Le Front de gauche n’est pas mort, mais il ne bouge pas encore. Ce samedi, dans la salle des fêtes de la mairie de Montreuil, environ 200 responsables nationaux et cadres locaux, encartés et non-encartés, se sont reparlé. Toute la journée, à huis clos, sauf pour la dernière heure et demie, les interventions de trois minutes ont dégagé un consensus autour du rejet franc et massif du gouvernement Valls, mais rien de plus. Tout juste a-t-il été décidé une réunion du même type courant novembre, et énoncé une volonté de relancer d'ici là les assemblées citoyennes. Avec le sentiment, vu le peu d’enthousiasme ambiant, qu’il s’agissait là de formules de politesse, davantage que de réelle dynamique.
« En juillet, le Front de gauche était proche de la mort, mais ce n’est plus le cas, tout le monde était présent et s’est reparlé, philosophe l’eurodéputée Marie-Christine Vergiat. Il faut déjà se satisfaire de cela, et se dire que c’est une première étape. » De cette journée, à laquelle ont assisté côte à côte Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon, on ne retiendra toutefois qu’une « déclaration » commune, somme toute assez convenue, évoquant des participations à d’éventuelles manifestations syndicales à venir, des « initiatives » à prendre, mais sans dire lesquelles, la VIe République comme « moyen essentiel de sortie de crise », ou un appel à « ne pas voter la confiance » à Manuel Valls.
Pour autant, impossible de dire de quoi demain sera fait au Front de gauche, chacun parmi les diverses composantes du rassemblement de la gauche radicale semblant rester dans son couloir stratégique, et personne n’ayant visiblement envie de se confronter sur ses différends, faute de pouvoir réellement les trancher.
« On a encore du travail à faire sur notre projet par rapport à l’incroyable glissement d’un gouvernement qui n’a plus rien de social et qui est désormais strictement néo-libéral, explique le dirigeant communiste Francis Parny. Le rassemblement de la gauche que nous appelons de nos vœux ne peut plus prendre la même forme qu’il y a dix ou quinze ans… » Pour le secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, si « le diagnostic fait consensus : il n’y a aucun avenir avec le gouvernement Valls », il reste au Front de gauche à trancher l’éternel débat « sur la construction d’un rassemblement alternatif ».
Lui défend un retour de la gauche plurielle moins le social-libéralisme, avec des écologistes et des socialistes en désaccord avec les orientations du pouvoir actuel. À la fête de L’Humanité, le week-end prochain, il fera bon accueil à Cécile Duflot et Emmanuelle Cosse, comme à Christian Paul et aux « principaux frondeurs ». Et Laurent ne cache pas sa volonté de mettre en scène les convergences. « C’est un moment pour concrétiser des actions, des discussions sur l’alternative gouvernementale, dit-il. Le Front de gauche a un rôle de premier plan à jouer. À nous d’être audacieux et de ne pas attendre que se déroule le scénario dramatique déjà annoncé par les sondages. »
Pour la direction communiste, l’union de la gauche reste la voie la plus réaliste de sortie de l’impasse, loin des espoirs de « révolution citoyenne » de Jean-Luc Mélenchon. « Des réalités commencent à s’imposer, dit Pierre Laurent. Beaucoup pensaient il y a peu que le PS ne bougerait jamais ou que les écologistes ne sortiraient jamais du gouvernement. Et les lignes vont continuer de bouger dans le mouvement social. » Le sénateur PCF assure ne pas vouloir « continuer un tête-à-tête » avec le parti de gauche (PG), mais entend « convaincre qu’il y a un chemin praticable à emprunter ».
Mais les proches de Mélenchon semblent plus que sceptiques sur la viabilité de ce chemin. « On note les réflexions chez certains socialistes, mais elles paraissent bien faibles face aux chantages à la dissolution », tempère ainsi l’ancienne co-présidente du PG, Martine Billard. « Accompagner des actes, oui. Applaudir des paroles, non », renchérit Alexis Corbière, secrétaire national du PG. Lui-même ancien socialiste, il s’agace des atermoiements et des tergiversations, et redoute une « perte de temps » supplémentaire. « Je ne doute pas de la sincérité du tourment des frondeurs socialistes, que je connais bien pour certains, dit-il, mais si ça se finit par des abstentions, à quoi bon… Les faits trancheront, mais on ne peut pas bâtir une stratégie sur l’évolution au PS. »
Comme l’a indiqué à Mediapart Éric Coquerel (lire l’entretien), le PG a surtout plus envie désormais de se tourner vers le peuple et les abstentionnistes que de continuer à négocier des coalitions avec le « système ». Mais si personne n’a contesté les envies de Jean-Luc Mélenchon de dépasser le Front de gauche en lançant un « mouvement pour la VIe République », peu ont fait connaître leur enthousiasme devant l’initiative. « On est les seuls à proposer quelque chose qui sort des vieilles recettes, des campagnes militantes et des discussions avec toute la gauche », explique Corbière. D’accord, « la situation est compliquée, inédite et dangereuse, mais soit on continue à se le dire indéfiniment et on se plombe à force de se le dire, soit on essaie de s’adapter à la période, et de répondre à la crise civique ».
Même si la révolution bolivarienne ne vient pas en France, Mélenchon et les siens n’abandonnent pas la lecture latine des événements. « L’expérience sud-américaine a bien montré que les grands changements sociaux vont toujours avec les grands changements institutionnels », dit Corbière, tandis que les dirigeants du PG évoquent désormais l’expérience espagnole de Podemos (parti né du mouvement des indignés).
À mi-chemin entre PCF et PG, la troisième composante du Front de gauche, les anticapitalistes d’Ensemble ! (rassemblement d’anciens communistes rénovateurs et d’anciens de la LCR et du NPA) cherchent une troisième voie compromissoire. « Nous sommes aujourd’hui en tension entre la nécessité d’occuper un espace politique distinct de la gauche gouvernementale et la difficulté de ne pas tomber pour autant dans la logique de cordon sanitaire avec le PS », explique Clémentine Autain. Pour elle, le modèle à suivre doit être celui des collectifs antilibéraux de la campagne du référendum de 2005 : « Être clair sur notre positionnement et créer des passerelles », jusqu’à des socialistes (comme Fabius, Emmanuelli ou… Mélenchon). Elle prolonge : « C’est un peu ce qui s’est passé à Grenoble. Avec un discours clair, on a accompagné des passerelles citoyennes et soutenu un écologiste, alors même qu’EELV participait au gouvernement. » Quid alors des socialistes ? « Soit ils continuent dans le même bateau et contribuent à le couler, soit ils en changent. »
Ensemble ! défend de son côté l’idée d’assises locales puis nationales, avec toutes les forces intéressées, afin de « réenclencher un processus de discussion » sur quatre thèmes (démocratie, partage des richesses, transition écologique, luttes pour l’égalité). Mais sans certitude, là non plus, que l’initiative emporte l’adhésion d’un Front de gauche pour l’instant peu désireux de partir à l’abordage militant, jugeant préférable de prendre le temps de l’observation de la décantation du paysage politique. « Il faut reconnaître qu’au rythme où vont les choses, on en vient à faire l’analyse politique à la semaine »,soupire l’ancienne co-présidente du PG, Martine Billard.
L’impression d’un Front de gauche anémié irrite aussi de nombreux cadres, fatigués de l’emprise des logiques d’appareil sur le rassemblement de la gauche radicale. Parmi eux, Danielle Obono, l’une des anciennes porte-parole de la campagne présidentielle. Elle ne mâche pas ses mots sur l’apathie généralisée d’un mouvement qui prend son temps pour se remettre en branle. « On dit tous que la catastrophe est là, mais on ne fait rien, dit-elle. On réagit à la petite semaine, mais on ne construit rien. Par exemple, on n'a aucun discours sur le FN. Depuis le “Front contre Front” de Mélenchon, on a décrété que ça ne marchait pas, mais on n'a rien proposé depuis… »
Amère, Obono se lamente devant une situation où « tout le monde s’écoute parler et manier la langue de bois, se redit tout ce qu’on se dit depuis 5 ans, en remplaçant Sarkozy par Valls. À force, les adhérents de 2012 se sont peu à peu retirés, et il ne reste plus que les survivants. Ce n’est pas avec ça qu’on reconstruira la gauche ». Moins pessimiste et plus patiente, Clémentine Autain veut croire que le réalisme imposera à chacun de continuer à jouer collectif : « C’était déjà utile de se reparler, vu qu’on avait pris l’habitude d’être distant les uns des autres. Tout le monde a dit son attachement au Front de gauche, et c’est une bonne chose, car de toutes façons on n’a pas le choix : si le Front de gauche meurt, qui survit ? »
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