Ce samedi a lieu un conseil national déterminant pour l'avenir du Front de gauche, après les déceptions électorales du printemps. Divisés sur la marche à suivre, PCF et PG semblent emprunter des chemins différents. Le secrétaire national communiste Pierre Laurent plaidant, jusque devant les socialistes à La Rochelle, pour « l'écriture d'un chemin commun » avec les « frondeurs » et l'aile gauche du PS comme les écologistes d'EELV, tandis que Jean-Luc Mélenchon défend l'émergence d'un mouvement dépassant les partis et défendant le passage à une VIe République.
Pour Éric Coquerel, qui est devenu secrétaire national chargé de « la coordination politique » du Parti de gauche, au sein de sa nouvelle « direction collégiale », il importe de ne plus être rattaché au « système » et à la « gauche qui gouverne ». « Des assises avec tous les opposants à la politique de Hollande, ce ne sera pas suffisant pour répondre à l’ampleur de la crise », estime-t-il. Quant à savoir si le Front de gauche va être capable de surmonter ses désaccords, et notamment la question de l'autonomie vis-à-vis du PS, il répond : « Je l'espère »… Entretien.
L’organisation du Parti de gauche (PG) a changé lors de ses dernières universités d’été. Jean-Luc Mélenchon et Martine Billard ont abandonné leur co-présidence et la direction est désormais « collégiale ». Cela signifie qu’eux seuls pouvaient assumer cette fonction ?
Non, cela signifie que ce rôle de président était paradoxal pour un parti qui se bat pour la fin de la Ve République. À partir du moment où tous deux, pour des raisons politiques, souhaitaient ne plus assurer la fonction de leadership organisationnel d’un parti, on a jugé que cela n’était plus utile. Dans les faits, ce sera notre prochain congrès qui validera cette suppression, mais le bureau national du PG a décidé de ne pas les remplacer.
Quand on a créé le PG, tous les fondateurs se reconnaissaient derrière le leadership intellectuel et politique de Jean-Luc. À l’époque, la fonction de président semblait alors logique même si, pour sa part, il a toujours été dubitatif sur cette fonction. À partir du moment où il fait un pas de côté, pour surtout se consacrer à l’émergence d’un mouvement pour la VIe République, on en a profité pour réorganiser les choses.
Comment jugez-vous l’état du PG aujourd’hui ?
En juin, on a eu une période difficile. Les européennes ont été un échec, et ont marqué la fin d’un moment stratégique pour nous. Cela faisait quasiment six ans qu’on était sur la brèche, au four et au moulin, et beaucoup de fatigue et de tension avaient été accumulées. On a pris deux mois pour déjà vérifier si on était tous encore d’accord politiquement. On a perdu un peu de militants, mais notre “remue-méninges” de la mi-août à Grenoble a permis de bien repartir. Et on constate des adhésions et des ré-adhésions depuis. Pour aborder la période qui s’ouvre, on est en bonne santé.
Vous parlez de la fin d’un moment stratégique. Quelle analyse faites-vous de votre échec ?
On a bien réussi jusqu’à la présidentielle, en réunissant l’autre gauche pour changer le rapport de force face au PS. On a sorti « notre gauche » de la marginalité pour devenir un acteur incontournable. Deux ans après, il y a aussi eu quelques réussites, car nos marches, du type de celle du 5 mai 2013 pour la VIe République, l’ont été, mais c’est vrai que globalement nous n’avons pas atteint notre objectif. Le PS s’écroule, on ne passe pas devant, et le FN termine en tête. Donc c’est un échec. Parce qu’on s’est ingénié pendant deux ans à dilapider le succès de la présidentielle, en tout cas à ne pas être capable de le rééditer. C’est principalement dû à l’absence de stratégie nationale commune. Il était vain de penser qu’on pourrait effacer aux européennes la division des municipales. Elle nous a rendus largement illisibles et divisés. Mais en plus, les alliances contractées aux municipales avec le PS ont ramené le FDG dans le « système ». Le Front de gauche pouvait apparaître comme le cousin de famille très critique, mais en appartenant quand même à la même famille que la gauche qui gouverne aujourd’hui.
Ce qui nous entraîne au raisonnement suivant : vu qu’aux yeux du plus grand monde, c’est LA gauche qui gouverne, l’idée que l’alternative dépende de l’unité de l’autre gauche dans l’objectif de passer devant le PS pour bousculer le rapport de force à gauche ne convainc pas assez. C’était la stratégie originelle du FDG mais après trois ans de Hollande, elle ne marche plus. Il a cassé encore davantage tous les repères par sa politique ! Cette hypothèse mobilise la partie la plus politisée de l’électorat mais pas tous ceux qui se disent, même inconsciemment : s’ils imaginent s’allier au 2nd tour pour gouverner alors c’est qu’ils appartiennent au même monde. Il faut donc être capable d’arriver à une alternative qui ne dépende pas de forces du système, qui ne dépendent donc pas des alliances avec le PS au second tour.
En l’état, ça revient à faire le pari que le PS va inéluctablement s’effondrer, et qu’il n’y a plus rien à attendre de lui…
En effet, je ne pense pas que ce parti résistera longtemps aux échecs électoraux. Ce qui est à venir, ce sont des défaites aux départementales et aux régionales. Or, le PS vit en s’appuyant sur ses élus. Ce parti a changé irrémédiablement de sociologie et de nature, par rapport à ce qu'il était voilà trente ans, et il est désormais étroitement lié à la défense de la société de marché, au libéralisme. Aujourd’hui, il y a une quarantaine de frondeurs contre 200 députés qui soutiennent le gouvernement. À La Rochelle, après une semaine vraiment insupportable pour tout homme de gauche, Valls reçoit quelques huées mais réussit son coup à la fin. Trois jours après avoir été adoubé par l’université d’été du Medef, il conclut sans trop de souci celle de son parti.
Encourager les critiques internes du PS et les soutenir dans un congrès en espérant qu’ils prennent la majorité, sans certitudes en plus sur la sincérité du scrutin, ce serait pendant un an dépendre de ce parti et apparaître avec lui comptables du bilan du quinquennat Hollande. Or le PS actuel ne subsistera pas après 2017, et pas question de mourir avec lui et Hollande ou un(e) autre social-libéral(e) de remplacement.
C’est pour cela que Jean-Luc a proposé un pas de côté avec le projet d’un mouvement pour la VIe République. Il ne s’agit pas de nier l’utilité des partis mais de créer un mouvement qui les dépasse, Ce doit être différent, plus ample, plus à même de mobiliser le peuple. L’objectif est de remettre en mouvement au moins une partie des millions d’abstentionnistes des dernières européennes. Et, comme il n’y aura pas deux candidats libéraux qualifiés, voire pas du tout, c'est de jouer ainsi le second tour de la prochaine présidentielle et la victoire. Ce n’est pas contradictoire avec l’existence du FDG mais chacun comprendra que ce ne peut être le simple prolongement du FDG. Il faut viser plus large : fédérer le peuple.
Pourquoi n’y aurait-il pas deux candidats libéraux au second tour en 2017 ?
Bon an mal an, si on regarde l’histoire française des trente dernières années, le peuple français n’adhère toujours pas au libéralisme. Souvent cela s’est exprimé dans des formes politiques confuses, comme Chirac et la fracture sociale en 1995 face à Balladur, ou Sarkozy en 2007 qui faisait campagne sur un retour d’un pilote à la tête de l’État, ou encore Hollande et la grand-messe du Bourget. C’est aussi, à sa façon ethniciste et néo-fasciste opposée à la nôtre, le FN qui s’adosse désormais à un discours antilibéral. Or aujourd’hui, le PS est dans le même camp libéral que la droite traditionnelle. A minima un des deux sera éliminé. Et celui qui vient de gouverner est le plus affaibli. Nous voulons donc faire en sorte qu’on ne finisse pas dans un duel FN / droite extrémisée.
Mais la relation au PS reste cependant le principal différend entre vous et les communistes, qui plaident toujours pour des convergences avec les socialistes critiques et les écologistes… Ce différend ne semble pas pouvoir être davantage surmonté que les années précédentes…
Est-ce que ce différend est surmontable ? Je l’espère… Le PG a été créé pour forger le Front de gauche. Donc on ne part pas dans l’objectif de sacrifier l’union de forces militantes précieuses. Il y a beaucoup d’accords entre nous, et un diagnostic commun face au gouvernement Valls. Mais il y a aussi des débats et des divergences sur ce qu’il faut faire. L’analyse selon laquelle l’orientation Valls/Hollande serait minoritaire chez les socialistes, et qu’il conviendrait alors d’aider à remettre le PS sur les bons rails, me semble être une analyse fausse. C’est une illusion de penser que le PS va changer de centre de gravité dans les deux ans. Il faut donc vérifier qu’on est bien d'accord là-dessus car cela a des implications très concrètes. J’espère que nous y parviendrons.
On n’est pas opposé à discuter avec les frondeurs, on discute d’ailleurs avec certains d’entre eux. Mais on a peu de temps devant nous, et il ne faudrait pas qu’ils nous ramènent, avec leurs ambiguïtés, au système déjà évoqué. Pour résumer, si c’est pour discuter et finir aux côtés de Cambadélis, ça ne nous intéresse pas. Nous avons jusqu’à décembre pour voir se clarifier les choses. Nous allons donc regarder avec attention ce que font les frondeurs et EELV sur le vote de confiance. S’ils ne sont pas d’accord, qu’ils fassent tomber Valls 2, car les applaudimètres de La Rochelle ne suffisent pas à nous convaincre. S’ils sont au bout du compte avec nous dans l’opposition à Hollande tant mieux, cela ira plus vite. Mais ce qui est sûr, c’est que nous ne pouvons pas dépendre d’eux et de leur évolution incertaine. Il faut donc construire quelque chose qui ne dépende pas d’eux, sur des bases claires d’opposition assumée.
Qu’est-ce qu’on peut attendre réellement et concrètement aujourd’hui du Front de gauche ?
Très franchement, depuis un an environ, tout le monde est d’accord pour évoluer et se dépasser vers un “front du peuple”. Sauf qu’on n’arrive pas à concrétiser ce dépassement. Le mouvement pour une VIe République c’est donner vie à ce Front du peuple. Mais si on veut que ça marche, on ne peut pas le faire en transvasant le défaut structurel du Front de gauche : celui d’être un cartel. Créer ce cartel a été un pas positif, nécessaire. C’était bien que ça existe sous cette forme, mais on voit bien que nos assemblées citoyennes n’ont jamais été à même de rassembler beaucoup plus largement que l’addition des militants de nos partis. Ou alors rarement. Certes cela n’a pas été suffisamment voulu ni encouragé mais ce n’est pas le seul problème. Je ne crois pas que le peuple ait envie aujourd’hui d’adhérer massivement à une organisation ni à un cartel. Or c’est cela l’ambition si on veut renverser la table. Des assises avec tous les opposants à la politique de Hollande, pourquoi pas ? Ça peut être utile, mais ce ne sera pas suffisant pour répondre à l’ampleur de la crise, et ça ne donnera pas davantage envie aux gens d’adhérer.
Les élections régionales ne peuvent-elles pas être l’occasion d’élargir l’expérience de la municipale grenobloise ? Et celle-ci passe aussi par des accords entre partis ou courants politiques…
On reste un parti, donc on ne nie évidemment pas leur rôle, encore moins au moment d’élections. Mais si on parle de Grenoble, il y a une alliance entre deux partis, mais surtout un grand mouvement citoyen. C’est dans ce sens que ça doit se passer : des partis qui travaillent à déclencher une dynamique citoyenne qui les dépasse. C’est la condition d’une révolution citoyenne. Est-ce que le Front de gauche peut œuvrer à ce déclenchement citoyen ? Cela implique déjà pour les régionales de trancher un débat préalable entre nous : se garantir d’être autonome du PS lors des prochains scrutins. On ne peut pas rejouer les dernières municipales et attendre jusqu’à un mois avant, que le PCF ne décide de stratégies variables, et que nous nous retrouvions dans un patchwork illisible.
Ce mouvement pour la VIe République laisse entendre que les partis ne suffisent plus. Mais y a-t-il aujourd’hui, alors qu’un gouvernement élu par la gauche est au pouvoir, la place pour une mobilisation d’ampleur ?
Je n’ai absolument aucune certitude sur le fait qu’on y arrive, mais je ne vois pas d’autres solutions pour éviter le pire que d’espérer que le peuple revienne aux affaires. Pour une très grande majorité de la population, y compris une grande part de ceux qui ont voté Hollande pour se débarrasser de Sarkozy, constatons que le clivage gauche-droite n’a plus de sens. C’est un crève-cœur mais les responsables sont ceux qui comme Hollande ont brouillé ce clivage, pas le peuple. On ne peut dès lors faire reposer un mouvement visant à fédérer le peuple sur son appartenance obligée à LA gauche. Ce qui n’empêche pas que notre projet est évidemment de gauche au sens réel du terme. On connaît l’électorat politisé du Front de gauche, il est constant, il tourne autour de 7 % à chaque élection sauf justement lors des présidentielles. Si on en croit les sondages qui testent les mêmes candidats qu’en 2012, le potentiel de la présidentielle est toujours là. Il faut aller le rechercher, le mettre en mouvement, l’élargir chez ceux qui s’abstiennent comme chez ceux qui n’en peuvent plus de Hollande. Comme le dit Jean-Luc Mélenchon : « Le système n’a plus peur de la gauche, il a peur du peuple. » Cela signifie aussi que pour combattre le système, le peuple ne compte plus sur la gauche. Pour lui parler, il faut tenir compte de cette équation sinon on se fait plaisir et on se rassure à bon compte.
Mais vous évoquez la VIe République depuis la présidentielle, et avez déjà organisé une marche le 5 mai 2013 sur le sujet. Or cette revendication se résume essentiellement à la convocation d’une assemblée constituante, ou de l’instauration d’un référendum révocatoire de mi-mandat. Ce contenu n’est-il pas un peu “léger” pour mobiliser ?
On pourrait penser que la constituante est uniquement une méthode, mais c’est en réalité l’expression d’une volonté : que le peuple redevienne souverain. C’est un moteur essentiel. Une nouvelle constitution ne peut pas être le fait que de partis ou d’experts. Ça n’est pas neutre, c’est au moment de la constituante de 1789 que sont nées spatialement la gauche et droite : pour compter les voix, on a mis ceux qui s’y opposaient au nom de la souveraineté populaire à gauche de l’hémicycle et les autres à droite. Mais bien sûr nous portons aussi une conception de la VIe. Le pouvoir revenant au parlement, en finir avec le fait que la politique soit un métier réservé à une minorité, instaurer une république sociale, bref le peuple souverain partout y compris pour contester le pouvoir démesuré accordé au capital. Nous voyons la VIe République comme une réponse globale dans un moment où le capitalisme prive le peuple de sa souveraineté, pas seulement comme une approche institutionnelle.
Cela va passer par quel type d’initiatives ?
Nous sommes évidemment en phase avec Jean-Luc Mélenchon quand il explique que ce ne peut être le mouvement d’un parti, et encore moins d’un homme. Vous comprendrez dès lors que les choses ne sont pas calées. Il faut déjà travailler à réunir des personnalités diverses qui sont d’accord pour le lancer comme on a su le faire pour initier la marche du 5 mai. Par ailleurs, il y a au moins un principe : il faut que ce soit un processus populaire, donc qu’on puisse par exemple y adhérer directement. Il faut que cela nous dépasse rapidement.
Mais l'essentiel, y compris dans l’irruption populaire que nous espérons, ce sont les batailles sociales et citoyennes contre le gouvernement Valls 2 qui vont avoir lieu. Tout ce qui peut rassembler les syndicats, les associations, les syndicats, en respectant évidemment l’indépendance et les formes d’actions propres de chacun, sur cet objectif, comme nous l’avons fait lors de la marche du 12 avril, est également essentiel et en rien contradictoire d’un mouvement pour la VIe République. Car le mieux serait d’en finir très vite avec ce gouvernement de droite.
BOITE NOIREL'entretien a eu lieu jeudi 4 septembre dans un café parisien. Il a duré un peu moins d'une heure, et a été relu et amendé (sur la forme) par Éric Coquerel.
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