des journalistes qui, ce jour-là, a contraint le FN à revenir sur sa décision. Même chose quelques semaines plus tard, lors d'un discours de Marine Le Pen pour ses vœux à la presse. La présidente du mouvement avait alors expliqué que « certains médias sont dans un combat politique, ils en assument les conséquences ».

En décembre 2012, c'est un photographe de l'AFP qui n'avait pas reçu l'aval de la direction du Front national pour assister à une conférence de presse. Il avait été refoulé du siège du parti à Nanterre, qui avait fait savoir que les images de Marine Le Pen diffusées par l'agence étaient « laides » et « aberrantes ». « Vous vendez des photos d'elle tellement laides qu'elles frisent l'insulte », avait expliqué à l'agence de presse la directrice de cabinet de Marine Le Pen.

En janvier 2011, lors du Congrès de Tours, les Le Pen décident de bloquer l’accès à Azzedine Ahmed Chaouch, journaliste à M6, mais surtout auteur du livre Le Testament du diable (Les éditions du Moment), qui a déplu aux dirigeants du parti. Les hebdomadaires Rivarol et Minute n’ont pas pu couvrir le congrès non plus : Jean-Marie Le Pen leur reprochait d’avoir trop servi Bruno Gollnisch dans la bataille interne au parti.

Si un journaliste assiste à une scène sans y avoir été invité, il peut aussi se trouver physiquement en danger. Lors du même congrès de 2011, Mickaël Szames, journaliste de France-24, a été agressé par deux hommes du service d'ordre, condamnés par la suite « pour violences commises en réunion, suivies d'incapacité de travail n'excédant pas huit jours ». Ils ont également écopé d'une amende, en réparation des préjudices moral et matériel.

Le 12 juin dernier, le service d’ordre du Front national a violemment bousculé une quinzaine de journalistes venus couvrir, à Nice, un meeting de Jean-Marie Le Pen. Brigitte Renaldi, journaliste d’Europe 1, a porté plainte pour violence contre sa personne. Une autre journaliste a reçu un coup à la poitrine. Dans un communiqué de soutien, RSF rappelait : « l’histoire du FN est émaillée d’incidents à l’égard des journalistes, notamment sous la présidence de Jean-Marie Le Pen. Entre 1990 et 2011, Reporters sans frontières dénombre plus d’une vingtaine d’épisodes violents impliquant le service d’ordre du parti d’extrême droite ou ses militants. »

En novembre 1992, tous les journalistes avaient boycotté le discours de Jean-Marie Le Pen, en solidarité avec le journaliste Thomas Legrand, interdit de travail. Le FN avait essayé d’empêcher la diffusion d’une enquête dans « Envoyé Spécial », sur France 2, à laquelle participait Thomas Legrand. À l'époque, le FN avait appelé RMC, faisant passer la consigne suivante, en substance : « Pour sa sécurité, Thomas Legrand ne devrait pas venir au congrès. » Des journalistes avaient été, dans la foulée, agressés lors de la Fête bleu-blanc-rouge, d'où le boycott.

Autre épisode, début 1998 : la première réunion du pré-gouvernement du FN à l'hôtel Crillon place de la Concorde à Paris. À l'époque, John-Paul Lepers, de Canal Plus, avait posé une question anodine à Jean-Marie Le Pen, qui n'avait pas daigné répondre, malgré plusieurs relances. Des journalistes avaient quitté la salle pour protester, s'attirant les foudres du parti qui les avait supprimés de la mailing-liste des communiqués pendant trois mois.

Le Front national ne se contente pas de cibler des médias. Il sait également mettre la pression sur les chercheurs ne diffusant pas la bonne parole de sa présidente. Mediapart avait raconté, en décembre 2012, les tweets du compte du FN qualifiant deux chercheurs d’« extrême droite ». Florian Philippot reprochait aux deux universitaires d’avoir qualifié le FN « d’extrême droite » dans les médias.

Tout récemment, des chercheurs se sont plaints que plusieurs projets d'enquête au Front national n'ont pu aboutir faute d'autorisation de la direction. Florian Philippot a d’ailleurs sermonné publiquement sur Twitter un sociologue qui avait expliqué au Figaro que les collectifs créés en nombre par le FN (collectif d’enseignants, collectif de jeunes entrepreneurs, etc.) étaient des « coquilles vides » dont les chiffres d'adhésion restaient par ailleurs « impossible à vérifier ». Les chercheurs couvrant l’extrême droite soulignent d’ailleurs que cette situation n’existe pas chez les autres partis. Dépendants du Front national pour leurs enquêtes, entretiens et questionnaires, ces universitaires sont soumis à une forme d’autocensure lors de leurs interventions médias, conscients qu’une analyse qui déplaît au FN pourrait leur fermer à l'avenir les portes du parti.

Un autre épisode, rapporté par l'historien des extrêmes droites Nicolas Lebourg : en juin 2013, Florian Philippot n'a pas compris pourquoi le parti n'était pas invité à un colloque de chercheurs pour les 40 ans du FN (lire ici).

Si elle exclut certains médias (et, donc, certains chercheurs), Marine Le Pen sait également s’en servir pour dérouler sa stratégie. Possibilité offerte par des médias scrupuleusement « impartiaux », voire carrément « porte-micro ». Ces derniers jours l’ont encore montré avec une interview de Marine Le Pen dans Le Monde, vendredi; Florian Philippot, vice-président du Front national, chez Patrick Weill de France Inter, ce samedi matin, ou encore les inévitables direct de BFM TV pour couvrir l’université d’été.

Et c’est ainsi que Florian Philippot peut sans problème se retrouver avec le titre de « plus gros squatteur de matinales de l'été » décerné par LeLab d’Europe 1.

Derrière ce rapport aux médias du Front national se pose pour les journalistes la question de la couverture du FN. Comment couvrir le Front national ? Quelle place lui accorder ? Faut-il interviewer Le Pen ? Pendant la campagne présidentielle, nous avions interrogé nos confrères sur le sujet. Cet éternel débat qui agite la profession, se pose aujourd’hui tout particulièrement pour la presse quotidienne régionale dans les 14 villes gagnées par l’extrême droite (dont 11 FN).

Interrogé en 2012, Thierry Richard, chef du service politique à Ouest-France, nous expliquait ainsi que le Front national a fait évoluer le journal dans la façon de titrer les papiers : « Le tournant, ça a été la phrase de Jean-Marie Le Pen : “Les chambres à gaz sont un détail de l’histoire de France.” On s’est dit : on ne peut pas un jour titrer une interview comme ça. Depuis lors, on a changé notre façon de titrer les interviews, pour le FN comme pour les autres. On évite les citations. On ne veut pas être le tableau d’affichage du Front national. »

Dans les années 1990, Var-Matin avait été un véritable contre-pouvoir face au maire frontiste Jean-Marie Le Chevallier. Et aujourd’hui ?

Retrouvez ci-dessous l'expertise détaillée du programme du FN :

Front national: notre contre-argumentaire en 20 fiches

Nos 20 fiches (regroupées ici dans un seul dossier) :
1/ Un «nouveau FN» bien proche de l'ancien

2/ La sortie de l'euro
3/ La dette
4/ L'«Etat fort»
5/ Economie et social
6/ Agriculture
7/ Immigration
8/ Sécurité
9/ Justice

10/ Logement
11/ Santé et recherche
12/ Education
13/ Ecologie

14/ Place des femmes
15/ Laïcité

16/ Culture
17/ Démocratie et institutions
18/ Presse et numérique

19/ Politique étrangère
20/ Europe

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Pour rappel, une sélection de nos articles sur le FN et Marine Le Pen. Cliquez sur les titres ci-dessous :

Enquêtes sur le Front national :
«Quand le directeur de campagne de Marine Le Pen moque le “client-électeur”», enquête du 29 mars 2011.
«Les chers parrains du Front national», enquête du 18 novembre 2011.
«Parrainer le Front national: des maires disent plus jamais», enquête du 19 janvier 2012.
- «FN: quatre gestions municipales, quatre échecs» (série de 4 articles), septembre 2012.
- «La «GUD connection» tient les finances de Marine Le Pen», 17 octobre 2013.
- «Du GRECE au GUD: la galaxie radicale de Marion Maréchal-Le Pen», 29 janvier 2014.
- «Chauprade, un pied au FN, l'autre chez les ultras d'extrême droite», 13 mai 2014.
- «Les villes FN, un nouveau business pour les sociétés proches de l'extrême droite», 28 août 2014. 

Marine Le Pen et sa tentative de « dédiabolisation » du FN :

- « Les réseaux russes de Marine Le Pen », 19 février 2014
- « La rencontre bricolée de Marine Le Pen avec des retraités », 2 novembre 2013.
- « Le Pen, les médias et le “FN new look” », 16 septembre 2013.
« Le Pen vs Le Pen: l'impossible normalisation du Fron national », article du 1er août 2011.
« Front national: les réseaux obscurs de Marine Le Pen », article du 9 septembre 2011.
« Comment parle Marine Le Pen: une journée dans le Var », reportage du 13 mars 2011.
« Comment Marine Le Pen construit sa boîte à idées », enquête du 12 janvier 2011.
« Enquête sur une stratégie de communication », enquête du 21 avril 2010.
« Marine Le Pen et la grosse bête qui monte », analyse du 14 décembre 2010.
« Fin de parti pour le FN », enquête du 17 mars 2009.

La riposte au Front national :
- « Face au FN, des stratégies de riposte à géométrie variable », enquête du 1er février 2012.
« Les syndicats veulent contrer le discours “social” du FN », enquête du 24 mars 2011.
« Immigrés: une boîte à outils pour répondre à Le Pen et Sarkozy », article du 11 mai 2011.

Le virage soi-disant «social» du FN et sa tentative de récupération du vote ouvrier :
« Le Pen: son “Vive la sociale” de pacotille inquiète la gauche et l'UMP », enquête du 14 décembre 2011.
« En Moselle, “la peur du FN n'existe plus” », reportage du 10 décembre 2011.
« Marine Le Pen reprend le slogan de Mélenchon », billet de blog du 11 décembre 2011.
« Sur le terrain, le FN n'est pas le “parti des ouvriers” »,  enquête du 5 octobre 2011.
« Comment Marine Le Pen parle aux classes populaires », enquête sur les ressorts du vote FN dans les milieux populaires.
« L'OPA du FN sur la “démondialisation” »,  enquête du 24 mai 2011.
« A Saint-Nazaire, les ouvriers veulent résister aux assauts du Front national », reportage du 18 mars 2011.
« Cantonales: là où perce le FN » et « Ces fractures françaises que révèle la percée du FN ». Analyses des résultats du FN aux élections cantonales de mars 2010.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : WordPress 4.0


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