L'amateurisme de l'exécutif laisse sans voix. Deux ans après l'affaire Cahuzac, trois mois après les révélations sur Jean-Marie Le Guen et la « sous-évaluation » grossière de son patrimoine immobilier, François Hollande et Manuel Valls ont réussi l'exploit, lors du dernier remaniement gouvernemental, de faire une fois de plus appel à un élu en délicatesse avec le fisc. Jeudi 4 septembre, Thomas Thévenoud, tout nouveau secrétaire d'État au commerce extérieur, a finalement été contraint à la démission à cause d'un problème de « conformité avec les impôts », comme l'a bizarrement formulé Matignon, qui affirme avoir découvert ce problème « après sa nomination ».
Mediapart avait été alerté dès la fin du mois de juillet sur la situation fiscale de l'intéressé, conseiller général de Saône-et-Loire depuis 2008, député depuis juin 2012, sans toutefois disposer d'éléments suffisamment probants pour écrire quoi que ce soit.
D'après des informations récoltées depuis, cet ancien chargé de formation chez ERDF, marié à la chef de cabinet du président du Sénat, ne déclarait pas ses revenus depuis plusieurs années. Certaines sources évoquent même le déclenchement, après plusieurs relances infructueuses, d'une procédure « d'imposition d'office » – un point non confirmé par l'intéressé, qui n'a pas retourné jeudi nos appels.
Dans un communiqué transmis dans la soirée à l'AFP, l'élu de Saône-et-Loire, qui rappelle n'avoir « jamais fait l'objet d'aucune poursuite judiciaire ou fiscale », a finalement admis des « retards de déclaration et de paiement », « à ce jour intégralement régularisés avec l'ensemble des pénalités qui s'y réfèrent ».
Mais à quelle date exactement a-t-il régularisé ? C'est désormais la question centrale – au-delà des montants concernés et de l'ampleur des « retards » – pour comprendre la gravité de cette affaire. Thomas Thévenoud a-t-il attendu sa nomination pour payer, contraint et forcé, ses dettes fiscales ? A-t-il donc accepté sa promotion avec une grenade dégoupillée dans la besace, faisant courir un risque politique majeur à sa majorité ? Pour un gouvernement de gauche qui prétend lutter contre la fraude fiscale, l'image est désastreuse – même si la faute reprochée au socialiste n'apparaît pas de la même gravité que l'évasion fiscale massive de Jérôme Cahuzac ou la sous-évaluation grossière de son patrimoine par Jean-Marie Le Guen.
La transparence sur cette date est aussi capitale pour calculer combien de temps Thomas Thévenoud a pu siéger à l'Assemblée nationale tout en trimballant son ardoise fiscale.
Porte-parole du groupe PS au Palais-Bourbon jusqu'à sa nomination le 26 août, Thomas Thévenoud faisait partie, à 40 ans, des figures montantes de l'Assemblée. Aux yeux d'un exécutif lâché par l'aile gauche du PS, il présentait aussi le mérite d'être issu du même territoire qu'Arnaud Montebourg et d'être identifié comme l'un de ses proches – bien que leur proximité politique soit toute relative. Son nom avait déjà circulé lors du précédent remaniement, début avril.
Ses camarades socialistes se disent aujourd'hui estomaqués. « Comment peut-on "oublier" de déclarer ses impôts ? s'interroge-t-on à l'Assemblée. La créativité des socialistes dépasse l'entendement. » Le week-end dernier, Thomas Thévenoud recrutait encore tranquillement pour former son cabinet. « Je dois dire que sa psychologie m'échappe... », réagit l'un de ses amis.
« C’est évidemment une très mauvaise nouvelle et on s’en serait bien passé. C'est un coup dur, indéniablement. Ça nourrit la défiance à l’égard des responsables politiques », a commenté vendredi la ministre de l’éducation nationale Najat Vallaud-Belkacem. Elle a également estimé qu’il était « légitime » de se demander si Thévenoud pouvait décemment rester député, même si rien ne l’oblige à démissionner.
Ancien membre de la commission d'enquête sur l'affaire Cahuzac, Thomas Thévenoud avait à l'époque déclaré : « J'ai une question toute simple à lui poser : pourquoi a-t-il menti à la représentation nationale ? (Et) pourquoi il s'est menti à lui-même ? » Avant d'assener : « C'est une véritable trahison. » En octobre dernier, il lançait encore à propos des demandes de régularisation des fraudeurs : « Faites repentance fiscale parce que le compte à rebours va s'enclencher. »
Le sien s'est enclenché à la seconde où il a été promu. Depuis les réformes sur la transparence de la vie politique, adoptées en 2013 en réponse à l'affaire Cahuzac, la loi prévoit en effet que « tout membre du Gouvernement, à compter de sa nomination, fait l'objet d'une procédure de vérification de sa situation fiscale » – ce qui n'est pas systématique pour les parlementaires. Celle-ci est pilotée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), nouvellement créée et présidée par l'ancien haut magistrat Jean-Louis Nadal, qui interroge les services compétents de Bercy.
Jeudi soir, la HAT confirmait avoir lancé les opérations sur les six « entrants » du 26 août (dont Thomas Thévenoud et l'ancien banquier Emmanuel Macron) dès le lendemain de leur nomination. D'après les textes, le directeur général des finances publiques disposait ensuite d'un délai d'un mois pour rendre compte à l'autorité indépendante. À ce stade, impossible de savoir si la HAT a déjà été destinataire des résultats relatifs à Thomas Thévenoud ou s'ils ont emprunté un « circuit court » : directement sur le bureau du premier ministre.
Alors évidemment, pour sauver ce qu'il reste à sauver de son image, l'exécutif ne manquera pas d'affirmer que la démission du fautif vient prouver l'efficacité des nouveaux dispositifs de contrôle, votés sur l'impulsion de François Hollande contre l'avis de l'UMP. Que cette fois, la sanction est tombée sans que la presse ait encore écrit la moindre ligne. Cela n'est pas faux.
L'Élysée pourra faire valoir le bilan encourageant de la HAT, qui a déjà visé plusieurs membres des gouvernements successifs de François Hollande. Ainsi en mars 2014, elle a saisi le parquet de Paris du cas de Yamina Benguigui, ex-ministre de la francophonie sous Jean-Marc Ayrault, soupçonnée d'avoir omis d'indiquer dans sa déclaration de patrimoine des actions détenues en Belgique (une enquête préliminaire est en cours). Puis en juin, l'instance présidée par Jean-Louis Nadal a contraint Jean-Marie Le Guen, l'actuel secrétaire d'État aux relations avec le Parlement, à corriger sa déclaration en réévaluant la valeur de ses biens immobiliers, grossièrement minorée de 700 000 euros (lire nos révélations) – une procédure qui devrait en toute logique déboucher sur un lourd redressement fiscal. On notera que Jean-Marie Le Guen n'a jamais été prié de démissionner pour autant.
Sur le terrain des conflits d'intérêts, la HAT est enfin intervenue auprès de Geneviève Fioraso, l'actuelle secrétaire d'État chargée de la recherche, pour prévenir tout risque lié à son compagnon, haut placé au Commissariat à l'énergie atomique (CEA) comme directeur délégué de la direction de la recherche technologique (CEA Tech). La HAT a incité Geneviève Fioraso à se décharger officiellement « des actes de toute nature intéressant (CEA Tech) », comme le prévoit désormais un décret... paru en plein cœur de l'été.
Mais dans le dossier Thévenoud (remplacé jeudi soir par le député PS Matthias Fekl), c'est le bon fonctionnement de l'administration fiscale en Saône-et-Loire comme à Bercy, ces dernières années, qu'il reste à évaluer. À ce stade, trop de pièces manquent encore au puzzle pour saisir si le député a été traité comme n'importe quel citoyen – dans les mêmes délais, avec la même diligence. Il faudra aussi vérifier si des alertes, même informelles, n'avaient pas été lancées à des politiques locaux ou nationaux, et ignorées.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : WordPress 4.0